24. Soldalite
Pierre d’humilité, la soldalite aide à trouver le courage.
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Lorsque Micah pose la tête sur son oreiller ce soir-là, le sourire qu’il affiche aurait pu illuminer l’obscurité de sa chambre. Sur sa table de nuit, son portable vibre furieusement. Comme il s’y attendait, Kaïs n’a pas du tout apprécié être qualifié de prédateur stupide. Micah peut pratiquement l’entendre hurler de rage depuis l’autre bout de la ville. Ce qui ne fait que renforcer cet insolent sentiment de satisfaction qui chante dans ses veines. Aaah ! Encore une journée rondement menée !
Le jeune homme saisit son téléphone et, sans répondre à l’animal sauvage qui le harcèle de messages, souhaite une bonne nuit à Léana. Elle ne lui répondra pas, il est trop tard pour qu’elle soit encore éveillée. Ses lèvres se serrent. Depuis la fin des vacances, Léana s’épuise de plus en plus rapidement. Même Kaïs, d’ordinaire si intransigeant, a cessé d’hurler comme un forcené quand elle baillait ou qu’elle s’endormait pendant leurs sessions de révisions.
Se dire que cette fatigue ne lui paraît pas étrange serait mentir. Aussi, supposer que Kaïs est miraculeusement devenu plus tolérant aurait été une monstrueuse erreur. Non. Quelque chose ne va pas. Mais quoi ? Micah ne se sent pas légitime à le lui demander. À quoi cela aurait-il servi à part minimiser sa propre inquiétude ? La mettre plus mal à l’aise qu’elle ne l’est déjà, la faire se sentir obligée de se confier à lui… Non, ce serait égoïste de l’interroger.
L’adolescent repose son portable sur la table de chevet en soupirant. Il aimerait pouvoir la soulager, être une épaule sur laquelle elle puisse se reposer. Micah enfouit sa tête dans son oreiller pour y lâcher un grognement. Sois honnête. C’est plus qu’un souhait, c’est un désir. Oui. Cette envie brûle profondément en lui depuis… Depuis qu’il avait aperçu ces ombres au fond de ces iris mauves. Ces mêmes ombres qui avaient résonné avec celles qu’il cache. Il repousse la couverture avant de rouler sur le dos. Elle pourrait le comprendre. De la même façon qu’il aimerait la comprendre. Elle a Kaïs avec elle. Tout ira bien. Le visage baigné par la lumière des étoiles, un sourire rêveur étire ses traits. Heureusement que tu es là pour elle.
Ses paupières se ferment et il glisse lentement vers un sommeil où se mêlent des lueurs orangées et violettes.
Il n’entend pas, quelques heures plus tard, la porte d’entrée claquer brutalement, faisant trembler les murs de la maison.
Il n’entend pas non plus les pas enragés de son père dans l’escalier menant à l’étage.
Lorsque le battant de sa chambre vole en éclats, un éclair d’urgence traverse son corps. Si son instinct de survie lui permet d’échapper à la boule de feu qui s’écrase au fond de la pièce, Micah est trop endormi pour se soustraire à la poigne de son père qui l’arrache à son lit par les cheveux.
— Deux semaines… Dans deux semaines, répète inlassablement Onibi, le regard fou.
Des hurlements de douleur se pressent dans la gorge de Micah. Quand il est sur le point de les laisser s’échapper, le visage de Sémélé apparaît immédiatement dans son esprit. Ne cède pas. Ne lui donne pas ce qu’il veut. Alors, les larmes aux yeux, il se démène avec toute l’énergie dont il est capable. Cela n’empêche pas son père de le traîner impassiblement jusqu’au Dojo.
— Deux semaines. Elle… Elle… a décidé… Tu dois être prêt, murmure le Maître.
Une porte coulissante claque violemment contre le mur et le corps endolori de Micah ne tarde pas à rejoindre la façade opposée. La douleur explose dans son crâne, sa peau encore fragile se craquelle et un râle de souffrance s’échappe enfin de sa bouche.
— Debout, imbécile, crache dangereusement Onibi en activant sa Maîtrise du Feu. On n’a pas de temps à perdre.
Le visage déformé par la peine, Micah se recroqueville sur lui-même. Lorsque les flammes rubis de son père commencent à pleuvoir sur lui, il ferme les yeux. Une chaleur insoutenable ravage ses habits, lèche goulûment son épiderme avant de l’avaler tout entier.
Ne cède pas. Tu es plus fort que lui.
