Invictus & Tu seras un homme mon fils
Qui n'est jamais tombé ? Qui ne s'est jamais pensé au fond du gouffre, incapable de remonter?
J'ai comme philosophie de vie le soïcisme, autrement vivre comme si on ne devait pas regretter notre vie, en étant juste, en étant bon, en étant soi. C'est une philosophie de vie morte, oublié et qui demande en soi un relativisme de chaque instant. L'important n'étant pas la chute, ni même ces causes. Mais de savoir remonter.
Ceux qui me connaissent et ceux qui me lisent savent que je suis fils de la violence, j'ai été enfanté et bercé par des traumatismes tant de mon fait que de ceux des autres et j'ai longuement pensé à arrêter, à simplement cesser de vivre.
Au XIXème siècle en Angleterre, une forme de néo-stoïcisme émergea, avec comme ligne de conduite la retenu des émotions et comme valeur la résistance à la douleur, l'absence de peur de la mort, la maîtrise de soi et de ses actes. C'est ce qui fonde en soit le mythe du gentleman impassible et courtois en toute circonstance. Le flegme britannique est issue de cette résilience. Nous sommes debout bien que brisé.
Si cette pensée nous est parvenu c'est au travers de deux poèmes, probablement parmi les plus fort jamais narré. Invictus de Henley et If ou en français Tu seras un homme mon fils de Kipling (l'auteur du livre de la jungle).
Il y a beaucoup à dire sur ces textes, Invictus a été écrit alors que l'auteur venait d'être amputé et a permis à Mandela de tenir en Prison, c'est aussi le titre du film de Clint Eastwood sur la vie de Mandela. Quant à tu seras un homme mon fils, sa légende le poursuis et sa traduction française est très libre, mais garde l'esprit du poème.
Vous les avez forcément lu ou entendu à un moment, et je vais m'abstenir de vous donner un cours plus avancer sur leur histoire, je vais simplement partager en dessous les versions originales et traduites de ces deux œuvres. Ces poésies m'ont servi de mantra dans les moments les plus durs et malgré mon amour pour Neruda, Aragon, Hugo et Prévert, si je ne devais que sauver deux poèmes dans ma vie ce seraient ceux-là. Parce qu'ils ont la force qui nous permet de vivre toujours. Résilient et résistant, immense parce que blessé.
Invictus
Out of the night that covers me,
Black as the pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.
In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbowed.
Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds and shall find me unafraid.
It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate :
I am the captain of my soul.
Traduction
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.
Tu seras un homme mon fils
If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you.
But make allowance for their doubting too;
If you can wait and not be tired by waiting.
Or being lied about, don’t deal in lies,
Or being hated, don’t give way to hating,
And yet don’t look too good, nor talk too wise:
If you can dream —and not make dreams your master
If you can think —and not make thoughts your aim
If you can meet Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same;
If you can bear to hear the truth you’ve spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools.
Or watch the things you gave your life to broken,
And stoop and build’em up with worn-out tools:
If you can make one heap of all your winnings
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breathe a word about your loss;
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: “Hold on!”
If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with Kings —nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much;
If you can fill the unforgiving minute,
With sixty seconds’ worth of distance run.
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And —which is more— you’ll be a Man, my son!
Traduction
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaitre,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maitre,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.
Je n'ai pas trouvé celui de la traduction de Henley, autant celui de Kipling a été traduis par André Maurois
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