JOURNAL DE PISTOLETA, « Par qui le scandale arrive ? »
Voilà un événement qui a mis un coup de pied dans la fourmilière. Je suis bien content, pour une fois de ne pa être « celui par qui le scandale arrive » !
C'est Solo qui a mis le feu aux poudres. J'aurais jamais imaginé vu son âge ! En plus je ne l'ai jamais entendu parler. Personne ne l'a jamais entendu, jusqu'à hier.
Andreu, Salomon, et Mickaël sont allés chercher une brebis destinée à finir cuisinée. J'étais vert et je suis resté à l'écart. Je suis végétarien. Pas facile depuis la Fin. J'ai souvent le ventre creux et j'ai beaucoup maigri. Séréna non plus ne mange pas de viande. Et Irma pareil car elle trouve ça dégoûtant.
J'allais partir marcher en forêt quand j'ai entendu un cri, comme jamais je n'en avais entendu jusqu'à aujourd'hui, un cri d'effroi, qui a duré, s'est arrêté, a repris...
Je me suis précipité et je suis arrivé en même temps que d'autres au lieu d'exécution. J'avais tout d'abord imaginé que c'était la pauvre bête qui avait hurlé au moment de sa mort, parce que morte, elle l'était. Mais c'était Solo, qui avait émis cette clameur déchirante et qui sanglotait, debout devant l'animal sacrifié que tenaient les hommes. Personne ne bougeait, la surprise avait statufié protagonistes et spectateurs. Et là, j'ai poussé ma gueulante genre :
— Mais vous ne pouvez pas faire ça ailleurs bande de gros malades ! Y a des enfants ici ! Regardez dans quel état vous l'avez mis ! Et vous pouvez pas manger autre chose ?
Putain !!! C'est pas possible !
Du coup, Solo qui s'était tu un instant a recommencé, mêlant hurlements et sanglots. C'était affreux. Je l'ai soulevé de terre dans mes bras pour l'emmener chez Séréna. Je ne savais pas trop quoi faire. Au passage j'ai vociféré aux autres d'enlever leur cadavre de là. J'étais déchaîné. Et eux, ils avaient l'air de grands couillons pris en flag de connerie ! Non mais c'est pas croyable !
* * *
Ça, c'était il y a quatre jours. Et voilà trois jours qu'on cherche ce mino*. Il a disparu pendant qu'on dormait. Il est passé sans que les sentinelles le remarquent tellement il est petit. On a cherché un peu partout, fait des battues, exploré toutes les maisons non habitées, les granges, garages, tous les coins et les recoins. Pas moyen ! Tout le monde est super inquiet.
J'en ai remis une couche au sujet de la brebis, je leur ai dit qu'il serait temps d'évoluer, qu'on n'était plus des hommes des cavernes et d'autres trucs que j'ai oublié.
Fait caguer ! Ils sont sympa pourtant, pffff.
* Terme populaire employé essentiellement en Provence, utilisé pour parler d'un enfant, d'un petit garçon.
* * *
On a retrouvé Solo ! Et il va bien ! Même, mieux que ça, il parle !
Et le premier truc qu'il a dit c'est : Vous êtes méchants ! Pas tuer la mouton !
Guilhem l'a regardé un long moment puis il s'est passé les mains sur le visage et il a demandé une réunion pour le surlendemain soir.
Mais il y a une chose incroyable que je vais noter aujourd'hui. Solo n'a pas maigri d'un gramme, il est en forme et ses joues sont roses. Après six jours sans manger. Pour l'eau, il y a encore de l'eau vive un peu partout, c'est pas un problème.
Il veut rester avec moi pour l'instant. J'avais deux neveux que je gardais régulièrement. Du coup j'ai accepté quand Séréna me l'a demandé. Après, il retournera chez elle.
Maintenant, voilà le plus étrange : Solo m'a demandé de le suivre pour me montrer quelque chose. On avait déjà fait une bonne balade, mais comme il insistait, je l'ai suivi.
Et il m'a montré pourquoi il était en pleine forme après autant de jours sans repas.
Nous sommes montés aux Cugurou où il y a une maison inhabitée, c'est là qu'il a dormi. Personne n'y a pensé pendant les recherches, pourtant on la voit, tout en haut, entre les arbres ! ! !
Il m'a ensuite conduit à un groupe d'arbustes que je ne connaissais pas et qui étaient chargés de fruits ronds, vert-orangé, de la taille d'un melon. Il en a cueilli un et l'a cassé avec un bâton et en a prélevé deux morceaux. Le premier, il l'a mangé avec un sourire rayonnant et il m'a tendu le second en me disant :
— Mange-le, toi, c'est une masse de pao.
J'ai goûté et j'ai aimé. C'était un peu comme du pain au niveau texture, mais plus aqueux, légèrement sucré.
On en a descendu plusieurs au village, pour les faire essayer aux autres pendant la réunion.
Et Solo nous a encore plus surpris quand il a dit :
— Maintenant, pas manger la bête. On a le « masse de pao ». La mouton c'est chanti ( gentil ), donne la laine, le mange pas !
Voilà comment on a peu à peu tous délaissé la viande pour ce « fruit » parce qu'au niveau nutritif c'est parfait et il semble se conserver longtemps.
Merci Solo ! Merci la Terre pour ce cadeau ! Parce qu'on a cherché dans tous nos livres et dans toutes nos têtes, personne ne connaît le masse de pao... Mais on va pouvoir survivre sans manger d'animaux ! Et Solo parle ! Je suis tellement heureux !
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