Les poings de l’adolescent se serrent jusqu’à ce que ses ongles s'enfoncent dans ses paumes. S’il ne sent pas son sang mouiller ses doigts, Micah le voit fleurir sur la glace qu’il invoque pour se protéger des assauts répétés de son père.
Ce n’est pas la peur de mourir ou le courage de résister à cette violence qui le poussent à se relever. Ses jambes tremblent. Des larmes coulent sur ses joues. Mais son regard brûle d’une colère aussi froide, aussi impétueuse qu’un blizzard.
Derrière les éclats de glace sanguinolents, Micah observe placidement la folie tendre les traits de son père. Une rage noire ronge son propre ventre. Une rage tellement véhémente qu’il peine à la museler. Sa mâchoire se tend lorsque son géniteur se met à sourire avant d’exploser d’un rire gras.
— Tu… Tu l’as, n’est-ce pas ? demande-t-il entre deux éclats de rire. Tu y es presque, ça se voit dans tes yeux. L’Impé… L’Impératrice sera ravie. Elle… Elle et moi… Je serai…
D’autres jets de flammes fusent vers Micah. Sa Maîtrise de Glace est trop faible pour qu’il puisse tous les parer. Il est trop éreinté pour se protéger. La barrière gelée explose. La fournaise rougeâtre fond sur lui. L’adolescent croise les bras devant son visage, un hurlement lui déchire la bouche.
Puis tout s’arrête.
D’un claquement de doigts, son père a rappelé son pouvoir destructeur.
La vision rendue floue par la fatigue, Micah s’écroule par terre. Il ne peut pas arrêter le torrent de larmes qui s’écoule de ses yeux ni les spasmes incontrôlables de ses muscles. La colère qui alimentait sa Maîtrise a laissé place à cette peur viscérale qui ne fait qu’augmenter à mesure que les pas de son père se rapprochent de lui.
— Mi-décembre. Tu dois être prêt. Je ne te lâcherai pas jusqu’à ce que tu le sois, promet l’adulte en se penchant vers Micah. Après ça, tu peux être certain que tu entreras à l’Académie, mon fils, souffle-t-il presque affectueusement avant d’asséner un coup sur les brûlures dorsales de Micah.
L’adolescent se laisse submerger par l’océan de douleur dont les courants l’emmènent au plus profond de ses abysses. Si un hurlement, un cri, un son sort de sa bouche, il ne l’entend pas. Seuls les mots de son père résonnent dans ses oreilles :
— Ne t’inquiète pas, Ulric te fera travailler sur ta résistance. Tu te souviens de sa Maîtrise de l’Esprit ? Je suis sûr que oui, s’exclame Onibi en s’éloignant. Bonne nouvelle, mon fils. Dans deux semaines, tu seras libre.
Libre.
Micah ferme les yeux.
Sa conscience se perd dans la noirceur de sa souffrance.
Lorsqu’il se réveille, quelques rayons de soleil ont déjà commencé à réchauffer sa peau rougie. Il lâche un gémissement avant de ramper lentement jusqu’à sa chambre. Les débris de sa porte écorchent sa peau mais au point où il en est, est-ce vraiment important ?
Sans réfléchir, Micah attrape son portable resté bien en place sur sa table de chevet. Ses doigts pleins de sang séché cliquent sur “Malpoli éruptif” et font défiler les messages. Entre insultes ridicules et promesses de vengeance, un léger sourire naît sur les traits de l’adolescent. Puis ses lèvres se mettent à trembler. Les larmes coulent sur ses joues tuméfiées, son cœur remonte dans sa gorge et il serre son téléphone contre lui pendant que ses sanglots secouent son corps.
Au bout d’un moment, les tressaillements finiront par se calmer, ses pleurs par se tarir. Il se traînera jusqu’à sa salle de bain où il étudiera son piteux reflet dans le miroir. L’habitude reprendra les rênes. Il désinfectera ses blessures, les recouvrira par des pansements avant de les camoufler par du maquillage.
OoO
Malpoli éruptif : Bordel de merde, face de givre.
Malpoli éruptif : La prochaine fois que je te vois, j’te bute.
Malpoli éruptif : Et crois moi que tu l’auras mérité, putain.
Malpoli éruptif : Prédateur idiot… tch.
Malpoli éruptif : J’vais t’en foutre moi de prédateur idiot !
Malpoli éruptif : Tronche de poudreuse, va.
Malpoli éruptif : Bonne nuit quand même, tête de glaçon.
Malpoli éruptif : Face de givre ?
Malpoli éruptif : Bordel.
Malpoli éruptif : Réponds.
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