VEILLE ET ESPOIR
Roman et Camilion s'étaient installés près d'Iléa pour la nuit. Ils avaient éteint les bougies, la lumière du feu qui dansait leur suffisait. Roman soupira, calé dans un vieux fauteuil. Maintenant qu'il s'était avoué son amour pour elle, la jeune femme était aux portes de la Mort. Il prit sa main dans les siennes et la caressa doucement.
— La vie est vraiment très étrange, murmura Camilion.
— Oui. Et si j'avais été plus attentif aux signes, tout ça ne serait pas arrivé.
— Peut-être pas, tempéra le Soigneur.
— Écoute : il y a quelques temps, Iléa m'avait dit qu'elle était inquiète. Elle avait comme un mauvais pressentiment, je n'aurais pas dû la laisser seule.
— Elle n'a pas su se protéger non plus. Roman, elle savait depuis longtemps que Jordan mûrissait sa vengeance et qu'il reviendrait.
— Elle t'en avait parlé aussi ?
— Il y a quatre ans, Adesha en avait évoqué l'éventualité. Nous étions allés aux champignons et je pensais qu'il valait mieux ne pas trop s'éloigner. Iléa avait haussé les épaules d'un geste fataliste en disant qu'il est difficile d'échapper à son destin. Elle savait que cela arriverait et j'ai eu l'impression qu'une part d'elle-même l'avait accepté.
— Pourquoi ? On aurait peut-être pu se débarrasser de Jordan...
— Il est resté au loin toutes ces années. Son équipe travaillait beaucoup plus vers l'Est. On l'a sous-estimé. On l'a même oublié pour être exact. Mais pas lui. Et les Villains se sont servis de sa rancune pour nous déclarer la guerre. Ça, ce sont les faits.
Iléa gémit. La fièvre prenait possession de son corps. Camilion se leva pour aller chercher une bassine d'eau fraîche et un linge qu'il tendit à Roman en disant :
— Rafraîchis-lui le visage et les pieds pour faire baisser sa température pendant que je vais lui préparer une tisane. Maintenant, la fièvre est plus dangereuse que ses blessures.
Malgré leurs soins attentifs, sa température augmenta encore, la faisant délirer. Puis, au petit matin, la jeune femme se calma d'un coup. Roman posa sa main sur son front brûlant et leva les yeux vers Camilion :
— Elle va mourir...
— Non, nous allons la sauver !
Les deux hommes se retournèrent, surpris. Adesha était entrée sans bruit, accompagnée de Rayan. Avant que le jour ne se lève, elle avait décidé d'envoyer celui-ci chez Séréna. Mais il avait insisté pour voir Iléa avant de partir et elle avait cédé.
— Adesha, murmura Camilion, j'ai bien peur de ne pas être à la hauteur.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Elle s'affaiblit d'heure en heure. J'ai l'impression que toute l'énergie que je lui envoie est aspirée dans un gouffre. Je ne sais que faire de plus.
— Il faut la conduire chez Séréna, trancha l'étrange femme aux cheveux bleus. Roman, il nous faut un cheval paisible. Camilion, prépare le travois. Je m’occupe d'Iléa.
Au regard interrogateur que lança Camilion vers Rayan, elle répondit :
— C'est le jeune homme que j'attendais. Il doit absolument voir Séréna, lui aussi. Il accompagnera Roman.
Quand ils furent prêts, Adesha s'adressa à Rayan :
— Tu vas faire chemin avec eux, si tout se passe bien. Mais si vous vous trouvez séparés, tu devras continuer seul. Alors, écoute-moi bien : pour aller chez Sere+6na, la Sorcière, il faut marcher jusqu'à la lisière des Grands Bois et, avant de t'engager sous le couvert, n'oublie dpas de la saluer.
— D'accord, d'accord, siffla Rayan nerveux, et je dis quoi ? " Salut Vieille Dame, je suis dans l'embarras et j'ai besoin d'un sérieux coup de main ".
— Sois juste respectueux, elle nous a toujours aidés et elle n'a jamais rien demandé, intervint Camilion.
— Ça va... J'ai la trouille, c'est tout.
— Tu verras, ce n'est pas si terrible, reprit Adesha. Tu marcheras ensuite droit devant toi, et tu la trouveras.
— C'est tout ? ! s'exclama le jeune homme, sceptique.
— Pour rejoindre Séréna, il faut plonger dans les Grands Bois et s'y noyer. Il faudra t'y perdre et t'oublier, jusqu'à faire partie des arbres et des rochers. C'est elle qui te guidera. Ne cherche rien de logique là-bas. C'est de Magie dont je te parle. Roman s'est déjà perdu plusieurs fois dans les Grands Bois. Reste avec lui !
Rayan prit une profonde inspiration et ravala ses questions. Ce n'était pas le moment...
— Maintenant, partez, et ne traînez pas !
Ils s'embrassèrent puis Roman prit le cheval par la bride d'une main douce et ferme et ils s'éloignèrent, fantomatiques silhouettes vite effacées par la brume d'automne. Adesha regagna rapidement son logis mais Camilion resta dehors jusqu'à ce que le silence ait reconquis les lieux. Il finit par rentrer et s'allongea près du feu, enroulé dans une épaisse couverture de laine. Il laissa son esprit s'alléger, s'étirer, se faufiler par la cheminée au dessus de sa tête et prendre son envol. C'était toujours une expérience terriblement agréable... Puis, ayant trouvé un hôte apte à l'aider, il se glissa dans le corps d'un hibou.
Il l'avait choisi pour sa vue perçante et son vol discret. Ils parcoururent la région, fouillant chaque centimètre de terrain, à la recherche d'un éventuel danger pour les voyageurs. Puis, quelque peu rassuré, il remercia son nocturne ami, libre de commencer sa chasse. Camilion n'avait pas d'entrain, ce soir là, pour partager la saveur et la douce tiédeur de la chair d'une souris, et la lourde satisfaction du ventre plein, au cœur des arbres qui chuchotaient en se balançant.
Il voulait dormir, bien serré dans sa couverture, près du feu paisible. Il était inquiet pour Iléa. Il ne comprenait pas pourquoi elle s'affaiblissait ainsi. Quelque chose n'allait vraiment pas... Sa dernière pensée, avant de s'endormir, fut pour Séréna. Il avait longtemps été son élève et, comme aujourd'hui, il lui arrivait encore de lui demander aide ou conseil.
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