Trois étapes avant le sommet du monde

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Souviens-toi. En ce temps, les hommes avaient déjà perdu leur enfance. Fermés en eux-mêmes, les yeux tournés vers l’intérieur, les narines grandes ouvertes sur leurs propres parfums, insensibles au monde autour d’eux. La peur avait léché de sa flamme leurs cœurs inquiets, les rendant sourds aux chants des étoiles. Pourtant, malgré l’écho des cloches du midi, certains s’attardaient dans leur matin. C’était ton cas, du moins en ce temps-là. Et ne me dis pas que je mens, tu sais que je n’en raconte jamais plus que la vérité. Hormis, peut-être, quelques petits détails à ma façon, sinon ton attention se diluerait dans ton encre intérieure.

Loren, tel était ton nom. Mais j’aurais pu choisir de te conter ton histoire différemment. Je t’aurais appelée Lorène, c’eut été idem. Si tu préfères me prêter tes oreilles pour l’histoire de la jeune Lorène plutôt que pour celle du jeune Loren, ça ne me gêne pas. Ajoute de la longueur à ses cheveux et de la rondeur à sa poitrine, ce sera parfait. Souviens-toi : c’est de toi dont je parle, et d’un monde qui t’est cher.

Loren traversait un passage de son existence qui naît dans les creux de la vie : il s’ennuyait. Seul au cœur de la forêt, avec pour unique ami son vieux cheval de trait, Loren se sentait triste, fatigué des gestes que lui avait appris son père : couper les troncs, tailler les ramures, rassembler les grumes. Il n’aurait pas dû avoir le temps de virevolter dans sa tête, éreinté de son labeur quotidien. C’était tout le contraire. Depuis que ses oreilles s’étaient laissées chatouiller par les contes d’un colporteur, un soir de fête au village, son esprit s’était gorgé de rires et d’éclats de langues lointaines, des feux de soleils brûlants et des visages mystérieux de belles étrangères.

« Emmène-moi sur tes chemins », avait demandé Loren au saltimbanque.

« Ne va pas chercher au loin ce qui pousse devant chez toi », avait répliqué le voyageur.

Le message n’avait cessé de tarauder Loren, qui n’en conservait que l’âpreté du refus.

Qu’est-ce qui pouvait bien pousser devant chez toi, que tu n’étais pas en mesure de trouver ? Dis-moi ?

Pour savoir, il suffisait de comprendre le mal qui rongeait Loren. Mais, définir l’ennui, c’est comme décrire une ombre dans le noir. Ça paraît impossible. Pourtant, si on laisse aux rétines le temps de s’accoutumer à la nuit, on finit par distinguer des contrastes subtils. C’est comme ça qu’un soir, seul et triste sous un ciel d’été enflammé par le couchant, Loren songea qu’il aurait bien aimé partager cette bribe d’éternité avec une âme sœur. La solitude, pensait-il, voilà le mal qui me ronge. Mais qui aurait voulu d’un bûcheron dont les lèvres ne bougeaient que pour chanter avec les arbres ? Au village, les beautés se dérobaient, rêvant de partis plus ambitieux. Dans les champs, toutes les frimousses roussies de soleil étaient déjà appairées. Le choix des belles, seuls les princes marchands du bourg ou les seigneurs des mottes fortifiées y avaient droit.

C’est alors que te vint une idée née de ta longue nuit : devenir un que tu n’étais pas. Ce que les hommes appellent « changer », sans comprendre que toute transformation est d’abord une mort avant d’être une renaissance. Étais-tu prêt à mourir pour combler ton vide ?

Une décision audacieuse, mais de l’audace Loren en manquait. C’est la mort de Syl, son vieux cheval, qui lui remua tripes et méninges. Sans lui, comment pourrait-il continuer à arpenter l’étroit carré de son existence ? Ils étaient liés, deux veilleurs solitaires au milieu de la forêt.

