JOURNAL D'AZALÉE: FUITE AVEC ÉLISA, 10.06.32

4 minutes de lecture

( SALOMON MARCHE )

10.06.32
J'ai été réveillée dans la nuit par des coups discrets frappés à la porte. D'abord, je me suis ratatinée derrière le canapé puis j'ai entendu une voix murmurer mon prénom. C'était ma copine, Élisa. Elle était affolée. Des bandes rôdaient dans les rues, pillant et incendiant tout sur leur passage. Ils s étaientnt tous bourrés et défoncés. Ils avaient abattu son frère et son père alors qu'elle arrivait au croisement, et ils avaient emmené sa mère... Élisa leur avait échappé en se cachant derrière une voiture en stationnement. Elle avait beaucoup pleuré. Je l'avais serrée dans mes bras et lui avais donné un verre de vodka...

La bouteille était presque vide. Des soldats patrouillaient dans le quartier, armes à la main. On ne s'était pas manifestées.

Élisa s'estt endormie sur le canapé. Toujours pas de réseau, pas de connexion... Papa, reviens, s'il te plaît.

J'adore mon père ! On joue souvent aux échecs ensemble, quand il est là... et on discute beaucoup mais il ne m'a jamais vraiment parlé de son travail. Maman non plus. Je pense qu'il est quelque chose du genre militaire car un jour il m'a dit :

— Je suis un guerrier, Azalée. C’est mon devoir de protéger ce à quoi je crois et ceux que j'aime.

Après ça, il est resté absent six mois.

Penser à lui m'a calmée. Du coup, je me suis rappelée de ses dernières recommandations, avant son départ. Je suis allée dans son bureau et j'ai trouvé, dans le placard trois sacs d'évacuation avec couchage ultra léger, pierre à feu, pharmacie d'urgence, de quoi purifier l'eau, boussole et d'autres trucs du même genre. Il y avait aussi un coffret avec trois armes de poing et des munitions. J'en ai réparti deux dans les sacs et j'ai gardé le troisième. Merci papa pour les leçons de tir. Je vais sans doute en avoir besoin... J'ai pris le poignard avec son étui et le ceinturon que j'ai bouclé autour de ma taille. Sur le manche, il y a l'emblème des Templiers et la croix occitane. J'ai coincé le dernier revolver dans la ceinture. Armée jusqu'aux dents... J'ai pris aussi un petit livre qu'il me faudra lire, papa me l'a demandé comme quelque chose d'important. Il a préparé tout ça depuis longtemps. Il savait... Du coup, j'ai un peu moins peur. Dans chaque sac, j'ai ajouté une gourde métallique d'eau et des barres de céréales qu'on utilise pour les randonnées. On marche beaucoup... Sur le mur du salon, j'ai écrit au marqueur le message convenu avec papa :

— On rentre chez nous.

Enfin, je rentre chez nous.

J'ai envie de pleurer, de me réveiller, et que ce ne soit qu'un cauchemar... Maman, Titoun... Mais je dois être forte, j'ai promis. Il doit me rejoindre « chez nous ». J'espère...

Quand je suis retournée au salon, j'ai trouvé Élisa réveillée, assise, le regard vide. Je me suis approchée et j'ai posé ma main sur son épaule. Elle a frissonné, elle était glacée. Je lui ai chuchoté :


— Faut partir, Élisa, j'ai préparé nos sacs, voilà les chaussures de marche de ma mère et un blouson. Ne fais pas de bruit.


Elle s'est préparée sans rien dire puis je lui ai tendu le flingue.

— Prends-le, ça va devenir l'enfer...

Sa bouche a fait un O, mais elle n'a rien dit. J'ai rectifié mentalement : c'est déjà l'enfer... Mais j'ai rien dit... Elle a pris l'arme, et c'était drôle de la voir passer la ceinture autour de sa taille avec des gestes si maladroits, quant à tirer... va falloir que je lui montre... J'avais comme un aboiement de rire hystérique coincé dans la gorge.

On a mangé un bout, assises par terre dans la cuisine, dans la pénombre. D'un coup, les lumières de la rue se sont éteintes. On a sursauté, dans l'attente, agrippées l'une à l'autre, en retenant notre souffle. Comme tout restait calme et silencieux, j'ai murmuré :

— On va sortir, sans bruit. Prends cette petite lampe mais ne l'allume surtout pas. Mets-la dans ta poche. J'en ai une aussi.

— On va où ? Sa voix était atone.

— Je vais t'emmener dans un endroit tranquille. Là où mon père m'a dit d'aller si le monde devenait fou. Un endroit où on sera en sécurité.

Elle était toujours en état de choc, je crois. Je lui ai mis le sac dans les mains, fermement. Elle m'a regardé d'un air effaré, réalisant que nous allions vraiment sortir. Moi aussi j'avais la trouille. Je l'ai serrée très fort dans mes bras et je lui ai dit :

— On peut pas rester ici, mais je sais où aller, viens !

Et on est sorties. Ma maison est au bout de la ville, après c'est la campagne, une route départementale.
C'était il y a trois jours. On suit le chemin que j'ai appris par cœur l'an passé et que je récite chaque jour, pour ne pas l'oublier. Il nous mènera en lieu sûr. On évite les agglomérations, on les contourne. On marche la nuit, pour ne pas se faire remarquer. Papa, je t'aime. Demain, on va devoir trouver à manger. On a fini les barres énergétiques. Je préfère ne pas trop y penser. J'ai pris tout l'argent que j'avais, mais ça ne servira à rien, ou alors à allumer un feu avec les billets. Pour l'eau, on a rempli les bouteilles dans les cimetières. Il y a toujours un robinet, pour arroser les fleurs. Mais maintenant, personne ne va s'en occuper et elles vont faner. Parce que maintenant, rien ne va plus fonctionner.

Élisa est allongée dans l'herbe. Elle a le regard fixe et des cernes violets. Elle me répond à peine quand je lui parle. On dirait qu'elle n'est pas là et je ne sais pas quoi faire pour l'aider.

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