ADESHA RENCONTRE RAYAN
Iris était belle dans sa robe bleu nuit... On murmurait autour d'elle. Regards pleins de reproches, curiosité, connivence.
Rayan sentit la force des flots d'énergie en mouvement. Il était pris d'une peur animale, viscérale qui remontait en flèche pour éclater dans son crâne. Il avait du mal à respirer. Des cris, des pleurs, tout brûlait autour de lui, l'air était irrespirable. Ses cheveux et sa barbe s'enflammèrent.
Une main solide agrippa son poignet et le tira en arrière, le fit asseoir.
— Hé , ça va ?
Il cligna plusieurs fois des yeux avant de répondre :
— Oui, ça va... je crois...
— Tu as les foies, petit gars. Tu as vu clair, n'est-ce pas ?
— C'est... c'est quoi voir clair ?
— Tu ne sais pas ?
Le ton était incrédule et rieur. Il lui fallut plusieurs minutes pour distinguer qui lui parlait. C'était une femme d'une beauté stupéfiante. Il pensa alors à une elfe issue d'un conte. Son visage légèrement ridé était diaphane. Il lui semblait voir un halo de lumière émaner de son corps.
— On ne devrait pas rester ici, dehors. On nous regarde. Suis-moi.
Il se leva, encore sous le choc et vacilla légèrement. Quelqu'un l'apostropha en riant et l'elfe répondit qu'il avait bu trop de ce bon vin et qu'une sieste lui ferait du bien, sans s'arrêter. Il la suivit, comme un somnambule, jusqu'à une petite porte sombre qu'elle referma sur eux. Il se laissa tomber sur une chaise, la tête dans les mains. Elle activa le feu et sortit une bouteille d'un liquide rouge aux reflets cuivrés dont elle remplit deux verres .
— Tu as besoin d'aide.
Le ton, paisiblement affirmatif le fit se redresser.
— Qui êtes-vous ?
— On m'appelle Adesha, je vis, ici, depuis cent quarante trois ans.
D'un geste souple, elle ôta son foulard sombre, dévoilant une chevelure aux reflets bleu turquoise.
— Je suis ce que l'on appelle une Différente. Sois le bienvenu, Rayan.
Elle s'était légèrement inclinée. Il capta du respect dans son regard et son geste.
— S'il vous plaît, expliquez-moi ce qu'il se passe. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Est-ce que je suis malade ? Est-ce qu'on m'a drogué ?
Elle le regarda, pensive, avant de répondre.
— Pauvre toi. Ils t'ont fermé les yeux et bouché les oreilles. Tu es un de ces hommes qui voient à travers le temps.
Il avait secoué la tête en signe d'incompréhension, de négation, de protestation.
— Tu ne sais plus ce que tu es. Ils te l'ont fait oublier.
— C'est ça les images que j'ai vu sur la place ?
— Oui. Alors, passé ou futur ?
— C'était très confus, mais futur. Le feu avait pris à ma barbe. Et je n'ai encore jamais porté la barbe ! Il avait répondu du tac au tac, sans vraiment réfléchir. Mais soudain il avait les poils qui se dressaient. Peur. tellement peur. Il étouffait. Peur, peur, peur.
Plus tard, il reprit ses esprits, roulé en boule dans un vieux fauteuil, près du feu qui ronflait. Les braises rougeoyaient au rythme des rafales. Le vent s'était levé en grande forme. Il serra la couverture et s'assit en grelottant. Braises dans son regard, dans son cœur et son âme.
— Tu vas t'habituer, sois confiant.
— Je crève de trouille.
— Tu as été conditionné pour ne pas utiliser tes facultés. C'est là qu'est ta peur. Et aussi dans cette petite chose qui est installée dans ton bras, sous ta peau.
— Qu'est-ce que je dois faire ?
— Tu vas nous aider, Rayan. Mais avant tu devras vaincre cette peur et te débarrasser de ta puce.
— Vous savez ce qu'il va se passer ?
Elle rit alors doucement, avant de le regarder droit dans les yeux en prenant ses deux mains dans les siennes.
— Non, je ne sais pas. C'est à toi de trouver la réponse à cette question. Et pour ça, tu dois réinvestir la totalité de ton être.
— Ça ne va pas être facile, j'imagine.
— Probablement. Rayan, on a besoin de toi, insista-telle doucement.
— Pourquoi ?
— Tu es le seul que nous connaissions avec un potentiel aussi élevé. Et on n'a pas le temps de chercher une autre perle rare. Le sénat nous a déclaré la guerre, ce matin.
— Et si je refuse ?
