QUAND SORTIR D'UNE ORNIÈRE DEVIENT UN ART...

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Iris avait peur. Elle devina qu'ils ne prendraient aucun risque cette fois. Deux solides gaillards l'encadraient. La jalousie lui collait la langue au palais. Elle avait soudain froid et sentait la mort rôder. Des larmes amères lui brûlaient les yeux.

Roman. Roman. Roman... Dans son cœur, elle répétait ce nom aimé comme une litanie, une prière qui pourrait changer le passé et en faire disparaître sa rivale. Elle ne voulait pas mourir et laisser sa place. Elle détestait cette peur qui lui glaçait le sang. Elle détestait ces gens qui la regardaient et leurs pensées acérées. Elle ferma les yeux, la tête lui tournait puis sa rage reprit le dessus :

— Et à votre avis, elle était où pendant deux ans qu'on ne l'a pas vue ? Là-bas, dans la forêt des Fanges... où il y a la vieille ! Et les Karzaï ! Qu'est-ce qu'elle y a appris comme vilains tours ?

— Les Karzaï sont Différents, mais nous les avons toujours côtoyés. Quant à Séréna, nous n'avons jamais eu à nous en plaindre, bien au contraire !

— Mais c'est une sorcière ! Tout le monde sait cela ! Quand elle vivait encore près de nous, elle l'a prouvé !

— Et c'est une grande chance car sans son aide nous n'aurions pas vaincu les Chasseurs ! Mais tu ne te souviens pas de ça, je pense. Tu avais... deux ans environ.

— Je connais cette histoire et d'autres, moins glorieuses !

— Nous savons cela aussi, mais vois-tu, un sorcier est avant tout un être humain avec ses limites et ses faiblesses. Comme nous.

— Et, Serena a longtemps été la seule ici à pouvoir nous aider. C'était il y a bien des années, quand tout allait mal.

— Peut être dois-je vous rappeler que nous ne savons même pas qui est vraiment Iléa, ni d'où elle vient ! On ne sait rien de plus que son prénom ! Elle est peut-être programmée pour nous espionner, voire pire !

Rama était pensive. Elle observait chacun se dévoiler peu à peu. Il y avait beaucoup de peur dans les propos échangés. Personne n'avait oublié la vague de répression qui avait fait tant de victimes avant l'intervention de Séréna. Adesha prit la parole :

— J'ai pris soin d'Iléa pendant près de huit ans et je n'ai rien remarqué de spécial ! Elle était comme les autres enfants.

— Qu'est-ce que tu en sais ? gronda Iris. Après tout, tu es toi aussi une Différente !

Iris ne désarmait pas. Elle avait perçu une mince possibilité de se sortir de ce mauvais pas. Elle le savait, elle n'était pas la seule de cet avis. Même si cette sorcière soignait, elle restait une inconnue et certains lui préféraient Camilion qui lui était né ici.

— Alors, pourquoi, au bout de huit années, l'as-tu confiée à Serena ? Puisque tu l'as élevée comme ton propre enfant pourquoi t'es-tu séparée d'elle ?

Les deux femmes s'affrontèrent du regard. Iris poursuivit :

— Peux-tu nous dire pourquoi ?

— Parce qu'elle avait des capacités qui la mettaient souvent à l'écart.

— On peut savoir quelles capacités ?

— Les jeux finissaient souvent en disputes parce qu'elle devinait toujours où les autres enfants étaient cachés, ou s'ils avaient l'intention de lui faire une blague. Des choses comme ça.

— Et juste pour ça, tu l'as envoyée là-bas.

— Je ne l'ai pas abandonnée, elle revenait quand elle le voulait et j'allais aussi la voir. Là-bas, elle vivait sans déranger personne.

— Vraiment ?

— Je l'ai confiée à la personne que je pensais la plus apte à l'aider.

Rama percevait de l'inquiétude dans la voix de Adesha. Iris reprit :

— Donc, tu l'as envoyée chez Serena parce qu'elle était différente des autres enfants.

— Oui, je pensais que ce serait mieux pour elle...

Iris avait inversé les rôles. C'était elle qui interrogeait, à présent. Elle allait abattre sa dernière carte. Mais elle voulait s'amuser encore un peu avant.

— Qu'est-ce qui peut être mieux, pour une enfant si jeune, que d'être arrachée à son foyer et confiée à une sorcière, au milieu de la forêt ?

— Les autres enfants se moquaient d'elle. Puis ils ont essayé de lui faire commettre de mauvaises actions, juste pour s'amuser. Et là j'ai décidé de l'éloigner du village.

— C'est une solution comme une autre. De quelles mauvaises actions parles-tu ?

— Ils voulaient qu'elle devine où les gens cachaient leurs bijoux, par exemple. C'étaient les plus grands, comme Jordan. Il avait quelques années de plus et menait les autres.

— J'en conviens, il fallait intervenir, ironisa la jeune femme.

Elle marqua une pause puis demanda insidieusement:

— Es-tu certaine de n'avoir rien oublié ?

Adesha eut un frisson glacé. Le regard brûlant de rage, Iris poursuivit :

— Tu ne nous as pas tout dit, tu as omis l'incident qui t'a poussée à agir. Je vais te rafraîchir la mémoire, Adesha. Arrête-moi, si je me trompe... C'est arrivé un jour où tu l'avais punie. Elle était tellement en colère qu'elle a mis le feu à tes vêtements.

La vieille femme était atterrée. Elle ne comprenait pas comment cela avait pu se savoir. Elle n'en avait parlé qu'à Serena...

— Écoutez bien ! Le plus important n'est pas qu'elle ait mis le feu, mais comment elle l'a fait ! Et je vais te le dire ! Elle a tendu les mains en criant, et ta jupe s'est enflammée !

Iris se tut, et prêta une oreille attentive aux murmures d'étonnements dans l'auditoire. Son regard perçant et rapide enregistrait les réactions. Elle ne se sentait plus si seule, cependant, sa révélation n'avait pas eut autant d'effet qu'elle l'espérait. En créant un précédent bénéfique pendant la révolte contre les Chasseurs, Serena avait préparé les esprits à ce genre de prouesses. Et, même si quelques uns avaient toujours quelques réticences, vis à vis d'elle, ils s'étaient habitués à cette idée.

— C'était il y a longtemps. Maintenant, je vais vous raconter une anecdote bien fraîche puisqu'elle date de la semaine dernière. Ça fait de longs mois que je la surveille. Elle est récemment restée huit jours absente, vous l'avez remarqué, peut-être. Donc, je revenais tardivement de chez ma cousine, et je l'ai vue sortir de la forêt avec Roman. Ils ont discuté quelques instants devant chez elle, et il est parti.

— As-tu entendu ce qu'ils disaient ? demanda Rama.

— Non, et je le regrette. Elle était dans un état lamentable, sale, les cheveux emmêlés et pleins de brindilles et de feuilles, la robe en lambeaux. On aurait dit une bête sauvage. Elle est rentrée chez elle, et, comme la porte était restée ouverte, je me suis approchée, sans bruit, et voici ce que j'ai vu : elle a mis des brindilles dans la cheminée et elle a étendu les mains au dessus. Après quelques secondes, ça s'est enflammé !

TOUT SEUL !

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