Mauparadas dinc a casa
On èm ?
Ei la mira tocada ?
Ei luenh ?
Quin dia èm ?
Avem trobat la casa ?
༄༄༄༄
Il y a la Grande Mer. Puissante. Prodigue. Impitoyable. Ce bateau : immense. Craquant de la proue à la poupe ; voilé de bruine. Et, du vent, cassant, culpabilisant, qui nous écrase. Et, ces douloureuses chutes, et ce quai de cailloux coupants. Nous : la soie violine de Mary, la montre sans aiguille de Pierre, l'orbe déclinante d'Alessandro, le crayon roidi d'eau salée et tellement d'autres. Et, d'innombrables pieds nus lacérés, genoux écorchés, pelures de lin-peau en lambeaux, objets fétiches pieusement conservés. On se hâte. On s'entasse. On prie. Les souffles s'essoufflent en fièvre-braise. Maux et mots se perdent tels des chants hallucinés, emportés sur la houle iodée. Voltigent-ils vers l'adieu ? L'inaccessible étoile que nos cœurs chérissent ? Ou le rien ? Galère de misère, nous voici et tu nous emmènes avec toi.
Que de paquets de flots jetés sur le pont suintant ; nous en buvons plus que de raison. Violine, pâlissante, chuchote qu'elle n'en supportera pas davantage. Et, Orbe pleure sa lueur expirante. Et, Montre sans aiguille se grippe de sel, grince et nous distille malgré tout du courage. Pour ce qui est de Crayon, il déplore uniquement la nuisance de l'iode sur son noir de gris. Les larmes et les lames transpercent les êtres, les prémices de la tempête s'annoncent ; sombre horizon. Enlacés. Grelotants. Claquements de dents. Creux et crêtes oscillent la barque et les ventres nauséeux ; rien à vomir. Que peut-il y avoir de pire ? Pourtant, c'est en devenir ; les ombres nous estompent. Fureur céleste ; accrochons-nous au bastingage ; entamons la nuit.
La sorgue rugissante nous frappe sans égard, alliée à la tourmente qui cisaille les chairs ; duo Impitoyable ! Par instant l'ire du ciel nous illumine. Vision stroboscopique : faces striées unies par la trémeur. Le murmure des fidèles s'amplifie, s'emmêle à la colère et aspire à la clémence. Aux suppliques, Violine s'accroche. Montre crisse, hésite. Orbe vaincu s'éteint. Crayon s'étiole. Quel tangage et le pont glisse et emporte les tourments. Hurlements vite noyés ; sitôt omis. Aucun repos salvateur ; les cernes se creusent jusqu'aux joues pâles. S'allongent les heures ; la ferveur s'agrippe au ciel lourd. La tempête piétine. De rares flasques circulent pour quelques gorgées. Insuffisantes pour adoucir les insomnies brûlées d'écume. Se lève l'aube poisseuse.
Voilà que le vent se fait doux et le roulis complaisant. Les corps ramassés se lâchent ; c'est le temps du répit. Nous sommeillons. Certains plus encore ; confiés à l'océan, ils sont autant d'échecs cuisants qui rappellent nos insignifiances. Ainsi, Mary-Violine est-elle partie. Quelques ondes salées parcourent les visages avant que son esprit s'envole vers l'oubli. Une manne inespérée à portée de main ; aucune question. Arrachée. Mâchée. Avalée. Apaisées ; les panses sont lestées. Le ciel se déchire ; du bleu dans le chagrin ; naissent quelques sourires. Paresseuse, la journée passe et trépasse, la céleste s'allume.
Que de rivières d'étoiles à l'empyrée. Pas de Lune pâle. Le froid nous nappe et la féerie nous réchauffe. Alessandro dit que son orbe murmure leur souhait commun de ranimer la flamme. Ses yeux se ferment. Le sommeil ? Pierre caresse sa montre, si blanche de sel et mélancolique : ah ! ; retrouver les aiguilles perdues et l'antan. Crayon s'éfaufile et se tait. Il écoute la complainte océane ; elle bruisse de toutes les âmes englouties. Ses prisonnières chuchotent aux oreilles effrayées que d'autres captives sont nécessaires. Les vagues résonnent sur la carène, le son se propage ; est-ce un chant de baleine ?
Le bois craque, sinistre, la mer se soulève ; c'est la bête venue des abysses, elle enroule ses tentacules autour du mât de misaine et le secoue ; fétu de paille, coquille de noix ; serons-nous emportés ? Rejoindrons-nous les enfers ? Soudain un cri ; Pierre-Montre est passée par-dessus bord et il n'est pas le seul ; clameurs, corps capturés, broyés, jetés et les flots s'assombrissent ; cela va-t-il s'arrêter ? Le monstre desserre l'emprise, enfin ! Le navire dételé se balance encore sur la houle agitée ; l'agresseur plonge ; la mer a obtenu tribut. Sur le pont agrandit par l'absence, les sanglots se répandent. Dans l'affliction se finira la nuit.
Sous le grésil, la galère s'éveille ; projectiles glacés sur les âmes émaciées : la sienne aussi. Le bois grince avec douleur, les voiles effilochées sont guindées de gel ; la sorgue endiablée n'a rien épargné. Pour les survivants qui se trainent, brillants d'écumes crasses, ils se retrouvent surpris : la nuit les a rejetés sur ce matin, frissonnant, mais vivants. Quoique… quelques éclats ici et là. Nos cœurs se glacent ; l'Orbe d'Alessandro et lui, gisant : tous deux unis en leur dernière demeure ; périls et périple finis. Certains les envient. Crayon amollit de mélancolie, se réfugie au creux d'une fibrille embu ; seul pour pleurer les amis. Continuez d'espérer ? Les survivants se redressent, las, mais invaincus. Quelques suppliques ; moins de convictions.
Au soir, non loin de l'étrave, une côte dentelée se dessine. Mère d'espérance. Les coudes s'alignent au bastingage. Nos attentions se posent sur une silhouette lointaine, aux éclats d'or et d'argent, scintillante sous le couchant. Des mains se tendent, des doigts la désignent ; est-ce elle que nos cœurs espèrent ? Aucun doute en nos êtres. Dès lors, vogue la galère ! Elle fend les flots en direction du rêve qui… s'estompe. Reste juste du rouge. Rouge ? Oui, la ligne d'horizon est rouge. Et rouge encore. Pas de ce soleil embrasant les fins de journée. Non ! C'est le cramoisi du sang versé, celui qui coule de plaies à vif, celui qui souille les mains criminelles ; chaque recoin d'âme. Alors, les souvenirs s'échouent en vagues infinies sur les plages des consciences salies. La vérité se décille ; ce navire est alourdi de péchés, sa cosse se fendille. Crimes. Vols. Viols. Lâchetés. Complaisances. Cette traversée est une expiation ! La mémoire apporte avec elle la peur, la colère. Les prières désertes les esprits ; nul dieu ne pourrait les absoudre. Ainsi l'écarlate nous absorbe, sommes-nous résignés ? Quoi qu'il en soit, un regain de certitude nous saisit : ceci est notre dernier jour, ceci est notre dernier soir.
Voici les récifs.
Cette fois, Crayon se brise…
༄༄༄༄
Le vent referme mes pages qui se grignotent de sable gris. Le flux d'ondes les dévaste, les mêle aux corps, aux débris ; je fus bien utilisé, le temps du repos me happe, efface les lettres, les mots. Je m'endors ; je rentre à la maison.
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