L'enfant avait perdu le fil du temps et serait passé devant Serena sans la voir si elle ne l'avait pas appelé d'une voix douce. Il s'arrêta, se demandant s'il avait rêvé puis, voyant que la vieille femme était bien réelle, il se jeta dans ses bras, mêlant rires et sanglots. Il embrassa Irma aussi et quand il fut un peu calmé il leur dit que " Salomon était blessé et très malade, assis dans l'herbe, à vomir, près du lac ".

— Conduis-nous jusqu'à lui, je te prie.

— Oui Serena, mais je cours, je suis fatigué.

— Je te suis, Luis, marche à ton rythme. Irma, va chercher Llordat, dis-lui de venir avec le cheval et la charrette.

Quand, de loin, elle aperçut Salomon, assis adossé au tronc d'un arbre, livide, les yeux levés vers le ciel, la vielle femme sentit qu'il était vraiment très mal en point. Elle s'agenouilla et lui prit la main.

— Pauvre Salomon, te voilà blessé...

Il eut un maigre sourire étonné. Elle souleva le tee shirt pour examiner sa blessure. La balle était entrée sous la clavicule. L'extraction ne serait pas facile. Cependant, le danger que sentait Serena venait plutôt de cette énorme bosse qu'il avait derrière la tête. Il eut une nouvelle nausée et elle commença à craindre un traumatisme crânien.

— C'était bien pratique, l’hôpital... ricana La Rumeur.

Assis dans l'herbe, Luis se balançait d'avant en arrière, tenant la main de son gros papa, en chantonnant. Serena posa la main sur la tête avec tendresse en disant :

— Luis, je sais que tu es fatigué, et que tu as peur dans le noir, mais on va rester ici. Salomon est blessé et on va attendre les autres avec lui.

— Oui, on ne peut pas le porter. Je suis pas assez fort, et toi, tu es vieille.

— Oui, c'est vrai, donc on a besoin d'aide. En attendant, va mouiller mon écharpe dans le lac pour rafraîchir sa tête.

Quelque peu soulagé par l'eau froide, Salomon soupira, les yeux plongés dans le moutonnement des nuages du ciel nocturne. Quinze minutes plus tard, Alba arriva en courant, toute essoufflée, annonçant que Llordat serait là dès que possible. Ils avaient rencontré Irma plus haut, l'avaient écoutée avec attention et lui avaient conseillé de rentrer et d’allumer une flambée pour leur retour, pendant que Llordat attelait Azen, la jument. La peur rôdait autour du petit groupe. Salomon vomit de nouveau en gémissant.

Alors Serena fit la seule chose qu'elle pouvait à cet instant, elle pria, puis lentement elle posa ses mains juste au dessus de lui. Elle demanda de l'aide pour sa guérison, pour qu'il ne parte pas déjà. Parce qu'ils avaient besoin de son énergie. Et parce qu'ils l'aimaient tous, cet homme calme et courageux. Elle fit trois passages au dessus de sa tête et alla directement plonger ses mains brûlantes dans l'eau du lac. Alba,très inquiète, l'avait couvert avec sa propre veste et lui tenait la main.

Et voilà comment le destin les secouait ! Un médecin du temps d'avant la fin de notre civilisation veillait, avec une sorcière improbable, sur la vie d'un criminel blessé par un psychopathe alcoolique, un criminel désespéré qui leur avait permis de survivre, dans un monde en plein effondrement. La peur lui serrait la gorge. Jamais elle n'aurait imaginé vivre ça...

Salomon respirait lentement, les yeux fermés, comme endormi. Serena, revenue, s'essuyait les mains dans le bas de sa robe.

D'après les récits de chacun des protagonistes recueillis par Pistoleta.