Chagrin d'école - Pennac
En octobre 2017, j’ai validé mon master de relations internationales avec 15.84 de moyenne général, juste de quoi faire un pied de nez à ma mention très bien et aux professeurs qui m'avaient dit que je ne réussiraient jamais. En 22 années d’études depuis la maternelle. C’était la première fois que je dépassais le 11. Non pas que je sois stupide (quoi que), mais parce que ça ne m'intéressais pas.
A l'instar de beaucoup, j'aime apprendre, je suis un lecteur avide et j'ai besoin de toujours comprendre de nouvelles choses. Mais l'école me restait farouchement hostile. Les élèves me tabassaient, les professeurs m'humiliaient, et les enseignements, je les avaient déjà. Autrement dit, j'étais un cancre.
Pas un de ceux qui, splendide, abandonnent l'école et redoublent, ni même de ceux qui jouent des bras pour prouver leur force...
Non, j'étais de ces élèves hors du temps qui voulaient qu'on lui laisse des livres et qu'on l'éloigne des hommes. Un de ces élèves à qui ont a dit "Tu as du potentiel, tu comprends tout, essaie au moins" mais qui demeurait dans son mutisme, qui finissait les examens en dix minutes avec la certitude d'avoir la moyenne et donc d'assurer son passage à l'année suivante et qui lisait pour glaner ce temps qui sinon aurait été perdu à jamais. Sans ami, perdu dans la littérature
En quatrième, j'avais un prof de Français qui vous rappellerait mes commentaires. Il se contentait de la perfection. Chaque semaine il me donnait un livre à lire, sans rien exiger en retour, je devais juste le lire pour sortir de la littérature de jeune adulte à l'intelligence inexistence pour lui. Je devais le lire et lui rendre sans un mot, juste pour le plaisir d'avoir lu.
C'est comme ça que j'ai découvert Wilde, Dickens, Zweig, Pouchkine, Neruda, Harper...
Et il avait de coutume de nous présenter chaque vendredi un livre pour nous inciter à le lire.
Un jour, il a présenter le dernier Pennac qui venait de sortir, je ne connaissais pas cet auteur qui est devenu un de mes auteurq préféréq (je compte vous parler de quelques une autre des ces œuvres, donc patience). Le livre se balade en classe et je ne l'ai pas lu. Mais la quatrième de couverture m'avait marqué. Je vous la transmet ici.
https://chetanvstherestoftheworld.files.wordpress.com/2007/12/4eme-de-couv.jpg
Plus tard, vers mes 19 ans, je suis retombé dessus en librairie, la souffrance de ma scolarité me pesait énormément et je décide de l'acheter. Je tombe ainsi sur le récit autobiographique d'une grande douceur d'un cancre qui est devenu pour moi l'un des plus grand noms vivant de la littérature française.
Résumé !
« Donc, j’étais un mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l’école. Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n’étais pas le dernier de ma classe, c’est que j’en étais l’avant-dernier. (Champagne !) Fermé à l’arithmétique d’abord, aux mathématiques ensuite, profondément dysorthographique, rétif à la mémorisation des dates et à la localisation des lieux géographiques, inapte à l’apprentissage des langues étrangères, réputé paresseux (leçons non apprises, travail non fait), je rapportais à la maison des résultats pitoyables que ne rachetaient ni la musique, ni le sport, ni d’ailleurs aucune activité parascolaire. » Dans la lignée de Comme un roman, Chagrin d’école est donc un livre qui concerne l’école. Non pas l’école qui change dans la société qui change, mais, « au cœur de cet incessant bouleversement, sur ce qui ne change pas, justement, sur une permanence dont je n’entends jamais parler : la douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs, l’interaction de ces chagrins d’école »
J'ai lu le livre d'une traite. J'ai tendance en sortant des librairies à voler une ou deux pages sur le chemin. Et là, je me suis assis sur le premier banc, malgré le froid bisontin (l'hiver en franche-comté les enfants c'est quelque choses) et je l'ai lu en entier.
Je l'ai relu le lendemain
Et le surlendemain.
Et une dizaine d'autres fois.
Je l'ai offert à peu près autant de fois à tous les ratés de l'école, à ceux là qui portent en plaie pullulante leur scolarité, ceux-là se voit, ils ont la peur du public et l'horreur de la mémoire. Ils osent à peine être, toujours en proie à la crainte du jugement.
Et ce livre... il m'a pris dans ces bras et m'a étreint, l'encre a séchés mes larmes, le papier m'a murmuré que ça allait aller, et il m'a dit que le cancre que j'ai été, ce cancre il n'était rien qu'un rêve contre un cauchemar.
Et ça a été et le cauchemar est devenu souvenir.
Ce livre c'est l'anxiolytique pour les amputés de la confiance, c'est la douceur sur l'angoisse de la note, c'est l'amour simple et doux pour l'humain qui pleur si fort derrière le masque goguenard du cancre.
Extraits choisies
N'étant pas destiné à devenir, je ne lui paraissais pas armé pour durer. J'étais son enfant précaire.
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Les mots du professeur ne sont que des bois flottants auxquels le mauvais élève s'accroche sur une rivière dont le courant l'entraîne vers les grandes chutes
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Tout le mal qu’on dit de l’école nous cache le nombre d’enfants qu’elle a sauvés des tares, des préjugés, de la morgue, de l’ignorance, de la bêtise, de la cupidité, de l’immobilité ou du fatalisme des familles.
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Ca fait du bruit, une pensée, et le goût de lire est un héritage du besoin de dire.
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Il suffit d'un professeur - un seul - pour nous sauver de nous même et nous faire oublier tous les autres.
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...rien ne se passe comme prévu, c'est la seule chose que nous apprend le futur en devenant du passé.
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"Monsieur, j'ai consacré hier deux heures à ne pas faire votre devoir. Non, non, je n'ai pas fait autre chose, je me suis assis à la table de travail, j'ai sorti mon cahier de texte, j'ai lu l'énoncé et, pendant deux heures, je me suis retrouvé dans un état de sidération mathématique, une paralysie mentale dont je ne suis sorti qu'en entendant ma mère m'appeler pour passer à table. Vous le voyez, je n'ai pas fait votre devoir, mais j'y ai bel et bien consacré ces deux heures. Après le dîner il était trop tard, une nouvelle séance de catalepsie m'attendait : mon exercice d'anglais."
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Chaque élève joue de son instrument, ce n'est pas la peine d'aller contre. Le délicat, c'est de bien connaître nos musiciens et de trouver l'harmonie. Une bonne classe, ce n'est pas un régiment qui marche au pas, c'est un orchestre qui travaille la même symphonie. Et si vous avez hérité du petit triangle qui ne sait faire que ting ting, ou de la guimbarde qui ne fait que bloïng, bloïng, le tout est qu'ils le fassent au bon moment, le mieux possible, qu'ils deviennent un excellent triangle, une irréprochable guimbarde, et qu'ils soient fiers de la qualité que leur contribution confère à l'ensemble. Comme le goût de l'harmonie les fait tous progresser, le petit triangle finira lui aussi par connaître la musique, peut-être pas aussi brillament que le premier violon, mais il connaîtra la même musique.
Voilà, je dédie cette rétrospective aux échoués des bulletins, aux naufragés de l'école, aux abandonnés du scolaire. Votre souffrance a été mise en mots et la lire, c'est beaucoup pleurer... mais c'est se sauver soi-même
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