Chapitre 27
À l'occasion d'une visite chez sa sœur, Swan se vit offrir une nouvelle raison de détester au plus haut point son frère, Edward. Elle avait été invitée avec ses parents à passer l'après-midi chez les jeunes époux Faraday. Edward en profita pour soutirer les quelques économies qui restaient à Mr Cooper, dans la plus grande discrétion. Il expliqua qu'il comptait boursicoter sur les conseils avisés de sir Brown. Il exprima le fait que le gentilhomme lui avait recommandé un placement en particulier et qu'il lui assurait un gain important. Il s'engagea aussi à n'en conserver que le bénéfice et à rembourser son beau-père dès qu'il aurait récupéré son gain. Il précisa que cette somme était nécessaire pour lui permettre d'offrir à Amber tout le confort dont elle avait besoin. Mr Cooper accepta d'établir une lettre de change pour le compte d'Edward. Au moment de sa rédaction, alors qu'ils s'étaient isolés dans le bureau, Swan apparu. Elle était seulement partie à la recherche de nouveaux romans et comprit vite ce qu'il se passait. Elle ne dit pas un mot, mais son regard glaça le sang de son père. Lorsque Edward quitta la petite pièce, Swan interrogea gravement Mr Cooper. Il lui expliqua alors la situation :
— Je ne fais qu'aider votre sœur.
— Mais Edward n'était-il pas plus fortuné que nous, et le frère aîné de sa fratrie, qui plus est ?
— Si, bien sûr. Mais apparemment Mr Faraday ne désire lui concéder aucun avancement sur sa succession, il fait preuve de beaucoup de dureté envers son fils.
— Je doute que Mr Faraday refuse la moindre chose au fils dont lui et son épouse ont toujours vanté les mérites.
— Peut-être se sont-ils opposés à l'union de leur fils avec Amber. Nous savions tous qu'ils avaient de grands projets pour lui.
— Soit. Mais, alors, pourquoi ne pas l'avoir exhérédé ? Je pense que mon frère abuse de votre bonté et de votre ignorance sur ses relations avec ses parents. Il est bien commode qu'ils soient en voyage dans le Nord du pays.
— Peu importe, ce n'est pas de l'argent perdu, répondit Mr Cooper pour se rassurer avant tout. Il compte le placer et me rendre la somme de départ. Il ne s'agit donc que d'une avance. Pour le reste, je l'ai fait pour le bien-être de votre sœur.
— Le reste ? Dois-je comprendre que vous lui avez prêté plus encore ?
Mr Cooper fit mine de ne pas avoir entendu les questions de son enfant.
— Combien ? demanda Swan, inquiète.
— Plus ou moins toutes les économies que j'avais faites.
Swan tomba sur une chaise, assommée par la nouvelle que venait de lui apprendre son père. Prenant toute la mesure de la gravité de la situation, comprenant que son père les condamnait, sa mère et elle, à une vie de pauvreté et de privation, elle commença à pleurer.
— Vous nous avez trahies ! Qu'avons-nous fait pour mériter pareil traitement ?
— Que dites-vous là ? Nous n'aurons certes plus de quoi partir en voyage, mais il nous reste de quoi vivre.
— Nous ne pourrons survivre que jusqu'à votre mort. Après ce jour, nous ne pourrons plus jurer de rien.
— Que de sottises ! Je vous rappelle qu’Harry veillera à votre subsistance.
Swan pleura de plus belle. Les larmes inondaient ses joues mais chacune de ses paroles n'en était pas moins claire.
— Harry n'a que faire de nous, il nous laissera mourir, maman et moi ! Vous croyez encore qu'il aura la moindre sympathie pour notre sort ; je vous dis qu’il n'en est rien. Je vous supplie encore de stipuler un codicille à votre testament pour le contraindre à nous soutenir financièrement. Il sera trop tard pour y penser sur votre lit de mort.
— Je me réjouis de constater que vous m'imaginez déjà poussière. Faites-moi plutôt confiance, car je suis désolé de vous le dire, mais ce sont aux hommes qu'il revient de gérer ce genre de choses.
— En ce cas, ne comptez pas sur moi pour vous regretter à votre décès, déclara sèchement Swan avant de partir en claquant la porte.
Pendant la conversation mouvementée avec Mr Cooper, Annabella était arrivée au domicile de son amie pour lui rendre une visite. Le tapage qu'avait causé Swan avait mené Amber dans le bureau, elle dut réconforter son père et accusa sa sœur —qui, rappelons-le, avait quitté la pièce— de n'avoir aucun bon sentiment sauf pour elle-même.
Annabella, arrivée quelques instants avant, profita du capharnaüm pour s'isoler sur le porche de la demeure. Swan se trouvait en face, cachée par les arbres, tournant en rond pour tenter de calmer sa fureur. Elle surprit alors Edward rejoindre Annabella. Il saisit sa main, elle feint de ne pas vouloir une telle proximité, puis il la tira à lui et l'embrassa dans le cou. Les baisers de son amant la firent pousser un rire franc. Il lui fit signe de faire silence puis l'embrassa pour la faire taire.