Toute destinée possède un déclencheur. Le bouton était là, prêt à recevoir ton doigt, prêt à déclencher ta grande aventure. Chez certains, le terreau est trop humide pour permettre à l’étincelle d’allumer la flamme. Chez toi, un été sec comme un coup de trique avait préparé le terrain. Oh, je t’entends ronchonner ! Je t’entends maugréer que jamais Loren n’aurait eu la bravoure de tout chambouler. Détrompe-toi mon petit. Son feu intérieur à peine embrasé, Loren puisa comme un soiffard dans sa tirelire à courage. Et les réserves accumulées face à la nuit et ses créatures fabuleuses remplirent son escarcelle. Suffisamment de courage pour remiser sa cognée contre la cheminée et poser un baluchon en travers de son épaule. Pour aller où, me diras-tu ? Loren ne connaissait qu’une personne capable de l’aider : Dieu.

Oh, voilà, je t’entends déjà rire et me dire que Dieu n’existe pas, que c’est juste des racontars pour enfants d’un autre temps ou d’autres lieux. Tu as tort et raison à la fois. Oui, je te parle d’un enfant d’un autre temps, tu dois regarder par ses yeux. Bien qu’obnubilés par leurs nombrils, certains hommes savaient encore parler à Dieu, ou à leurs dieux, ou au sage du désert, selon les tendances du moment ou du lieu. Tous se valent : ils sont issus de vous et reflètent ce que vous en attendez. Plus intéressant encore, tiens-toi bien : Dieu (parfois) répondait. En tout cas, il prêtait toujours l’oreille à ceux qui faisaient l’effort de venir le chercher. Et Loren faisait partie de ceux-là. Ceux qui n’avaient pas coupé le cordon qui reliait la terre à leur ciel natal. Enfant dans l’âme, il s’était refusé aux sermons des nouveaux prêtres, ceux dont les anges mécaniques recomposent aujourd’hui le monde en l’emplissant d’ondes invisibles et de chants magnétiques. Le Dieu de Loren sommeillait au sommet d’une montagne, comme toute divinité nourrie d’air pur dont la vue devait porter par-delà l’horizon.

Loren laissa la porte de sa cabane ouverte – pour ce qu’elle contenait, il pouvait bien la prêter aux loups-garous ou aux roux-galous un hiver ou deux. Je blague, tu sais bien que j’aime jouer avec vos mots. C’est sans doute mon pire défaut, d’ailleurs.

Je ne m’appesantirai pas sur le voyage de Loren. Le monde n’était pas aussi rempli qu’il l’est maintenant et on pouvait marcher des jours sans croiser une route, sans voir un trait de condensation d’hydre au carbure zébrer l’azur, en se laissant juste porter par le pépiement des oiseaux ou les chœurs d’une armée de fourmis rouges. Tout ce dont tu dois te souvenir, c’est des étapes.

La première fut sa rencontre avec le loup-garou dans les profondeurs de la forêt. Intrigué par un gémissement inhabituel, Loren traversa une futaie et découvrit une créature effroyable, allongée sur le flanc, la langue déroulée dans l’humus. La bête efflanquée ressemblait à un loup, mais plus grand qu’un cheval, avec des crocs effilés comme des queues de comètes et des griffes agrippées à la terre, comme pour empêcher le vent de lui ravir sa carcasse. Face à l’aspect misérable du monstre, Loren ne ressentit que de la pitié. Je vais tenter de retranscrire à peu leurs échanges, essaie d’imaginer leurs voix : rauque et sifflante pour le loup-garou, haute et claire pour Loren.

« Comment t’appelles-tu, homme ? » murmura la bête.

Ça te surprend peut-être, mais en ce temps-là les loups-garous se montraient toujours polis, sauf quand ils se transformaient en hommes. Dans ces moments-là, on pouvait les entendre hurler à la lune et pleurer leurs déchirures de bêtes humaines. C’était l’heure des monstres, l’heure d’hiver, celle sur laquelle ta montre s’est arrêtée et qu’il est temps de remonter. Mais voilà que je digresse encore.

