La chapelle du bout du monde, partie 2
Quelques années plus tard ma professeure de français m'a demandé de participer à un concours de diction et de représenter mon collège. Elle m'avait proposé de préparer une scène des fourberies de Scapin, le fameux monologue du fou rire de Zerbinette. Dans cette scène Zerbinette explique à Géronte comment Scapin, qui n'est autre que le valet de Géronte, avait réussi à extorquer de l'argent à son avare de maître, en lui faisant croire que son propre fils avait été kidnappé. Dans cette scène Zerbinette ne sait pas qu'elle s'adresse au dit Géronte et se régale à décrire par le menu tous les détails de l'escroquerie du siècle. Et moi je m'étais régalée à jouer le personnage de Zerbinette pendant les cours de français. Notre professeure était une véritable amoureuse du théâtre et avait une façon très particulière de faire la classe, et les garçons étaient tous amoureux de ses jupes courtes et de ses magnifiques cheveux ondulés. Elle avait eu quelques ennuis à cause de la direction et pourtant c'était la plus merveilleuse des professeures de français. Il faut bien avouer qu'à cette époque là les sections théâtre n'existaient pas encore dans les lycées, et encore moins dans les collèges, et les professeurs n'avaient qu'à bien se tenir. Quoiqu'il en soit, j'étais très flattée qu'elle m'ait choisi moi pour représenter le collège, et je lui ai dit que j'étais tout à fait d'accord pour travailler la fameuse scène du fou rire de Zerbinette. Sauf que j'avais besoin de l'autorisation de mes parents et que je n'ai jamais osé leur demander la permission de me présenter à ce concours, de peur d'obtenir un refus. Je m'étais inventée tous les scénarios inimaginables pour éviter d'avoir à leur demander leur avis.
Certes, ils savaient déjà que j'aimais le théâtre, puisque l'année précédente je m'étais inscrite au club théâtre du collège et que lors d'une réunion parents enseignants l'institutrice de l'école primaire avait prévenu ma mère de mon souhait de devenir comédienne, mais là il sagissait de tout autre chose. Premièrement je devrais répéter tous les jours dans ma chambre, et pas seulement le mercredi, lorsque mes parents étaient absents, ensuite je me disais que finalement je n'avais peut être pas autant envie que cela de participer à ce concours, que je n'étais pas si douée que ma professeure le disait et puis qu'après tout elle même n'avait pas été reçu au concours du conservatoire d'art dramatique, etc, etc... La vérité c'est que je n'avais pas suffisamment confiance en moi et que j'avais surtout peur de l'échec, et que si mes parents avaient donné leur accord pour que je participe au club théâtre, ils refusaient de prendre cette passion au sérieux. D'ailleurs ma mère passait son temps à me parler de l'envers du décor de ce milieu, alors qu'elle ne connaissait pas du tout le monde du spectacle. C'était une injonction paradoxale qui visait à me dissuader d'aller jusqu'au bout de mes idées, mais j'étais bien entendu trop jeune pour m'en rendre compte. Bref, ma prof de théâtre a été terriblement déçue de ce revirement de situation et ce d'autant plus qu'elle prétendait que j'étais la seule à pouvoir me présenter à ce concours. Je pensais qu'elle exagérait beaucoup et qu'il y aurait bien un autre, ou une autre élève, qui pourrait se présenter, mais lorsque j'ai réalisé qu'effectivement personne ne représenterait mon collège j'ai pensé que j'étais très lâche et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Et pourtant j'étais incapable de parler à mes parents.
Les années ont passé et j'ai tout de même continué à faire du théâtre, tout en exercant une autre profession, mais je n'avais jamais réussi à oublier cette histoire de concours et je m'étais souvent demandé ce que serait devenue ma vie si j'avais participé à ce concours... Eh bien figurez vous que j'allais à nouveau me retrouver sur le chemin de l'église, ou plus exactement d'une petite chapelle, située dans une région très proche de la montagne noire.
Fin de la deuxième partie.
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