Martin avait assisté à l'altercation et s'était éloigné. Il se sentait gêné de n'être pas intervenu même s'il y avait eu suffisamment de monde pour régler le problème. Il se sentait surtout faible, n'ayant ni les connaissances, ni les réflexes, ni l'énergie d'un combattant.
Il avait passé des mois seul dans la montagne avec la peur de ses semblables et n'avait pas envie de revivre ça.
Dans son esprit une idée faisait son chemin au pas de son angoisse.
Assis devant sa maison, occupé à ses réflexions, il n'avait pas vu Mickaël arriver et sursauta quand celui-ci le salua.

— Désolé de t'avoir surpris.

— Pas grave. J'étais perdu dans mes pensées.

— Ça arrive...

— Oui. Mais ça devient un peu dangereux.

— Pas tellement plus qu'avant, en ville ou dans le métro.

— Je n'ai jamais habité en ville, ce n'était pas mon monde. Je vous offre un verre ?

— Avec plaisir.

Martin alla chercher verres et bouteille et leur servit une rasade d'hydromel. Ils trinquèrent au Nouveau Monde, savourant le breuvage calmement, s'observant sans gêne.

— C'est excellent. C'est toi qui fais ça ?

— Oui, c'était mon métier. Enfin, si on peut dire, je travaillais les alcools clandestinement.

— Au noir, on peut le dire, maintenant.

Mickaël dégusta son verre en réfléchissant. Il sentait l'inquiétude de Martin flotter autour d'eux, et une attente aussi.

— Tu as conservé ton matériel ?

— Je l'ai récupéré et amené ici, je suis du coin. J'étais parti dans les Pyrénées me mettre au vert pour ne pas me faire vacciner contre la Berce. Je suis resté deux ans dans la forêt.

— C'était sage. Ce vaccin a tué plus de monde que le Covid.

— Et vous, vacciné ?

— Ni contre l'un, ni contre l'autre. J'avais des connaissances...

— Vous êtes un groupe uni, il me semble.

— Nous travaillons ensemble depuis longtemps, notre amitié est solide.

Mickaël attendit la suite, laissant à Martin le temps de se dévoiler sans le brusquer. Il le sentait prudent, fragile mais déterminé aussi.

— C'était quoi votre boulot?

— On peut appeler ça « para-militaire », des missions spéciales et des actions discrètes.

— Ah, vous savez vous battre, alors.

— On peut dire ça.

Demi-sourire de Mickaël. Martin les resservit en silence et reprit :

— Votre ami a été blessé, c'est grave ?

— Pas trop, Guilhem est arrivé à temps, ça aurait pu être pire.

— Tant mieux. Je voudrais vous demander quelque chose.

— Si je peux vous aider...

— Nous, on est des gens comme tout le monde. Et des types comme Alan et ses potes, il doit y en avoir d'autres.

— C'est sûr.

— Alors, je me disais qu'on devrait apprendre un peu à se défendre.

— Oui, ce serait une bonne chose.

— Vous pourriez peut-être nous enseigner quelques trucs ?

Moment de silence.

— J'en ai pas encore parlé aux autres, mais j'imagine qu'une partie d'entre eux serait intéressée, moi je le suis.

Martin était visiblement gêné et Mickaël proposa un tutoiement mutuel pour le mettre à l'aise et poursuivit :

— Écoute, tu as raison d'aborder le chapitre défense et protection. C'est vital... et tu n'as pas à rougir de ce que tu ne sais pas. Regarde, moi, je trouve cet hydromel excellent, mais je ne sais pas le faire. On est tous différents...

— Oui...

— Je vais en parler avec mes collègues ce soir.

— On peut échanger quelque chose pour que ce soit juste. Je peux vous montrer à faire cet hydromel, et je connais bien les plantes sauvages comestibles, ça m'a beaucoup aidé dans la montagne.

— Tu connais quelques remèdes ?

— La base.

— C'est déjà pas mal... Je vais transmettre. On se revoit demain.

Ils s'étaient serré la main, à l'ancienne.

— Un accord qui satisfait les deux parties fait un bon marché, ricana La Rumeur.