Pour avoir côtoyé la forêt et ses merveilles, Loren savait que le loup n’attaquait pas l’homme, aussi il lui répondit tranquillement :

— Je m’appelle Loren. Tu as l’air bien mal en point, qu’est-ce qui t’arrive ?

— Je me repose.

Le jeune homme n’était pas dupe. Il voyait bien que la bête agonisait. Il la poussa à lui narrer son histoire. Et le loup-garou lui parla de sa vie, de ses combats pour exister au milieu des hommes, de la faim qui lui nouait le ventre et l’âme, une faim insatiable à laquelle il s’était toujours refusé à répondre, rejetant le goût du sang. Mais peut-on contrarier sa nature éternellement ? À la fois loup et homme, homme puis loup, les pulsions étaient trop fortes. L’homme avait fini par l’emporter.

— J’ai tué, avoua le loup-garou. Oh, sans cruauté ni plaisir : le cochon s’était moqué de moi. Mais c’était un cochon de prince marchand. Alors, ils m’ont chassé, poursuivi depuis les combes glacées des domaines du nord jusqu’aux plaines inondées de lumière des terres du sud. J’ai couru sans m’arrêter, distançant les limiers lancés à mes trousses, fuyant sans jamais m’arrêter. Arrivé à la limite des marais, ils se sont enfin détournés. Aujourd’hui, je n’ai plus de forces. Prédateur malgré moi, proie insoumise, bientôt repas pour les charognards.

Loren secoua la tête, touché par le destin de la bête. Oui, tu étais comme ça. Tu l’es encore d’ailleurs, regarde en arrière et tu en auras la preuve.

— Écoute, fit Loren, peut-être que je peux t’aider.

Le loup-garou se montra intrigué. Le jeune homme poursuivit :

— Je suis en route pour rencontrer Dieu et lui demander des conseils. Une fois là-bas, je ne vois pas d’inconvénient à lui toucher deux mots de ton malheur. S’il est aussi puissant et sage qu’on le dit, aucun doute qu’il trouvera une solution pour toi.

Ils se partagèrent les quelques provisions que contenait sa besace, pas assez pour remettre sur pattes un monstre plus grand qu’un bœuf, mais suffisamment pour lui insuffler une brise de vie. Loren promit d’être de retour avant la lune suivante. Promesse de jeunesse, fougueuse et pleine d’innocence, parole en forme d’étendard, brandie à bout de bras pour faire entrer la lumière dans un monde crépusculaire. Mais tu avais raison ! Ton monde avait besoin de lumière. Comme celui d’aujourd’hui. N’aie pas peur de crier haut ton amour pour la justice et le partage. Jamais les Justes ne pourront te reprocher d’avoir défendu un plus faible. Seuls les veules ou les corrompus chercheront à te le faire payer, et ce faisant, ils adouberont le chevalier de la lumière que tu te refuses à voir en toi.

Loren venait de commencer à partager sa flamme. Je m’en réjouissais, bien sûr, même si je n’avais jamais douté de lui. Il poursuivit sa route, traversa la forêt, vivant de pêche quand il pouvait, de baies et de racines la plupart du temps. Avant l’orée, une nouvelle plainte attira son attention. Cette fois plus délicate, bruissement triste comme un souffle d’automne dans une brassée de feuilles sèches.

C’était sa deuxième étape. Rappelle-toi, il y en a trois. Les héros, comme tous les êtres vivants, franchissent toujours trois étapes. La première est un déchirement, une séparation, la seconde est un voyage en quête de l’autre, la troisième un voyage en quête de soi. Naissance, vie et mort. Non, je ne suis pas vieux-jeu, j’aime les allégories. Des images naît l’i-mage-inaire. Cet imaginaire que j’essaie de réveiller pour que tu puisses rejeter les peurs qui t’enchaînent. Rêve et réalité sont tricotés avec les mêmes aiguilles. Une maille à l’envers, une maille à l’endroit.

