Lypémanie
Elle observait ses pieds. Cela faisait au moins deux bonnes heures que la jeune femme était là, plantée sur ses deux jambes, figée comme une statue de marbre. Ses yeux ambrés contemplaient l'immensité du jardin qui s'étendait jusqu'à l'horizon. Seule, le vague à l'âme, elle sentit quelques larmes lui monter aux yeux. Elle triturait du bout de ses doigts la rose qu'elle avait apportée avec elle, les faisant parcourir sur la tige de haut en bas et de bas en haut. Quelques boucles brunes vinrent lui caresser le visage, portées par le vent qui soufflait sagement sur la prairie. L'on n'entendait que le bruissement des feuilles dans les arbres, balançant leurs branches au rythme du zéphyr qui les entraînait tantôt en avant, tantôt en arrière.
Sa vision trouble ne distinguait que quelques formes, à peine le contour des pierres blanches qui parsemaient la plaine, à peine les couleurs des cerisiers en fleur. Elle leva son regard de miel vers le ciel, ravalant sa tristesse alors qu'elle laissait traîner la pulpe de ses doigts sur les épines. Le sang coula le long de ses phalanges tant elle resserra sa poigne, comme si cette mutilation pouvait contenir les émotions qui la submergeaient. La jeune femme ne s'en formalisa pas, ses prunelles mordorées rivées sur les nuages. Lentement, leur mousse blanche se déplaçait dans le ciel, laissant dans leur passage traîner une brume argentée.
Et puis, elle rebaissa les yeux vers ses pieds. Aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche et pourtant, la jeune femme mourait d'envie de hurler sa peine. Son cœur était brisé, sa gorge nouée et bientôt ses larmes ravagèrent son maquillage. La belle brune laissa sa douleur éclater, sanglotant et tremblant comme une enfant. Dans un geste de colère, elle jeta la rose à ses pieds avant de s'effondrer à genoux, son visage caché dans ses petites mains de femme. Son chagrin redoubla d'intensité et il lui fallut plusieurs minutes pour calmer son émoi.
Elle réarrangea correctement les fleurs que l'on avait disposées là, enlevant la végétation fanée, séchant ses larmes d'un revers de manche. Elle posa sa main contre la croix blanche devant elle, son anneau flavescent luisant au soleil, avant d'épousseter l'inscription qui l'ornait.
John Marryweather
Dear husband and son
A hero of his country
1919 - 1944
Annotations
Versions