De nouveau, elle emprisonna ses mains et son regard. Il frissonna au contact de sa peau si douce et tiède et chassa vite cette pensée incongrue.
— Tu peux refuser, c'est ton droit le plus absolu. Nous respecterons ta décision.
— Qui, nous ?
— Nous sommes un petit groupe de personnes qui se sont préparées aux troubles à venir. Nous guiderons et aiderons les autres.
— C'est vous qui avez dit à Roman que je viendrais ?
— Oui.
— Comment m'avez-vous trouvé ?
— Nous connaissons beaucoup de monde. Maintenant, je te propose de boire ensemble un peu de ce vin de plantes avant de continuer la conversation.
— C'est quoi ?
— Un bon remède fait du vin de nos vignes dans lequel macèrent diverses plantes. Ne me demande pas lesquelles, je ne le sais pas. Ce que je peux te dire, c'est qu'il va nous mettre dans un certain état qui me permettra de commencer à te libérer de leur conditionnement.
Il faisait tourner le verre dans la lumière, hésitant. Qui était-elle réellement ?
— Ce sera long ?
— Tout dépendra de toi, et de ce qu'ils t'ont fait. Ce peut être très rapide, prendre des années ou ne jamais se produire.
— Ça va marcher, je le sens. Ils n'ont pas réussi à emprisonner mon esprit parce que...
Il s'arrêta, pris de vertige, de nouveau.
— Bois.
Obéissant à cette voix douce et ferme, il goûta à cette couleur si étonnante. La gorgée descendit lentement, allumant un feu ardent, lui donnant une sensation de bien-être et de paix comme il n'en avait jamais connu. (Décidément, ces Campagnards avaient bien des ressources..)
— Ça va mieux ?
— Oui, merci. Alors, je suis un Différent, moi aussi ?
— À ta façon, oui.
— C'est pour ça que la puce n'a jamais vraiment fonctionné sur moi ?
— Oui. Depuis quand le sais-tu ?
— Je m'en suis rendu compte à l'âge de douze ans. J'avais assisté à l'arrestation de deux hommes, en pleine rue. Ils n'avaient pas voulu se rendre et ils étaient morts, à quelques mètres. Leur puce les avaient tués aussi facilement que les balles. J'avais tout vu, j'étais terrifié. Les Chasseurs avaient un petit boîtier qui recevait les appels des puces. Et là le boîtier criait : alerte ! Quelqu'un dans la foule était en train de perdre le contrôle, et ce quelqu'un, c'était moi. Comme dans un mauvais rêve, je les voyais venir, guidés par le capteur. J'étais cloué sur place à l'idée qu'ils m'emmènent à l'école de rééducation. On nous en parlait dès notre plus jeune âge. Ça ressemblait un peu à un monstre. Alors, j'ai fermé les yeux et respiré profondément, comme ma mère me l'avait appris. Tout est devenu blanc. Je n'étais nulle part. Bien. Comme si je dormais. Quand j'avais rouvert les yeux, ils avaient chargé les deux cadavres dans leurs véhicules sombres.
— Sombres ?
— Personne ne sait de quelle couleur ils sont. Je suis resté plusieurs jours, comme en état de choc. Et, finalement, je me suis dit que si j'arrivais de nouveau à bloquer la puce je pourrais faire tout un tas de choses qui m'étaient interdites. Et j'étais bien content !
— Tu n'avais rien remarqué avant ?
— Non. Enfin, je ne me souviens pas.
— Tu as le temps de réfléchir à ton passé. Je dois aller à la réunion. Tu comprends qu'il n'est pas utile que tout le monde sache que tu es dans la région...
— Oui, on me recherche. Je vous attends ici.
— Il te faudra être prudent.
— Oui. Mais, dites-moi, la femme qu'ils ont battue, c'est une Différente, elle aussi ?
Adesha avait été surprise de voir avec quelle aisance il admettait l'existence des Différents. Elle avait pourtant senti, au début, une réelle hostilité. Il était vrai qu'Iléa n'avait rien d'effrayant et qu'elle était jolie. Enfin, avant. Une vague de pitié et d'inquiétude la fit se lever. Elle remit sa cape et noua son foulard sur ses cheveux étonnants.
— Oui, c'est une Différente. Comme toi. Et comme moi. Tu l'as bien compris. Je reviendrai quand nous aurons terminé. Il y a de la soupe au coin du feu et du pain. Ne m'attends pas pour manger.
— S'il vous plaît, vous me donnerez de ses nouvelles ?
— Je te dirai...
Elle sortit et referma la porte, sans bruit, le laissant seul, face à lui même.
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