RAYAN FAIT CONNAISSANCE D'ILÉA, Et toi, que viens-tu faire là
Elle avait achevé sa phrase à voix basse avant de se cacher le visage dans les mains. D'un coup, sa colère l'avait quittée. Rayan ne savait s'il devait rester ou pas. Elle avait l'air très humaine cette sorcière. Et pas tellement dangereuse. Elle avait surtout l'air comme tout le monde. Et tellement triste.
— Je suis désolé...
— Ce n'est pas ta faute. Vos chefs vous mentent pour conserver leur pouvoir. Mais les villes finiront par s'auto-dévorer.
— Rien n'est certain. Le sénat parle de créer des zones d'extension aux cités surpeuplées, hors des murs mais sécurisées.
— Sécurisées contre quoi ? Les Différents ? Les Extra-terrestres ? Les indigènes comme nous ?
— Contre tout ce qui fait peur. C'est très bon la peur, ça rend obéissant.
— Et toi, qu'est-ce que tu fais, au milieu de tout ça ? Qui es-tu ?
En posant cette question, elle avait sondé l'esprit de cet homme qui l'inquiétait, avec la légèreté d'un papillon, sans trouver trace du Mal. Pourtant, son instinct lui chuchotait: danger.
— Je vous ai déjà tout raconté.
— Et c'est bien peu.
— Oui, c'est peu, vouloir juste vivre libre, décider de notre vie, de nos envies, de nos amours... Choisir le sens de notre vie...
— Et ça, ça vaut les travaux forcés...
— Ils ont surtout découvert que ma puce ne fonctionnait pas bien et... que je ne l'avais jamais signalé.
— Ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire que je pouvais mentir, voler et même tuer sans que cela n'alerte les Chasseurs. Et ils ne pouvaient pas me manipuler grâce à elle comme les autres.
— Alors tu es un de ces Naturellement Résistants dont on parle tant !
— Oui, ou Natur, pour vous servir.
— Vous êtes nombreux ?
— J'en connais deux autres, ma mère qui est encore en vie et un ami qu'ils ont désactivé, c'est leur mot pour dire exécuté.
— Je suppose qu'ils veulent te récupérer.
— Pas nécessairement. Après tout, je suis un très mauvais Villain. Je n'aime pas l’ordre ni les couvre-feux. J'ai besoin de découvrir et d'échanger au lieu de rester devant l'écran. Je suis un mauvais exemple, trop curieux, trop vivant.
Toujours ce signal de danger...
— Mais tu es un problème pour eux.
— Oui, j'ai les Chasseurs à mes trousses mais je ne pense pas qu'ils vont m'arrêter. Il est plus probable qu'ils m'abattent dès qu'ils en auront l'occasion. Il y a trop longtemps que je les fais courir. Ils ne prendront pas le risque que je leur file entre les doigts une troisième fois.
— Qu'est-ce que tu vas faire ?
— Je ne sais pas. Et je ne peux pas vivre traqué toute ma vie...
— Je comprends.
Ils se turent, chacun à ses pensées. Roman servit la soupe et remercia puis ils mangèrent en silence. Rayan observait les deux campagnards. À les voir échanger de longs regards pleins de couleurs, il aurait juré qu'ils étaient dans une intense conversation. A la fin du repas, devant son air interrogateur, ils s'excusèrent, gênés d'avoir quasiment oublié sa présence, tout au bien être de se retrouver. Iléa se leva, récupéra son panier et sa cape, salua le Villain et caressa la joue de Roman avant de sortir et de s'éloigner rapidement.
— J'ai dit quelque chose qui ne lui a pas plu ? s'inquiéta Rayan.
— Non, elle rentre chez elle, je pense.
— Elle est partie si vite...
— C'est son habitude.
— Et vous parliez vraiment sans parler ?
— Pas vraiment, nous étions juste au-delà des mots.
— C'est quoi ?
— C'est un peu comme rêver. Et en parlant de rêver, je vais me coucher. Tu ferais bien d'en faire autant. On a encore pas mal de bûches à remuer demain. Installe-toi sur cette paillasse.
— Elle t'aime beaucoup, on dirait.
— Nous nous apprécions.
— Et...
— Plus de questions ! Je veux dormir ! Bonne nuit, Rayan.
C'était sans appel. Ils s'allongèrent dans le noir. Une chouette hulula. Rayan s'étira. Elle était belle, la sorcière. Une étrange mélancolie lui vint au souvenir de la façon dont elle et Crin de Feu se regardaient. La vie...
— Et toi, que viens-tu faire là, ricana La Rumeur moqueuse dans sa tête.
— Tais-toi ! Va t'en !
— Non, je veux être avec toi, tout le temps !
— Tais-toi !
Rayan mit longtemps à trouver le sommeil, se tournant et se retournant sur sa couche, cherchant comment se débarrasser des Chasseurs.
Car sa place était vraiment ici, quoiqu'il advienne, quoiqu'il puisse lui en coûter.
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