Llordat voyagea principalement de nuit. Arrivé à Lesquerde en fin de journée, il se précipita dans la petite maison de sa grand-mère.

Ses parents et sa sœur, en train de manger, se levèrent d'un bond, l'embrassèrent, entre pleurs et rires. Quand il furent revenus de leur surprise, il demanda, ne la voyant pas, où était la Mamé.

— Elle nous a quittés. Deux jours après ton départ, lui répondit Llucia en pleurant.

— Elle était si fatiguée... ajouta sa mère, en se signant.

De nouveau ils se serrèrent les uns contre les autres, comme une harde ayant échappé au danger, à l'abri, dans les profondeurs de la forêt.

— Je suis tellement désolé pour la Mamé... Elle va me manquer.

— À nous tous... De toute façon, c'est mieux qu'elle ne voie pas ce que le monde est en train de devenir, conclut son père.

— Tu dois avoir faim...

— Oui maman.

Tout en mangeant, il leur raconta ses péripéties.

À l'évocation de ses blessures, sa mère devint très pâle et murmura que le monde allait vers le chaos et elle se mit à prier dans le silence de son âme.

Annabelle avait toujours prié, chaque matin, chaque soir et bien d'autres fois. Andreu, en chef de table, déboucha une bouteille de bon vin et ils trinquèrent à la mémoire de la Mamé et à leurs retrouvailles.

— Papa, maman, Llucia, j'ai quelque chose à vous annoncer et quelque chose à vous proposer.

— Bonnes ou mauvaises nouvelles ? demanda Llucia.

— Bonne et bonne.

— On t'écoute, dit Andreu.

— Alors, voilà, je crois que nous sommes les seuls habitants de Lesquerde.

— C'est exact.

— Est-ce que vous vous sentez en sécurité, ici ?

— Très moyennement, la maison est solide mais pas prévue contre des envahisseurs. Et c'est au milieu du village...

— Est-ce que vous seriez d'accord pour changer d'endroit ?

Il y eut un long moment de silence et il ajouta qu'il avait trouvé un lieu assez retiré et tranquille pour les accueillir tous.

— Et la deuxième bonne nouvelle ?

— J'ai rencontré une femme et...

— Tu es amoureux, mon fils, ça se voit ! Mais je voulais te laisser le plaisir de nous l'annoncer.

Il avait rougi. Certes ce n'était pas la première femme qu'il ait connue, mais il se sentait différent, il était en train de découvrir la force de l'Amour. Il n'était parti que depuis quelques jours et il se sentait tellement seul, et tellement accompagné, et pressé de rentrer...