14. Agate mousse

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L’agate mousse serait une pierre d’harmonie et d’équilibre. Elle aiderait les personnes peu sûres d’elles en exacerbant les bons côtés de leur personnalité.

°°°

— Tu vas bien ?

Léana jette un regard craintif à son chaton de Feu qui vient de s’allonger sur le lit. Si Micah n’avait pas autant d’inquiétude dans la voix, elle aurait raccroché dans la seconde. Raté. Elle reste figée sur place à observer le téléphone qui la nargue avec son interface d’appel. Le bouton rouge lui semble si loin.

Elle déglutit difficilement avant de s’assoir sur son lit. Qu’est-ce que je pourrais lui dire ? J’ai pris la fuite à chaque fois qu’il a ouvert la bouche ! Elle sent ses joues s’échauffer pendant que le temps s’étire. Et s’il me prend pour une folle ? Il doit se demander pourquoi je l’appelle ! Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que …

— Léana ?

— Oui ! s’exclame-t-elle plus fort qu’elle ne le voudrait. Excuse-moi, je t’ai appelé par erreur. Je ne voulais pas te déranger !

Elle grimace en levant les yeux au ciel. Pourquoi sa voix tremble-t-elle autant ? J’ai peur. J’ai tellement peur. Douce onde de chaleur, le matou grimpe sur sa cuisse droite en la fixant d’un regard intrigué. La malice qui brille habituellement dans ses yeux a disparu. Il pose ses petites pattes contre le cœur battant de sa maîtresse. Tout va bien. Il ne peut rien t’arriver.

— Tu ne me déranges pas ! Au contraire, ça me permettra de m’excuser encore une fois de te faire... peur à chaque fois qu’on se voit. Je te promets que je ne suis pas un gangster qui s’amuse à frapper des gens au hasard. Kaïs ne me croit pas, soupire-t-il, mais j’ai bon espoir de le lui faire comprendre. Un jour.

Elle se mord la lèvre comme si cela pouvait empêcher sa bouche de laisser échapper un petit rire. Puis son imagination l’emporte vers une scène où Micah gesticule devant un tableau noir, exposant un raisonnement scientifique extrêmement complexe pendant que Kaïs le jauge, dubitatif. « Mais si ! Selon cette équation physique, je ne peux pas être une mauvaise personne ! » s’exclamerait-il. Pauvre Micah. S’il savait que Kaïs est aussi têtu qu’un âne et une mule confondus.

— Tu ne te moquerais pas de moi là ? demande-t-il d’un ton suspicieux. Je t’entends sourire d’ici.

— Non, non, s’exclame-t-elle, le rouge aux joues. Je… je..

— Oh mince, non ! Je te taquinais ! presse la voix au téléphone, paniquée. Je voulais… je… Pardonne-moi.

Les yeux de Léana s’écarquillent. Dans son esprit, le visage de Nergal s’estompe tandis que les traits de son véritable interlocuteur s’y ancrent un peu plus. L’Autre… Il ne s’excusait jamais. Même quand il savait qu’il était dans l’erreur. La jeune fille secoue la tête. Elle ne peut pas continuer à comparer ! Si Kaïs ne supportait pas la vue de Nergal, il tolère la présence de Micah à ses côtés, allant jusqu’à lui offrir l’aide d’Iris. Ce fait à lui seul doit briser toute tentative de comparaison. Donne-lui une chance. Elle baisse le menton vers son familier qui s’est tranquillement roulé en boule sur ses genoux. De douces petites flammèches ont remplacé les énergiques étincelles de son pelage. Elle passe une main sur la tête de l’animal, le gratouillant derrière les oreilles. J’ai fait une erreur. Est-ce que cela signifie pour autant que tout ce que j’entreprendrai à l’avenir le sera aussi ? Peut-être pas.

— Est-ce…, commence-t-elle d’une voix tremblante avant de se reprendre. Est-ce que tes… blessures ont guéri ?

— Je… Oui, je me suis rétabli. Ne t’inquiète pas. Ce n’était vraiment pas grand-chose. Juste un entraînement un peu… compliqué.

Elle fronce les sourcils. Chaque candidat au concours de l’Académie est libre de choisir sa méthode mais…

— Tu es sûr que c’est un bon choix d’entraînement ?

