JOURNAL DE NORBERT: LE VOYAGEUR
Hier, le village était plongé dans un silence épais comme une mauvaise purée. Un silence quasi insupportable. Je hais ces moments ! Comme je reposai mon verre, il m'a semblé entendre aboyer au loin. Du coup, j'ai tendu l'oreille. Maintenant, je suis capable de suivre les déplacements des clebs au son. Ils se sont rapprochés et sont entrés dans ma rue.
Je déteste ces chiens ! Eux, ils veillent attentivement sur moi.
Mais il y a eu un autre bruit qui m'a mis dans un état d'angoisse terrible. Des pas. Aucun doute possible ! Les pas d'un animal à deux pattes.
Mon premier réflexe a été de me cacher. Mais trois coups frappés à la porte m'ont assez rassuré pour que je réponde un « entrez » presque souriant. Les barbares ne frappent pas avant d'entrer...
La porte s'est ouverte lentement, les chiens grognaient. Ils étaient quatre, autour d'un homme lourdement vêtu. Il a fait tournoyer un solide bâton de marche, heurtant au passage quelques échines. Les clébards ont couiné et se sont débandés, fuyant avec entrain.
— Bien, je vois que vous savez y faire ! Je peux vous aider ? Vous cherchez quelque chose ?
— On cherche tous quelque chose.
J'ai pas trop aimé sa réponse, et j'ai hésité sur le ton à employer, en me disant qu'il valait mieux ne pas brusquer ce gaillard. J'ai poursuivi en lui faisant signe d'entrer :
— Venez, installez-vous. Moi, je suis arrivé dans la Haute-Vallée en 1995, à pied. Et je suis toujours là. On ne m'a pas remarqué parce que je n'avais rien de remarquable ! Mais je suis vivant ! On ne peut pas en dire autant de tout le monde.
— Je viens de Toulouse. Il n'en reste que des ruines.
Le voyageur avait fait cette remarque d'un ton si morne que j'avais senti comme un courant froid me traverser de part en part.
Il n'a pas eu besoin de poursuivre. Paris, Marseille, Jakarta etc... Il n'y a plus de ville, que des ruines. Internet n'a pas eu le temps de vieillir. Plus de télé, plus de radio, plus personne...
Annotations