ÉVACUÉS, ENFIN !
Arkan fut tiré de l'inconscience par une étrange agitation silencieuse. Il ouvrit un œil hésitant, l'autre était trop gonflé. Trois hommes s'activaient.
Peur animale.
— Chut ! On te sort d'ici !
Une voix dans sa tête, impérative. Étonnement. Éclaircie. Douleur.
On lui avait ôté les fers. Il regardait, depuis le haut de la pièce, des hommes charger son corps sur un brancard.
— Reste près de la Lumière !
La Femme Douce...
Ils avançaient sans bruit, à travers le dédale des sous-sols. La conversation n'avait pas de bouche. Ils communiquaient d'esprit à esprit, directement.
— On prend tous ces risques pour faire sortir un cadavre !
— Il n'est pas mort, et on a sorti aussi tous les autres ! Avance ! C'est pas le moment de discuter !
Balancement de la civière. Douleur. Les yeux noisette.
L'air du dehors, parfum délicieux. Une rafale de bonheur soutint le blessé. Froid. Nuit noire, compatissante.
Ils le posèrent sur le sol, sous un arbre et s'éloignèrent. Une haute silhouette approcha, s'accroupit près du corps inerte et chuchota :
— Je te salue, Poète... mal en point.
Arkan avait reconnu cette voix grave et caverneuse. Il fit une grimace et murmura péniblement :
— Dorian, écoute...
L'homme se pencha tout près.
— Dis à Sirius que Saphira veut l'éliminer rapidement...
— D'accord. Mais toi, promets-moi de t'accrocher. On a besoin de toi. N'oublie pas que la vie est belle ! Je pars de suite chez Sirius. Les deux convoyeurs te mèneront chez les Sylves. Ils ont les meilleures guérisseuses que je connaisse. Tiens bon, mon ami !
Dorian tourna les talons et s'éloigna rapidement en se disant qu'il ne reverrait probablement pas Arkan vivant. Il avait senti la mort rôder autour de la civière... Il récupéra sa monture et partit au galop. Il lui faudrait quatre jours pour arriver là-bas.
Les deux hommes avaient récupéré la barque qu'ils savaient cachée à quelques pas et y avaient installé le blessé, au fond, enroulé dans une couverture. L'un tenait les rames et l'autre un arc, prêt à tirer. Ils remontaient le courant lentement dans la brume. Le froid humide faisait grelotter le blessé, mais il souriait, son âme blottie contre celle de la Femme Douce.
Enguerrand suivait son guide, à travers la forêt pour rejoindre le premier groupe chez les Sylves. Il n'avait pas pu voir son frère, mais l'homme lui avait affirmé qu'il était vivant, très faible mais vivant et qu'il pourrait le vérifier dès leur arrivée.
Il marchait, tête baissée, sans penser. Il faisait taire les protestations de son corps fatigué, courbaturé, raidi par la peur, affamé. Il ne pensait à rien d'autre qu'à avancer pour mettre le plus de distance possible entre Saphira et lui, pour retrouver son frère. Il marchait, plein de peur et de rage, insensible au froid mordant, protégé par sa colère.
Sans-Part et deux rescapés avaient pris un itinéraire différent, à dos de mules qui devaient les mener derrière les montagnes, à Barcas, où le commerçant avait de nombreux amis. La mer... Il s'en réjouissait d'avance. Ses co-détenus seraient confiés à de braves gens. Leur esprit en déroute avait besoin de paix, d'air et de lumière pour réintégrer leurs pauvres corps ravagés par les privations et la violence.
Il leur faudrait du temps pour guérir et commencer à oublier. Mais le vieux couple qui les accueillait allait vivifier de sa tendresse leurs pauvres âmes épuisées. Tout l'amour qu'ils avaient pour leur fils avalé par la mer irait à leurs protégés. Ces captifs effarés reviendraient de leur croisière dans l'horreur au bout de longs mois de patience.
Après deux heures de navigation, le premier groupe avait accosté. Arkan était inconscient. Une ombre les attendait, maintenant par la bride deux chevaux attelés à un chariot léger sur lequel Il fut installé et chaudement couvert. Ils enlevèrent leur chargement au petit galop. Les deux premiers convoyeurs cachèrent la barque et s'éloignèrent vers le Nord. Ils allaient se terrer quelques jours dans une grotte et en sortiraient chacun à quarante huit heures d’intervalle et par un tunnel différent.
Le berger retrouva son troupeau et son complice disparut.
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