Léana ouvre de grands yeux. C’est sorti tout seul. Sa main se crispe sur son chaton qui lève un museau inquiet vers elle. Merde. Une nouvelle vague de stress s’échoue contre ses poumons. Sa bouche s’assèche. Rattrape-toi vite ! Elle cherche ses mots quand soudain, le rire de Micah résonne dans sa chambre.

— Oh, il y a sûrement mieux. Mais pour l’instant, c’est la seule option que j’ai, fait-il pensivement. Ne t’en fais pas pour moi, je m’en sortirai.

Elle exhale un soupir de soulagement. Et si je lui proposais de voir Hashim ? Pour justifier cette proposition, elle devrait lui avouer qu’elle est, comme lui, une Enkidienne. Est-ce qu’il prendrait mal le fait que je ne lui ai pas dit ? Est-ce que cela pourrait être vu comme un mensonge ?

— Léana, ton activité cérébrale pourrait alimenter une centrale nucléaire. À quoi tu penses ?

— Pardon ! Je me demandais si…

Elle ferme la bouche. Oh là, ce n’est pas passé loin. Elle aurait pu se taper la tête contre le mur. Pourquoi le stress lui délie-t-il la langue de cette façon ?

— Si… ? Si l’entraînement dont je parle a un lien avec ce que je t’ai montré la dernière fois ? C’est ça ? demande-t-il gentiment.

Inspiration. Expiration. Elle pourrait lui dire. Je suis une citoyenne de l’Empire. J’ai, moi aussi, des Maîtrises. C’est si simple à exprimer. Léana prend son téléphone, l’approche de son visage. Elle veut être sûre de ne pas avoir à répéter parce qu’elle aurait mal articulé. Elle ferme les yeux. Tout va bien. Kaïs lui fait confiance. Tu peux le faire.

— Micah…

— Je t’ai montré mon pouvoir parce que c’est la seule preuve tangible de sincérité que je puisse te donner, murmure le jeune homme. Des mots lancés en l’air n’ont pas de sens pour toi, je l’ai bien vu. Partager mon secret, c’est la seule façon que j’ai trouvé de te dire que tu peux avoir confiance en moi.

Léana se fige. Elle pose doucement son portable sur son lit avant de cacher son visage dans ses mains. Sa loutre d’Eau émerge des éclats azur qui dansent autour de son poignet. Le familier s’enroule autour de son bras avant de se nicher tout près de son cou. Sa fraîcheur l’apaise. Elle caresse l'animal de sa joue et ce dernier lui rend immédiatement.

— Léa…

— Je suis comme toi, chuchote-t-elle, les yeux fermés. Enkidienne. Citoyenne de l’Empire. Avec des Maîtrises.

Silence.

Les doigts de Léana commencent à trembler. Sa gorge se serre.

Puis un petit rire se fait entendre.


— Il faut croire que je suis destiné à me rendre ridicule auprès de vous deux, souffle-t-il, comme s’il se parlait à lui-même.

Elle se mord la lèvre pendant que sa main caresse distraitement le chaton endormi sur ses genoux. Elle n’entend pas sa loutre d’Eau couiner de jalousie ou le ronronnement du matou. Suspendue aux lèvres de Micah, elle attend la sentence.

— Merci de me l’avoir dit, Léana. J’imagine que ça n’a pas été facile.

L’air lui revient. Le nœud qui lui enserre l’estomac se relâche. Elle inspire profondément.

— Est-ce que tu vas passer le concours de l’Académie ? demande doucement Micah. Les dates des épreuves ont été annoncées.

J’ai pris une mauvaise décision. Je n’ai pas su dire non. Je n’arrive pas à vivre avec les conséquences d’un souvenir. Toutes ces réponses traversent l’esprit de Léana. Elles se rencontrent, fusionnent et forment une nouvelle vérité qui se presse sur ses lèvres. J’ai peur de ne plus être assez forte pour affronter de futurs obstacles.

— Je suis sûr que tu pourrais le tenter, ajoute-t-il. Qui sait ? Tu pourrais être surprise !

— Je…

Léana hésite. Elle rêve de devenir Maître depuis si longtemps. Combien de nuits a-t-elle perdues à fantasmer sur un idéal que très peu peuvent atteindre ? Combien de fois a-t-elle promis à Kaïs qu’ils deviendraient Maîtres, peu importe les sacrifices ? Maîtres. Lui et moi. Ensemble contre le monde. Elle se l’était toujours imaginé. Une promesse qui semble bien enfantine à présent.

