La violence et la dérision - Cossery
En France, selon la confidence d’un libraire, Albert Cossery n’est pas vraiment acheté et donc, assez peu lu.
Un révolutionnaire ça ne change pas ; du moins pas de cette façon ; c’était de la même nature qu’un policier.
Je l’ai découvert en errant entre les rayons d’une bibliothèque. L’œuvre ressortait du rayon par ses dimensions particulières et, en conséquence, m’a happée l’œil. Le titre, lui aussi sexy, a fini de me convaincre de le feuilleter. Une page lu plus tard, le livre était acheté et dévoré dans la soirée.
L’idée de base du livre est assez simple et s’inscrit dans une certaine lignée d’œuvre littéraire où le pouvoir politique est corrompu et despotique. Quelque part dans une province qu’on identifiera comme l’Egypte –de sûr, on placera l’histoire au moyen orient- nouveau gouverneur fait du zèle, il pourchasse les prostituées, interdit les mendiants et refuse toute critique.
L’histoire universelle regorgeait de ces petits fonctionnaires, devenus illustres à force de travail et de persévérance dans le crime. C’était pénible en vérité de penser que la race humaine n’avait produit, en fait d’hommes glorieux, que de minables fonctionnaires, soucieux de leur avancement ; dans certains cas obligés de faire massacrer des milliers de leurs semblables, pour conserver leur poste et nourrir convenablement leur famille. Et c’était cette piteuse engeance qu’on osait offrir au respect et à l’admiration des foules !
Attendant une resucée d’une histoire vieille comme le monde, la police va pour traquer les révolutionnaires de tous poils qui pourraient vouloir offrir du travail aux pompes funèbres du gouverneur.
Leur but est de remplacer un gouvernement par un autre, soi-disant plus juste. La plupart d’entre eux ne rêvent que de devenir ministre. Devenir ministre ! Peux-tu imaginer une ambition plus sordide !
Pourtant, c’est une autre réponse qui est offerte par un petit groupe. Leur idée est simple, la violence est inutile et qui répond au conflit par le conflit ne saurait être meilleur dirigeant que le tyran en place. Aussi, le groupe organise un travail de sape : ils chantent la gloire du gouverneur, de façon si grotesque, de manière si absurde que le despote en devient ridicule et est moqué par le plus grand nombre.
Nous allons suivre le mouvement. Nous aussi nous allons chanter les louanges de cet odieux gouverneur. Nous allons même le dépasser dans sa propre bêtise.
La fable se transforme ainsi en farce où les sages sont les fous qui refusent de prendre la vie au sérieux alors que révolutionnaire de métiers et policiers politiques les accusent de ne pas respecter la rengaine maintes fois joué des journées sanglantes et des slogans de martyrs. Et pourtant, qu’elle est puissante la violence de leur dérision.
Les cheveux, c’était primordial. C’est à ses longs cheveux qu’on reconnaissait l’esprit tortueux et aigri d’un révolutionnaire
Ce livre est un oasis au milieu de l’univers noir des fables politiques, l’auteur dispose d’une horde d’idée pour dépeindre un monde ubuesque où la douleur n’est qu’une étape et où l’épreuve n’est qu’un instant. Au final, ce qui ressort de cette lecture c’est un sentiment de bonheur. Un rappel à notre propre rapport à la lutte, elle qui n’est jamais qu’un moment à affronter avec le sourire et l’intelligence affuté. Car c’est ça, nos meilleures épées.
Depuis qu’il connaissait Heykal, c’est-à-dire depuis que la vie lui était apparue sous l’aspect d’une comédie pleine de fureurs dérisoires, Karim avait abdiqué toute dignité dans ses rapports avec la tourbe des gens qui détenaient une parcelle du pouvoir. Il fallait faire l’imbécile, se montrer plus bête qu’eux. C’était le seul moyen de les dégoûter. Heykal lui avait expliqué que la dignité n’avait de prix qu’entre des hommes égaux et ayant des sentiments d’estime réciproque.
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