Mon frère - Pennac

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 Lors de mon récent anniversaire où je fêtais mon premier quart de siècle, une personne qui m’est particulièrement chère m’a offert Mon frère de Pennac. Elle connaissait mon amour de l’auteur, et mon retard dans ces récentes publications. Je l’ai donc dégusté lentement, égrenant les pages comme des confiseries sur mon emploi du temps un peu trop chargé. J’ai trouvé dans ce texte un baume pour mon cœur mal suturé par les années, j’y ai trouvé un écho de mes peurs et de mes larmes. Une étreinte par l’encre, un rappel de l’amour de l’homme pour l’homme, un livre donc qui a réussi à me toucher, alors, avant toutes choses, de quoi il parle ?

 Comme d’ordinaire, je vous lègue ici son résumé avant de gloser un peu plus

« Je ne sais rien de mon frère mort si ce n’est que je l’ai aimé. Il me manque comme personne mais je ne sais pas qui j’ai perdu. J’ai perdu le bonheur de sa compagnie, la gratuité de son affection, la sérénité de ses jugements, la complicité de son humour, la paix. J’ai perdu ce qui restait de douceur au monde. Mais qui ai-je perdu ? »

 Quête de papier, dans ce livre, l’auteur nous offre ses souvenirs avec une poésie élégante, mêlé au Bartleby de Melville (un jour on discutera de Melville) qui vient s’enchâsser au récit, pour entrelacer en miroir le portrait étrange du scribe de la nouvelle qui répond à l’humanité immense et disparue de ce frère décédé. Nous apprenons donc au cours des pages à comprendre ce qui a construit cet amour, cette tendresse qui suinte dans chaque mot.

 C’est un livre qui parle de deuil, évidemment sourira-t-on, Pennac y livre un portrait en creux d’un frère qu’il aurait aimé connaitre plus, il ne connait que peu l’homme qui est parti nous confie-t-il. Comme Bartleby qui ne préfère pas, son frère était un étranger, un original blessé qui se drapait dans une dignité sourde et naturelle, une personnalité lumineuse quoiqu’entaché pas des envies de départ précipité, une vie compliquée, faite de silence et de bienveillance, mais également de douleurs tant sentimentale que conjugale.

 Comme tout deuil, on retrouvera en filigrane les cinq étapes qui le ponctue, le déni bien sûr, comme la volonté de ramener à la vie ce frère parti sous le bistouri d’un chirurgien maladroit en montant cette nouvelle de Melville au théâtre, lui qui aimait tant ce texte.

 Puis vient la colère, noire et violente, à l’encontre de sa veuve, amère, acariâtre. Et Pennac n’en lésine pas avec sa douleur, accusant quelque part la solitude conjugale d’être à l’origine de la fin de son frère, qui se serait laissé emporter par la tristesse.

 La négociation revient encore une fois à Melville, dont l’écho lui rappelle sa présence, son élégance absolue. (voici le résumé de cette nouvelle du coup) “Je préférerais ne pas” : telle est la réponse, invariable et d’une douceur irrévocable qu’oppose Bartleby, modeste commis aux écritures dans un cabinet de Wall Street, à toute demande qui lui est faite. Cette résistance absolue, incompréhensible pour les autres, le conduira peu à peu à l’isolement le plus total. Bartleby, s’il n’a pas l’ampleur de Moby Dick et Pierre ou les ambigüités compte pourtant parmi les écrits les plus importants d’Herman Melville (1819-1891). Les thèmes existentiels de ses romans d’aventures y sont transposés, avec une tension comparable, dans la simple histoire de la vie d’un employé. Ce texte bref, mais aux significations inépuisables, a exercé une fascination durable sur des écrivains et philosophes comme Maurice Blanchot, Georges Bataille, Michel Foucault ou Gilles Deleuze. Et dans ce tourbillon de mot qu’il raconte avoir raconté, Pennac nous raconte l’envie de faire survivre un peu son frère en lui, l’amener à considérer un peu différemment l’entropie qui fascinait tant son ainé.

 La dépression est bien plus pudique, elle se cache dans les mots, chassé par l’envie de l’auteur de toujours faire face, de dominer l’abandon par le sourire.

 Quant à l’acceptation, je crois que j’ai la faiblesse de la trouver dans ce livre, comme un aveu public de l’amour qu’il a eu pour celui qui a vécu.

 Comme il m’est coutume, je vais disperser quelques citations avant de conclure.

Elle n'avait pas oublié un mot de ce que lui avait dit cet homme qui n'avait rien à dire.

***

Et si, après tout, la mort proposait une immense tranquillité après l'effarant vacarme de la vie ? Et si, derrière cette lumière, dont il contestait l'origine surnaturelle, l'attendait un eden où il ne serait plus bombardé par les convictions des uns et des autres, où se tairait enfin la clameur assassine des certitudes et des envies ?

***

Aujourd'hui, le destin des morts est d'occuper les fonds d'écran.

***

Tout à fait à la fin, il rêva d'une promenade en péniche. Nous deux, un échiquier, sur les canaux, d'écluse en écluse, à deux kilomètres à l'heure mais le plus loin possible. Il avait étudié les parcours envisageables. J'étais d'accord, enthousiaste même, mais j'ai traîné. J'ai traîné... Comme si j'avais sa vie devant moi.

***

Pour silencieux qu'il fût, c'est ce frère qui m'apprit à parler. Et d'ailleurs à lire, plus tard, les romans qu'il aimait. Donc à écrire.

***

Nous sommes ainsi faits nous autres braves gens qu'à nos yeux, passés les limites de notre patience, les victimes deviennent des agresseurs.

***

Vivre, ce n'est pas la moindre des choses.

***

La mort a ceci de commun avec la vie qu'il ne faut pas la rater.

***

Il y a de la confiance à s'assoupir au théâtre. Ce n'est pas un signe d'intérêt passionné pour le texte, certes, mais c'est placer notre sommeil sous la protection d'une voix. Un délice de régression dont j'abuse moi-même assez souvent.

***

Je dirais aussi qu'il n'abusa ni de son statut d'enfant chéri, ni de son autorité paternelle, qu'il ne se vanta pas de l'estime que lui portaient ceux qui travaillaient sous ses ordres, qu'il garda pour lui la douleur du deuil et ne se plaignit jamais d'un quelconque déficit d'amour conjugal - à mes yeux pourtant aussi flagrant les dernières années de sa vie que si on l'avait abandonné nu dans la neige. (Dans mes plus mauvais moments, il m'arrive de penser qu'il est mort ce ce froid-là.)

***

Oui, après la mort du préféré le puîné était mort à son tour. Je le croyais absolument détruit par Alzheimer mais il y avait encore suffisamment de conscience en lui pour le faire mourir de chagrin.

 Alors, que retenir de cette lecture, que chercher dans ces mots ? Vous n’y trouverez pas la grande littérature qui fait l’histoire, vous n’y trouverez pas la pensée abjecte de Houellebecq, vous y trouverez la plume si élégante et si personnelle de l’auteur, vous y trouverez sa bienveillance habituelle, un récit intime et délicat un rapport à la famille sans grief, un retour sur la vie de quelqu’un sans impudeur, sans autre volonté que raconter son amour.

 Bref, un livre qui m’a plu et qui devrais vous emporter si vous aimez Pennac

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