Loren, donc, fouilla les buissons et découvrit un tout petit arbre perdu sous le manteau de frondaisons des chênes centenaires. Pas facile de grandir à l’ombre des aînés. Loren, qui connaissait mieux les arbres que les hommes, comprit le langage de la plante. « Aide-moi à trouver la lumière » suppliait le jeune chêne. S’il avait eu sa cognée, Loren aurait pu abattre un ou deux géants et ménager de l’espace, mais il ne s’en était pas encombré. De toutes façons, il n’aurait jamais coupé de telles majestés. On ne tuait pas n’importe quel arbre. Loren avait un devoir envers la forêt, un pacte sacré : il la nettoyait des vieilles souches et des fûts malades pour qu’elle puisse respirer, s’épanouir sans craindre le feu ou les parasites – l’homme étant le pire d’entre eux, à la fois feu et parasite – en échange de quoi elle lui offrait ses chants et son bois. Mais jamais plus que nécessaire : à cela tenait l’équilibre de la vie. Dommage que les hommes l’aient oublié.

Loren pouvait quand-même aider le jeune chêne. Sensible à sa complainte, il caressa ses feuilles et promit de parler de lui à Dieu. Belle constance de sa part, magnifique assurance. Puis il reprit sa route.

Voici venir la dernière étape. Au-delà de l’orée s’étendait une plaine parcourue par l’ombre des nuages. Contre l’horizon se dressait la montagne sur laquelle, Loren n’en doutait pas, Dieu l’attendait. Les choses étaient telles qu’elles devaient être. Aux pieds de la montagne, un ruisseau arrosait une parcelle fleurie entourée d’une clôture mangée par le lierre. Assise sur le bord de la clôture, les jambes dans le vide, une jeune fille fixait l’horizon d’un air triste. On pourrait ajouter une chaumière en arrière-plan, mais la vérité était moins bucolique. Plusieurs masures en ruine marquaient de leurs silhouettes assoupies l’emplacement d’un village abandonné. La jeune inconnue observa Loren avec curiosité, le laissant approcher sans s’émouvoir.

— Bonjour, je m’appelle Loren, fit-il, toujours aussi poli.

— Bonjour Loren, je m’appelle Lys, comme les fleurs blanches à tes pieds.

Loren s’inquiéta de l’aspect délabré du village.

— L’eau du puits était empoisonnée, lui répondit la donzelle. Un ange est venu nous prévenir, mais personne ne l’a entendu. Tous ont continué à boire.

— À quoi reconnaît-on un ange ? demanda Loren, qui s’intéressait sérieusement au sujet.

— On ne le reconnaît pas, répondit la jeune fille. On le croit ou on ne le croit pas. Si on l’écoute, sa parole est limpide. Si on doute de lui, il n’a plus rien d’angélique. C’est peut-être pour ça que tous les villageois sont devenus fous, sauf moi. Si tu veux vérifier, va voir dans l’église : ils sont tous réunis là-bas.

— Mais toi, tu n’as pas l’air folle.

Loren n’était pas ce qu’on pouvait appeler un franc séducteur, et il se trouvait d’autant plus bête que la pucelle ne le laissait pas indifférent. Quel garçon n’a pas connu ça, hein ? Vous faites les fiers, vous déclamez des discours enfiévrés devant les copains, mais devant une frimousse séduisante, pshiiit. Adieu la belle assurance et les réparties sensées. Enfin, pas tous les garçons, certains ont compris le pouvoir des mots et savent s’en servir. Toi non, et tant mieux. Loren était un grand sentimental, romantique et tout et tout : les pires maladroits. Alors, il manquait un peu de sens de l’à-propos. Mais la jeune fille ne s’en émut pas. Elle répondit simplement à sa question :

— J’ai cessé de boire l’eau du puits avant qu’elle ne se tarisse. L’eau du ruisseau est plus difficile à puiser, mais elle est saine.

