Flash Back

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Ce jour-là, j’ai regardé l’heure.

Pendant que M. Jolly, notre professeur d’histoire-géographie, débitait son cours sur les conséquences de l’étalement urbain et de la paupérisation, je levais fréquemment les yeux vers l’horloge au-dessus de son crâne dégarni. Les sens en éveil, j’attendais avec une impatience non dissimulée que la cloche sonne la fin de mon supplice du vendredi après-midi.

Quelle pauvre petite conne.

Si je pouvais revenir dans le passé comme dans Terminator et me retrouver face à moi-même, j’attraperais cette stupide Alexia par les épaules et la secourais en criant : « Réveille-toi, ma grande ! Profite ! Profite de la personne qui est assise à côté de toi. Parce que ce sont les dernières minutes que tu passes avec elle, tu m’entends ? Les dernières. Alors bouge-toi le cul. »

Avec des « si », on pourrait changer le passé. Avec des « si », on pourrait changer le monde. Mais le monde est un être bourru et entêté qui refuse de changer pour personne.

Quelques minutes avant la fin de l’heure, je cessai de rêver et commençai à recopier quelques définitions écrites au tableau. En haut à gauche de ma feuille de cours, j’avais écrit la date du jour au stylo plume :

Vendredi 4 février.

Si j’avais su, à cet instant précis, que cette date allait rester gravée au fer rouge dans mon cerveau et dans mon cœur pendant une vie entière.

Encore des « si », tiens. Et des verbes au conditionnel.

La cloche sonna enfin. Je me tournai vers Maëlle.

Elle notait les devoirs sur son agenda.

Peu après, nous sommes sorties de la salle en discutant. De quoi parlions-nous ? Bordel, aucun moyen de m’en souvenir. J’aimerais pouvoir revivre ces derniers moments passés avec elle. Rien qu’une fois. Chaque conversation avec Maëlle était un pur bonheur. Elle avait un don incroyable pour rendre n’importe quel sujet intéressant.

Pourquoi je parle déjà d’elle au passé ?

Bastien et Jules étaient déjà sortis et nous attendaient devant le couloir. Tous deux avaient une compétition de volley, le soir-même. 

-Bon conseil de classe, Mademoiselle la déléguée, me taquina Jules avant d’entraîner Bastien dans l’escalier.

-Tu feras moins le malin quand elle te donnera ta moyenne de français demain, répliqua Maëlle avec un sourire.

Je les regardai s’éloigner au loin et disparaître bientôt dans l’essaim d’élèves. Tous deux doivent également regretter, aujourd’hui, de ne pas s’être retournés pour nous dire à nouveau au revoir.

Maëlle m’accompagna à la salle des conseils. Le bruit de nos pas résonnait dans les couloirs du lycée. Des élèves passaient à côté de nous, et je pouvais saisir quelques bribes de leur conversation avant qu’ils ne disparaissent de mon champ de vision. Rires, ragots et discussions banales.

Je baissai les yeux vers les pieds de Maëlle. Lorsqu’elle marchait, ses talons se détachaient du sol avec une énergie et une dextérité fascinante, trahissant ses cinq années de danse. Elle semblait voler, parfois, comme si ses Converse rendaient ses pieds magiques.

Nous nous frayions un chemin dans le ruisseau de lycéens, le cœur léger et la tête vide. Nous étions heureuses. Nous étions vivantes.

-Dommage qu’on ne puisse pas allumer la nuit, aujourd’hui, déplora Maëlle Je vais encore m’enfermer dans ma chambre toute la soirée pour ne pas entendre mes parents se disputer.

Je poussai un soupir.

-Ils s’engueulent encore ?

-Oui. Mais j’ai l’habitude, maintenant.

Je lui offris un sourire pincé. Puis, en arrivant devant la salle des conseils, je posai ma main sur mon épaule et prononçai ces quelques mots :

-Pourquoi tu n’y vas pas toute seule ? On n’est pas obligés d’y aller toujours tous les quatre. Je sais que c’est un moment qu’on partage entre nous, mais ça sera mieux que de rester dans ta chambre…

Maëlle leva les yeux vers moi.

-Tu crois ? Arrête, ce ne sera pas pareil sans vous trois.

-Si ça peut te détendre.

Elle resta muette quelques instants, comme plongée dans ses pensées, puis haussa les épaules.

-Tu as peut-être raison. Ça me permettra de penser à autre chose. Je vais y réfléchir.

Je souris d’un air entendu. Nos regards se croisèrent. Ça y’est. Nous y voilà. Dernières secondes.

Nous nous sommes fait la bise, je crois.

Ou peut-être que je lui ai donné une autre tape amicale sur l’épaule.

A moins qu’elle n’ait ri à une blague débile de ma part.

Peut-être que… Nous nous sommes simplement dit au revoir. Comme deux adolescentes sûres et certaines d’avoir un lendemain. Car tout ne pouvait pas s’arrêter. Pas comme ça.

En tous cas, je suis entrée dans la salle des conseils sans me retourner pour la voir descendre les escaliers vers la sortie.

Il était 17 h 04.

Pendant une heure, j’ai assisté au conseil de classe, écouté les remarques des professeurs, noté avec soin les moyennes de tous mes camarades. Surtout celles de Maëlle, Bastien et Jules.

Puis je suis rentrée chez moi. Sans écouter de la musique.

J’ai bu un Coca-Cola. Mangé un cookie au chocolat que mon père m’avait acheté. Lu quelques chapitres d’un roman de science-fiction que Jules m’avait prêté. Commencé mes devoirs de math.

Ensuite, j’ai reçu un coup de fil. Il était 19 h 55.

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