Swan avait tout vu. Edward n'avait donc aucune limite, aucune honte ! Elle avait eu raison à propos de lui. Les rumeurs qu'elle avait entendues à son sujet lors de son voyage à Londres étaient certainement avérées. Nul doute, d'ailleurs, que les Faraday avaient eu vent de la nouvelle et qu'ils ne s'étaient pas opposés à l'union d'Edward avec Amber car elle était certainement la seule à ne pas s'être détournée de lui. Après avoir pris toute la mesure de la probité de son frère, elle ne douta plus que Mr Cooper ne serait pas près de revoir les sommes dont il était créancier.
Swan sentait bouillir le sang dans ses veines, elle était folle de rage. Elle aurait voulu tout dire mais elle aurait causé trop de peine à sa sœur. Amber avait commis l'unique erreur d'être trop crédule, elle n'avait pas à payer le prix de fautes qui n'étaient pas les siennes. Il était évident que celle qui souffrirait le plus en apprenant la vérité ne pouvait être qu'elle.
La présence d'Annabella ne faisait que compliquer la situation. Si seulement elle n'avait jamais existé, pensait-elle. Elle se rappela ensuite que sa présence ne pouvait être imputée qu'à sir Brown. Par ailleurs, il avait dû lui servir d'alibi lors de la promenade où elle avait croisé tous les autres gentilshommes. Comment osait-il la trahir de la sorte ? Sans plus attendre, elle se dirigea vers la demeure de sir Brown. Si elle ne pouvait pas déverser son flot de colère sur le véritable responsable pour ne pas heurter sa sœur, elle comptait bien trouver un coupable.
Elle ne prit pas le temps d'être annoncée par les domestiques, elle arriva sans douceur dans la bibliothèque où sir Brown s'était enfermé.
— Miss Cooper ! décrocha-t-il surpris tout en se levant pour la saluer, sans avoir décelé la colère qui animait son visage. Quel plaisir de vous voir ! Venez-vous m'emprunter un livre ?
Swan fut très vite décontenancée par la bonhomie de sir Brown. Comment pouvait-il faire semblant alors qu'il était responsable de l'adultère d'Edward ?
— Je n'ai pas la chance de venir pour un agréable motif.
— Vous arrive-t-il quelque chose de grave ? s'inquiéta sir Brown.
Il posa son livre et saisit la main de Swan. Celle-ci l'ôta vivement de la sienne et reprit :
— Je croyais que vous valiez mieux que tous ces dandys.
— Qui donc ?
— Mr Edward Faraday ou Mr Kensington. Mais en vérité vous leur êtes semblable en tout point. À cela près que vous êtes encore plus hypocrite et perfide.
— Comment ? s'écria sir Brown qui s'étonnait de se faire attaquer de la sorte. Que me vaut ce compliment ?
— Vous saviez très bien que Miss Annabella Kensington entretenait une relation secrète avec Edward. Vous me l'avez caché, pis encore, vous leur avez facilité les choses.
Sir Brown prit un air sérieux, affecté par chaque mot que Swan avait prononcé. Il prit de nouveau place sur son fauteuil et s'adressa d'un ton clair et posé à la jeune femme :
— Détrompez-vous, jamais je n'ai été au courant, jamais je n'ai facilité quoique ce soit. J'avais, il est vrai, des soupçons quant à l'attitude de la sœur de mon ami. Mais, jamais ces soupçons ne se sont tournés vers votre frère. Vous me l'apprenez à l'instant. Je suis, à n'en point douter, tout aussi stupéfait que vous. Je prends aussi toute la mesure du désarroi dans lequel la nouvelle va plonger votre sœur. À y réfléchir, je crois qu'il vaudrait mieux pour tout le monde que cela ne s'ébruite pas. Ce silence profitera toutefois à Mr Edward Faraday, cela est regrettable, mais il ne me vient pas d'autre solution plus souhaitable.
Swan prit un bref temps de réflexion. Sir Brown semblait sincère, d'ailleurs il ne lui avait jamais menti. Elle se demanda, en outre, quel avantage il aurait pu tirer en aidant Annabella. Elle lui demanda les causes qui l'avaient poussé à rester avec la jeune fille quand tous les autres étaient allés se promener. Il répondit à toutes ses questions.
Swan partageait l'opinion de son ami, mieux valait taire ce qu'elle avait vu, non pas qu'elle voulût protéger la réputation d'Annabella ou l'affection d'Amber pour son mari, mais elle garderait le secret pour conserver intact le bonheur de sa sœur qui n'aurait d'autre choix que de finir sa vie avec un menteur invétéré.
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