LA TRIBU, INSTALLATION À CAMPO
Profitant de l'arrière saison clémente, la Tribu avait commencé à s'organiser. Salomon apprenait à connaître chacun, patient avec les enfants, respectueux envers Séréna. Travailleur infatigable, il avait réparé le toit, les portes de la grange et de la maison avec des matériaux récupérés sur les autres ruines. Ils avaient séparé la pièce en trois zones délimitées par des parois de branchages tressés, au centre le foyer et l'espace commun, d'un côté la partie dédiée aux garçons et de l'autre celle des filles. Le sol des chambres était recouvert d'un épais tapis de feuilles et d'herbes aromatiques sèches.
Salomon se sentait responsable de leur sécurité à tous. Ils avaient aussi récupéré tout le bois mort des alentours. Sous la direction de la vieille femme, ils récoltèrent et cueillirent tout ce qui était comestible et stockèrent ces provisions dans la grange, plantes suspendues aux poutres, fruits sauvages séchés dans des paniers qu'ils avaient tressés. Séréna connaissait bien tout ça.
Ils étaient très mal équipés, chacun n'ayant pour se protéger du froid qu'une couverture et une poignée de vêtements, Salomon organisa donc une expédition de récupération, emmenant Luis, Irma et Solo. Il prévoyait environ deux semaines pour être de retour. Séréna resta pour garder le camp.
Les deux premiers jours, elle se sentit inquiète, comme surveillée, mais ne voyant rien ni personne, elle se dit que ce devait être dû au vide laissé par le départ de sa tribu.
Elle s'était attachée aux enfants, et à cet homme silencieux qui aurait pu être leur père.
Elle se demandait aussi si cette vallée avait été habitée avant les Maladies, s'ils avaient fait fuir quelqu'un...
Finalement, un matin très tôt, elle fut réveillée par des grognements étranges. Elle sortit et découvrit un ours à la lisière de la forêt, aussi surpris et effrayé qu'elle. Ainsi c'était lui la présence qu'elle avait ressentie. Elle en fut plutôt soulagée. Il lui sembla même avoir un comportement meilleur que les humains. Cette pensée lui permit de dépasser sa peur et l'ours, après avoir fouillé dans le compost et mangé les quelques maigres restes, se lécha le museau, s'assit et ils s'observèrent un long moment.
― En fait, on se ressemble un peu, murmura-t-elle.
Elle était belle dans le soleil renaissant, une longue tige aux membres noueux et secs. Son visage aux pommettes hautes, éclairé par deux yeux bruns aux reflets oranges, était serein. Une partie de ses rides s'étaient effacée depuis qu'elle était arrivée ici.
Elle se dit que c'était dans cette vallée qu'elle vivrait le reste de son existence, dans cet écrin de verdure. Elle passa une main osseuse dans les boucles blanches de sa chevelure embroussaillée et sourit.
L'ours faisait un brin de toilette, aussi paisible qu'elle. Il finit par se lever et se frotta le dos contre un arbre avec un plaisir évident. Ceci fait, il jeta un long regard à l'étrange créature au pelage si clair et retourna dans la forêt sans hâte. Il revint chaque fois qu'elle était seule au camp, jusqu'au jour où le temps du sommeil fut arrivé et qu'il s'installa dans sa tanière pour sa longue nuit annuelle. Séréna sut alors que l'hiver était sur le seuil de l'horizon.
Le petit groupe revint dix jours plus tard. Séréna les entendit rire de loin, mais ce qu'elle entendit ensuite la fit bondir de joie. Le pas d'un cheval et mieux encore, des bêlements ! Des moutons ! Dans ces circonstances où tout était à recréer, c'était une manne précieuse pour l'habillage.
Quand ils ne furent plus qu'à quelques mètres, elle vit le visage rayonnant de Solo tenant un magnifique cheval de travail par la bride, et ce géant se laissait mener par cet enfant si petit et fluet, en lui reniflant régulièrement les cheveux.
Irma suivait, devenue bergère, menant, de sa houlette, une dizaine de brebis joyeuses. Le Percheron s'arrêta devant Séréna, tendant le cou pour qu'elle le caresse. Pauvres animaux esseulés brusquement, ou pire, morts de faim et de soif, enfermés, attachés... Luis, perché sur le cheval, très fier, tenait dans ses bras un chat roux bien touffu.
Ils ramenaient, sur la charrette, des meubles, quantité d'outils, de linge et vaisselle, de vêtements, chaussures de diverses pointures, gamelles, conserves, quelques jeux de société, des livres et de quoi écrire. Et, trésor inestimable, dans une caisse garnie de paille, cinq belles poules et un coq.
Elle embrassa les enfants et posa quelque secondes une main sur l'épaule de l'homme, en remerciement.
Ce soir là, ils veillèrent tard, chacun laissant libre cours à sa joie et sa confiance en l'avenir. Le voyage commencé à Béziers s'achevait ici, à Campo, après de longs mois de route.
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