RAYAN RENCONTRE ILÉA
Ils allaient passer à table quand deux légers coups frappés à la porte interrompirent leur conversation. Rayan sentit sa peur des Chasseurs reprendre vigueur et recula dans un coin sombre de la pièce tandis que Roman se levait en lui faisant un signe apaisant :
— Pas de panique, c'est une amie.
Il ouvrit la porte à Iléa, précédée de son panier rempli de plantes. Il faisait presque nuit.
— Bonsoir, Crin de feu, dit-elle en lui caressant la joue. Je t'apporte les plantes qu'il te fallait.
En posant le panier sur le tabouret, elle aperçut Rayan et recula, inquiète.
— Allez, Rayan, approche dans la lumière, tu vas effrayer une des compagnies les plus agréables de la région ! intervint Roman, et toi, ma chère, rassure-toi, ce n'est pas un pillard. Il est même presque bien élevé, pour un Villain.
Iléa perçut une ombre sinistre prendre son envol lourd et décrire de longs cercles patients. Elle se sentit partir et tendit les bras vers son ami qui la soutint et la fit s'asseoir.
— Ça va ?
— Oui, ça passe. C'est à cause de la vision... J'ai eu trop peur...
Encore sous le choc, Iléa tentait d'expliquer ce qui lui était arrivé quand elle se souvint du Villain. Elle se tut, le regardant d'un œil curieux, pensive. Roman semblait soulagé qu'elle n'en dise pas plus. Après tout, son invité était-il vraiment ce qu'il prétendait être ? Rayan reçut cette vague d'énergie froide au visage comme une gifle. Du coup, il reprit la parole avec une hâte un peu confuse :
— Je vous ai fait peur... Excusez-moi. Je m'appelle Rayan... Ce n'est pas dans mes habitudes de me cacher dans les flaques d'ombre.
Le geste qui ponctua ses paroles était si désemparé, presque enfantin qu'Iléa sourit. Il ressemblait à Zéline, la petite Zéline aux longues tresses.
— Bien, on m'appelle Iléa. Vous êtes un parent ?
— Iléa, je crois que tu devrais prendre un verre avec nous, en discutant, intervint Roman en la débarrassant de sa cape. Et toi, Rayan, je te laisse le soin de lui expliquer ce que tu fais ici. Pendant ce temps, je vais m’occuper de ces plantes.
Iléa écouta cet étrange inconnu faire le récit succinct de ce qui l'avait mené jusqu'ici. Elle l'écouta, sans bouger, sans l'interrompre, attentive à ses gestes, à son souffle, à ses silences autant qu'à ses mots. Elle avait la tête légèrement penchée de côté, comme si elle essayait d'entendre quelque chose de précis au milieu du vacarme. Quand il eut fini, il attendit, ne sachant qu'ajouter. Roman revint s'asseoir en soupirant.
— Qu'est-ce qu'elle a ? Qu'est-ce qu'elle écoute ?
— Ton âme, je pense, répondit-il, laconique.
D'un coup, le Villain se sentit mal à l'aise. Il claqua mentalement une porte avec colère. Iléa ne souriait plus. Elle l'observa attentivement et murmura :
— Tu sais faire ça, toi ?
— Faire quoi ?
— Fermer ta tête, comme ça, en claquant la porte !
— Je ne sais pas... répondit-il en détournant les yeux.
— Excuse ma curiosité.
— Ce n'est rien. Je suis juste un peu désorienté... Mais toi, que fais-tu avec ces plantes ?
— Je soigne les gens et les bêtes.
S'accoudant sur la table, le menton dans les mains, elle le cloua au mur, d'un regard incendiaire :
— Et je te demanderai la courtoisie du silence au sujet de mes activités.
— Je ne suis pas un espion, loin de là.
— Je te crois, intervint Roman, mais Iléa ne te connaît pas, et tu es très bavard...
— Tout ce que je vous ai raconté n'engageait que moi, ou des gens qui sont morts, répondit le jeune homme vexé.
— Comprends notre prudence...
— Je comprends... c'est normal. Et à part soigner tu peux en faire quoi, de ces plantes ?
— Il y en a qui servent de savon, d'autres de parfum. Il y a aussi l'Orca dont le pollen noir sert à souligner le regard des hommes de Syrius.
— Vous connaissez toutes les plantes ?
— Non, bien sûr que non. Quelle idée !
Roman regardait son amie parler de sa vie. À la lueur du feu ses yeux étaient brillants, presque rouges, et ses cheveux formaient un halo sombre autour de son visage. Elle était le feu. Il le voyait dans les mouvements souples de ses mains qui décrivaient les choses, dans ses sursauts quand elle réagissait à quelque propos. Il appréciait sa présence. Il pouvait même, à cet instant, s'avouer qu'elle lui manquait parfois... souvent... Il se redressa, surpris d'avoir loupé une partie de la conversation qui prenait une drôle de tournure :
— Mais, si ça ne s'apprend pas à l'école, bien que vous ayez des écoles, comment tu as appris à soigner ?
Iléa voulait mettre un frein à la conversation, mais ce jeune homme avait beaucoup de malice pour obtenir des réponses. Elle se tourna vers Roman :
— Il est rusé et en même temps naïf comme un enfant.
Elle s'adressa de nouveau à Rayan :
— Puisque tu as une âme d'enfant, je vais t'expliquer ça comme une histoire.
— J'aime bien les histoires. Mon père m'en a raconté des centaines. »
Roman avait rempli les verres. Il faisait doux. C'était une bonne heure pour les histoires.
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