Ouragan
Après l'inauguration du phare, la vie repris son cours. Durant de nombreux années, Edwin et Elerinna vécurent heureux.
Le jeune homme continuait à bâtir, à construire, à élever des monuments, dans le village ou ailleurs dans les villes environnantes. Sa plus belle construction reste encore à ce jour ce phare sur un éperon rocheux à l'extrémité du port d'un petit village de pêcheurs.
La jeune femme devint la guérisseuse officielle du village. Elle donnait également ses conseils en agriculture et en plantes, et le village put ainsi diversifier ses activités.
La vie s'écoulait lentement, tranquillement. Les amoureux allaient régulièrement pique-niquer au sommet de la tour, de jour comme de nuit, ce qui finissait toujours par une séance de câlin, nu et torride.
Jusqu'à ce jour, ils n'eurent aucun enfant. Ils n'en avaient jamais discuté, ni exprimé la volonté. Mais, les années passant, et considérant la fréquence et la frénésie de leurs activités sexuelles, il était étonnant qu'aucun heureux évènement ne soit venu.
Les soirs de tempête, leur scénario était bien réglé. Elerinna allait s'enfermer dans la chambre au sommet de la tour, fermant derrière elle les différentes portes qu'elle pouvait comporter afin de rendre le chemin le plus compliqué possible dans le cas où Edwin souhaite la rejoindre.
Edwin accompagnait toujours sa belle jusqu'à la tour. Et lorsqu'il entendait la clef verrouiller la porte, son coeur se serrait dans un étau. Il rentrait alors dans la maison, et passait la nuit à observer la tour, attendant la fin de la tempête pour retourner attendre sa belle devant l'entrer, et la porter, épuisée, jusque dans leur lit pour prendre soin d'elle et l'aider à se remettre.
Point étonnant, à force d'observation, Edwin avait remarqué que la lumière de la pierre augmentait durant les tempêtes, proportionnellement à son intensité, comme si les deux étaient liés, de même que l'épuisement d'Elerinna.
Un jour, un ouragan fût annoncé. Les plus anciens du village estimèrent qu'il devrait être au moins aussi fort que celui qui avait eu lieu le jour de l'a découverte d'Elerinna, ce qui mit la belle femme en panique.
- Mon chéri, tu te souviens de ta promesse. Je ne te l'ai jamais redemandé, mais aujourd'hui il le faut. Promets-moi que tu ne viendras pas me chercher en haut de la tour, quoi qu'il arrive.
- Je t'ai déjà fait cette promesse, deux fois, et je te la refais ce soir. Mais pourquoi es-tu si anxieuse ? La tour te protègera, aucun ouragan ne pourra la détruire, aussi fort soit-il.
- Je n'ai pas peur pour la solidité de la tour, mais pour celle de ta promesse. Si jamais tu venais me rejoindre, nous ne pourrions plus jamais vivre ensemble, je te l'ai expliqué au tout début de notre histoire.
- Ne t'inquiète pas, tout ira bien.
Edwin et Elerinna suivirent alors leur rituel, non sans une dernière embrassade. En revenant sur la falaise, la marée montante renforcée par la tempête obligea le jeune homme à accélérer le pas. Il resta alors sur le bord, à observer les vagues frapper la tour. Il est vrai que cette fois, l'intensité allait être assez forte.
Plus le vent forcit, plus les vagues frappaient durement le phare. Sous les coups de butoir, certains pans de la falaise s'affaiblir et s'effondrèrent, dans un raffuts infernal. Des éclairs vinrent renforcer l'ambiance électrique.
Lorsque le tonnerre s'abattit sur la pointe de la tour, la lumière de la pierre devint si brillante qu'elle devint aveuglante. Au même moment, Edwin entendit un long cri plaintif et rauque. A ce moment, sa résistance mentale craqua. Il alla chercher sa hache la plus affutée et courra à perdre haleine jusqu'à la porte.
Il se mit alors à frapper sur le bois, le plus fort possible. Il avait bien choisi le bois, du chêne vieilli pendant dix ans avant de le débiter en planches. Après une heure de travail, sous les cris de son aimée et les coups de la tempête, la porte céda, il escalada l'escalier, sautant les marches quatre à quatre, avant d'arriver devant la porte suivante. Et Edwin de recommencer son travail, sachant qu'il restait encore deux autres portes.
Lorsque la dernière porte s'effondra, il trouva Elerinna allongée au sol, épuisée, sans force.
- Que fais-tu là, mon amour. Pourquoi as-tu rompu ta promesse ?
- J'ai vu le tonnerre tomber sur la tour, la pierre s'illuminer, je t'ai entendu crier, et je n'ai pas tenu, je suis désolé, je t'aime.
- Il me faut alors te raconter ce qui va arriver lors de la fin de la tempête, la malédiction de toutes les femmes de ma famille. Et tu comprendras pourquoi, pas amour, tu viens de nous perdre.
- Raconte moi.
- Ma famille descend de la fée Mélusine. Si tu ne connais pas son histoire, elle se transformait en dragon lorsqu'elle prenait son bain, mais redevenait humaine ensuite, sauf si son amoureux la surprenait dans ce bain. Au fil des générations, cette malédiction a été transmise à toutes les femmes de ma famille, sous des formes différentes à chaque fois. Mais le point commun à toutes est la transformation définitive en dragon.
- Mais pour l'instant, tu ne t'es pas transformée, alors tout va bien.
- Attends, laisse-moi finir. J'ai appris à contenir mes transformations, c'est pour cela que tu ne m'as jamais vu sous cette forme. Mais la douleur est intense et épuisante. Il n'empêche que la malédiction est là. Il ne nous reste que quelques heures, alors profitons du temps qu'il nous reste. Fais-moi l'amour une dernière fois.
Edwin pris alors Elerinna dans ses bras, ils s'allongèrent sur le tapis pour s'unir, lentement, puis au rythme des vagues frappant les murs de la tour, dans un va-et-vient imitant le flux et le reflux de la marée montante, avant d'atteindre le paroxysme et laisser l'intensité se réduire avec la marée descendante.
Lorsqu'il se réveilla, Edwin était seul. Il monta, nu, sur la plateforme, et se trouva nez-à-nez avec un dragon rouge, aux écailles brillantes. Mais il ne craignait rien, il le savait. Il l'avait lu dans les yeux de la bête, ceux de sa belle. Elle baissa le museau, le posa contre le torse de son amoureux pour un dernier câlin, un dernier contact. Puis elle grimpa sur le rebord, déployé ses ailes, puis s'envola dans la lumière du soleil levant, disparaissant à l'horizon.
Edwin se retrouva seul, nu, abandonné. Il pleura longtemps, avant de redescendre, se demandant s'il devait sauter aussi par-dessus la rambarde.
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