02/10 : Mélancolie
C’était une fenêtre arrondie, bordée d’épais rideaux aussi verts que la profonde forêt de Sherwood. Combinée aux drapés légers et transparents, l’endroit était devenu la place favorite de Luna.
Calfeutrée, et enroulée dans ce même plaid en mousseline qu’elle avait depuis l’enfance, cette dernière pouvait passer des heures assise sur le croissant de lune, à bouquiner.
Ce soir-là, particulièrement tard.
Le mois de septembre avait ramené un vent frais dans sa chambre. L’odeur de pluie, ainsi que celle de l’herbe mouillée amenèrent Luna dans la forêt aux côtés de Robin des bois. Elle s’y serait crue, dévorant les pages bloquées entre ses doigts à toute vitesse. Puis, elle les relut en détaillant chaque mot, à la recherche de tous les sens cachés. Un jour, la lecture la perdrait tant celle-ci l’emportait loin.
- Chérie ?
Le rideau coulissant l’arracha des aventures de l’homme à l’arc à flèche. Elle enfonça ses prunelles dans celles de sa mère avec pour un instant, un air de reproche, qui se transforma aussitôt en une œillade coupable.
- Désolée, je sais que je devrais dormir…
Elena, ainsi s’appelait sa mère, était à l’origine des couleurs chaudes qui ornaient ses yeux. La jeune femme la réconforta en caressant sa crinière noire ; celle-ci, elle la tenait d’ailleurs.
- Tu n’as pas froid ?
Elle faisait référence à la fenêtre ouverte. En se blottissant davantage, Luna lui indiqua que non. Elle aimait particulièrement sentir l’air frais s'inflitrer dans ses poumons lorsqu’elle lisait. Cette sensation ressemblait à la liberté.
Pourtant, elle n’avait rien d’une princesse coincée dans une tour. Il n’y avait jamais rien eu dans sa vie qui lui eut donné l’impression d’être emprisonnée, et pourtant,...
- Robin des bois, lança sa mère, en attrapant le livre. Il y a longtemps que tu n’avais plus lu cette histoire, ajouta-t-elle en se tournant vers sa bibliothèque. Les livres s’y accumulaient. J'aurais plutôt dû investir dans un nouveau meuble pour ton anniversaire !
Piquée d’intérêt, Luna releva son petit nez en sa direction. En effet, les étagères de sa bibliothèque débordaient, mais elle en avait déjà fait le tour plusieurs fois.
- Je parie que tu voudrais déjà bien savoir de quoi il s’agit, la taquina sa mère.
- Non, répondit-elle, en se détournant, mais la façon dont ses orteils se mirent à bouger sous son plaid la trahit. J’aurai la surprise demain.
- Demain n’est plus dans très longtemps.
- Il n’est que…
En vérifiant sa pendule miniature, Luna vit qu’il était bientôt minuit. Elle n’avait pas vu l’heure passée. C’était comme elle le pensait : la lecture l’avait engloutie.
- Tu n’as pas envie de passer tes premiers instants d’anniversaire en lisant un bon livre ?
- Maman !
- Attends-moi là.
Elena revint rapidement, frétillant d’excitation, les deux bras dans son dos. Le cadeau en question s’y trouvait forcément. La surprise n’était pas gâchée. Au contraire, Luna n’attendait plus que de savoir ce qu’elle avait choisi parmi sa longue liste de lectures. Elle avait même déposé les pieds au sol, prête à s’en emparer. L’attente la fit s’agiter.
- Aloooors, tu veux voir ?
- Oui, je veux voir !
- Tada !!
Les traits de son visage tombèrent, elle ne s’était pas attendue à cela. Sa mère détailla avec attention sa réaction, tandis qu’elle lui présentait.
Elle osa à peine le toucher.
- Maman…
La couverture du livre épais était reliée et ressemblait à l’écorce d’un arbre dans laquelle était gravée des lettres dorées.
- Il est magnifique ! s’écria-t-elle, en l’amenant à sa poitrine. Je l’adore, il est trop trop beau, mais…
Luna s’arrêta de tourner sur elle-même :
- Il n’y a pas de titre ? De quoi ça parle ? Oh, fit-elle, en reposant ses fesses sur son tas de coussins. Ce sont des légendes. “La légende du dragon d’eau”, waw.
Elle parcourut les pages, toujours délicatement, mais avide à chaque fois de passer à la suivante. Elena fut ravie de voir des étoiles dans les yeux de sa fille. L’observer le nez plongé dans un bouquin était un vrai plaisir. Mais Luna, recroquevillée sur elle-même, éloigna le livre de son visage.
- Il y en a une qui s'appelle comme moi, La Luna.
Elena fronça les sourcils, elle se rapprocha pour lire les lignes que sa fille soulignait du doigt.
- C’était le nom donné à un évènement céleste, la légende raconte qu’une fois tous les mois, à l’aube de la pleine lune, celle-ci se recouvrait d’un voile vert, nuit pendant laquelle les fantômes revenaient à la vie dans le but de se venger. Mais de qui ? agrémenta Luna. D’un démon, une femme dont seules les victimes pourraient nous compter le visage, une beauté inestimable… Comment peuvent-ils le savoir s’il ne l’ont jamais vue ? “Un message venant des âmes en perdition”, incroyable ! “La luna, lune verte, lune espiègle, lune d’un siècle durant, n’aurait jamais fait autant verser le sang.” Maman, ce livre est… !
En se tournant vers sa mère, elle vit l’horreur sur son visage. Minuit sonnait depuis la place du village. Luna avait seize ans. Lorsqu’elle tourna le sien vers la fenêtre, encore ouverte, il fut recouvert d’un voile.
- Ferme la fenêtre, Luna, la pressa sa mère.
Dehors, un vert sorcière régnait, la lune immense, reflétée dans ses yeux. Absorbés par l’astre, et pénétrés par la lumière, une profonde mélancolie s’y dessina. Une tristesse, comme sa mère n’en avait jamais vue chez sa fille. Plus encore, elle avait le désir de s’en rapprocher.
Luna revint à elle avec le claquement de la fenêtre.
Un temps, Elena lui jeta un regard sévère.
- Maman ?
- Tu t’es endormie, dit celle-ci en attrapant son livre.
- Je me suis endormie, mais… ? La lune, elle était verte, comme dans mon livre, et…
- Parlons-en ! Si j’avais su, je te l’aurai donné plus tard, tu n’es pas raisonnable jeune fille ! La lecture te perdra ! Allez hop, va te reposer. Je te le rendrai au petit-déjeuner, promis. Au lit, insista-t-elle.
- D’accord…
Alors qu’elle quittait la chambre, le bouquin sous le bras, Elena jeta un œil vers sa fille qui en se glissant dans ses couvertures paraissait bien confuse.
- Luna.
- Oui ?
- Encore, joyeux anniversaire, ma fille. Tu n’oublieras pas de lui passer un coup de fil ?
- … Oui, je le ferai. Bonne nuit.
- Bonne nuit.
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