Loren vit qu’elle retenait ses larmes. Il comprit qu’il avait abordé un sujet sensible.

— Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? demanda-t-il, un peu penaud.

Il n’avait pas besoin de se forcer. Chez lui, la générosité était une seconde nature.

— Si tu sais éloigner la folie et la solitude, je t’en prie, répondit Lys. Sinon, je continuerai d’attendre le retour de l’ange.

Comme il l’avait fait pour le loup-garou et pour l’arbre, Loren expliqua qu’il était en chemin pour parler à Dieu. Il promit de lui soumettre le problème du village et de revenir avec une solution. Lys posa une main sur la joue du jeune homme et le gratifia d’un sourire encourageant.

Il en faut peu pour décupler l’ardeur d’un homme. Les femmes ont ce don de susciter beaucoup avec peu. La chaleur du sourire de Lys accompagna Loren tout au long de l’ascension de sa montagne sacrée. Je te passerai les détails de cette aventure, qui sont moins importants que sa conclusion. Je devine que tu as déjà une idée de ce que Loren va trouver au sommet. Non ? Eh bien… moi, pardi. J’étais là, je l’attendais. Je t’attendais ! Comme je t’attends à nouveau aujourd’hui. Ce que j’ai répondu à Loren ? Eh bien, comme il m’a d’abord soumis les problèmes de la jeune fille dans son village de fous, du petit arbre qui n’arrivait pas à grandir et du loup-garou qui mourait de faim, j’ai commencé par lui donner les solutions qu’il cherchait. Et pour lui ? Rien qu’il ne sût déjà : qu’il était un homme bon, comme rarement homme fut bon, que j’étais très fier de lui, qu’il méritait d’être heureux et de ne plus connaître ni solitude ni besoin. Des banalités en somme. De toute façon, son chemin il l’avait tracé sans moi. Je n’avais été qu’un prétexte.

Mais comme il ne semblait pas réceptif, j’ai joué au mystérieux roi mage. J’ai parfois un goût de la mise en scène immodéré, j’avoue. Pensant me montrer subtil, je lui ai dit une chose très importante sous couvert d’une bête énigme. Je pensais qu’il avait déjà tout compris. Alors, je lui ai raconté qu’il avait un destin unique et que, pour l’accomplir, je lui offrais une chance unique. « Surtout, ne la laisse pas filer ! » ai-je trouvé malin d’ajouter. S’il s’était agi d’une conversation électronique, j’aurais ponctué d’un smiley « clin d’œil ;-) » C’eut été plus parlant, peut-être…

Bref, pétri de gratitude, le bonhomme Loren est reparti comme une fusée, a dévalé la montagne et a disparu dans la vallée.

Moi, je t’ai regardé t’éloigner, un peu chagrin de t’avoir si peu aidé. La véritable épreuve, ç’avait été de venir jusqu’ici. Ce que Loren avait accompli, c’était ça qui faisait de lui un être à part : il avait gravi sa montagne pour porter les malheurs des autres. J’aurais dû siffler la fin de la partie au lieu de jouer au faiseur de destins. Maintenant je suis loin, même si tu reçois ce message, tu auras du mal à retrouver ma montagne. Il te faudrait traverser l’espace, affronter la gueule affamée du cœur de la galaxie, gagner la course contre les étoiles. Je sais que tu en es capable. Mais pour ça, tu devras d’abord soigner ta forêt et faire repousser tous les arbres que tu as coupés. Sans arbres, pas d’arche. Crois-tu que ce soit plus difficile que de sortir vivant d’un trou noir ? Si c’est le cas, tu n’y arriveras pas. N’oublie pas l’ange : ne doute pas et sa parole te semblera limpide.