— Je ne peux plus, chuchote-t-elle à contrecœur. J’ai perdu trop de temps.

— Mais non, mais non ! C'est encore si loin ! Tu peux le faire !

Un sourire timide vient réchauffer le visage de la jeune femme. Tu es si doux, Micah. Mais tu te trompes. Léana lève la tête vers son armoire dans laquelle sont rangées toutes ses affaires de sport. Ce n’est pas seulement un problème de muscle. Elle pose ses coudes sur ses genoux et ses poings fermés contre son front. Ses ongles s’enfoncent dans sa peau pendant qu’elle replonge dans cette brisure sombre de son âme. Cet antre ténébreux duquel la voix de Nergal, enjôleuse et entêtante, l’appelle. Sors avec moi, Léana. Ses iris noirs caressent la peau laiteuse de l’adolescente. À deux, on pourra tout affronter. Les doigts du garçon écartent une mèche rousse de son visage, la replaçant amoureusement derrière son oreille. Tu n’as pas besoin des autres. Son sourire illumine le monde de la jeune femme. Je t’ai marquée, ma belle. Tu es à moi. Sa langue vient lécher les larmes qui perlent de ses yeux gris. Parce que personne ne t’aimera autant que moi. Personne.

— Mais j’imagine que c’est plus compliqué que ça, déclare la voix conciliante du garçon.

— Oui, on peut dire ça.

Léana réalise qu’elle a parlé au moment où elle entend Micah ricaner faiblement. Elle fronce les sourcils, pas sûre de comprendre ce qui est drôle.

— Qu’est-ce que…

— J’espère que tu réalises à quel point tu ressembles à Kaïs.

— Tu as tort, je suis polie, s’offusque-t-elle.

— Vous avez tous les deux cette aura de mystère qui vous entoure. Mais c’est vrai qu’échanger avec toi est plus… reposant, remarque-t-il en riant. En plus, je suis convaincu que tu feras l’effort de te souvenir de mon prénom !

Les yeux posés sur son téléphone, elle sourit. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit si… attendrissant. Après les évènements de l’autre soir, elle s’était imaginé qu’il essayerait de se montrer sous un jour différent, de prouver ses forces pour noyer le souvenir de ses blessures. Mais pas du tout. Il est juste…lui.

— Tu as pu te reposer depuis la dernière fois ? demande-t-elle prudemment.

— Un peu, souffle-t-il après un temps.

Un grincement de matelas puis une plainte s’échappent du haut-parleur du téléphone.

— Tu vas bien ? ose-t-elle doucement.

— Des courbatures, ne t’inquiète pas.

— Et l’autre fois, chez Iris, c’était aussi des courbatures ?

Elle plaque une main contre sa bouche. Merde. Il va mal le prendre. Elle lève les yeux au ciel. Si jamais il y a un concours où il faut débiter des idioties sous la pression du stress, je suis sûre de le réussir ! Pourquoi fallait-il… Soudain, un éclat de rire la surprend. Tiens ?

— Il faut ce qu’il faut pour réussir le concours ! s’exclame Micah d’un ton enjoué.

— Tu ne pourras pas le passer si tu finis en cendres avant la fin de l’année, essaye-t-elle prudemment.

À nouveau, le rire mélodieux du garçon enchante ses oreilles. Un sentiment de contentement fleurit dans son ventre et elle se remet à caresser son chaton de Feu qui ronronne doucement sous ses doigts.

— Je vais devenir plus fort, tu verras, dit-il, la voix pleine de promesse. Mon familier va grandir et je pourrais t’affronter, la tête haute, au concours.

— Je n’y serai pas, répète-t-elle, ignorant le feulement de son félin.

— Tu y seras, mon amie. Je te le garantis.

Mon amie. Les deux mots effleurent affectueusement la joue de la jeune femme, tirant ses lèvres en un sourire timide. Amis. Ça lui faisait envie. À part Kaïs, personne n’avait voulu de ce statut.

— Je dois te laisser Léana, il faut que je dorme, l’informe doucement le garçon.

— Bonne nuit … Re... Repose-toi bien, bégaye-t-elle, timide.

— Bonne nuit à toi, futur Maître ! s’exclame-t-il joyeusement.

Léana n’a pas le temps de s’offusquer que l’insolent a déjà raccroché.

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