Et Loren dans tout ça ? Loren a donc dévalé la montagne. Il est arrivé au village des fous. La belle Lys l’attendait sans y croire. « C’est l’ange qui est revenu » pensa-t-elle. Loren lui expliqua avoir rencontré Dieu, et qu’il lui avait donné la solution.

— Alors ? demanda la jeune fille.

— Alors, Dieu suggère que tu épouses le premier homme qui passera et que, à vous deux, vous rebâtissiez le village près du ruisseau.

Lys hocha la tête. Cette solution lui convenait, surtout que Loren était plutôt beau garçon.

— Oh, je suis désolé, répondit Loren quand Lys lui proposa de l’épouser sur le champ. J’ai un destin unique et une chance unique que je ne dois pas laisser passer. Je reviendrai !

Voilà. Ça, c’était mon cadeau empoisonné. Je me suis prié pour que tu me pardonnes, tout en sachant que tu étais incapable de tenir le moindre grief. Tu t’en serais d’abord voulu à toi, de toute façon. C’est à ça qu’on reconnaît les vrais chevaliers. Ils ne rendent jamais les autres responsables de leurs échecs. Parfois pourtant, ils pourraient.

Loren salua Lys et reprit sa route. Après son départ, la jeune fille attendit un peu, n’osant croire que l’ange venait de se faire la belle, mais pas la bonne. Oh, pardonne-moi encore ce mauvais jeu de mots. J’essaie de dédramatiser. Sache que je me sens honteusement coupable.

Dépitée, Lys se résigna à boire l’eau du puits. Elle retrouva tous ses amis et sa famille dans la chapelle. Tous s’exclamèrent avec joie « Lys est de retour parmi nous, la folie l’a enfin quittée ! ». Les anges ne sont pas fous, tu vois.

Loren poursuivit sa route. Après la lisière des bois, il retrouva le petit arbre. Je te fais le dialogue, excuse ma pâle imitation de la parole végétale :

— Alors ? Tu as vu Dieu ?

— Un peu !

— Et qu’est-ce qu’il a dit ?

— Il a suggéré que tu retires le trésor qui pourrit entre tes racines et les empêche de se développer.

Le jeune chêne aurait sauté de joie s’il avait pu. Imaginant ses ramures caressant l’azur, il s’empressa de proposer à Loren de déterrer le trésor caché. Mais, tu t’en doutes, le garçon courait déjà vers son destin. Son destin « unique ». « Je reviendrai ! ». Bien sûr. Fougue de la jeunesse qui a le temps devant elle. Tellement de temps que le futur lui tend les bras, plus vaste que l’horizon. L’avenir est pourtant ce que l’on en fait.

Loren traversa la forêt, heureux de retrouver les chemins de son enfance. Quand il arriva près du loup-garou, la bête s’était recroquevillée contre une souche, exsangue.

— Je ne pensais pas te revoir de mon vivant, fit le monstre.

— Je t’avais dit que je reviendrais, répondit Loren tout à la fierté de son exploit.

Et il avait raison de se réjouir. Il avait tenu parole. C’est pas chose aisée dans l’existence.

— Alors ? demanda le loup-garou.

— Alors, répondit Loren avec un sourire innocent. Dieu a dit : « si tu as la chance de croiser un imbécile comestible, ne te gêne pas, la Terre en est remplie, un de plus ou un de moins… ».

Voilà, maintenant tu sais. Tu as un destin unique, et une chance unique. Fais gaffe à ne pas les laisser filer. Je suis fautif et triste mais, en bon parent, je devais te laisser te brûler les ailes. Il fallait que tu apprennes.

Maintenant, je t’attends à l’autre bout de l’univers. Prends ton temps, tu as toutes tes vies devant toi. Et n’oublie pas : trois étapes. Naissance, vie… et re-naissance.

Une dernière chose : tu aurais tort de te fier aux monstres, surtout si tu mets ta tête dans leur gueule. J’espère que ça, tu l’as intégré. Sois prudent. Sois prudente !

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