35. Armoise citronnelle
Cette plante symbolise le manque ou l’absence.
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Lorsque Micah ouvre la portière de la voiture, il n’a que cinq petites minutes pour se rendre en classe. Son retard n’est certainement pas le fruit du hasard. Il remercie rapidement James de l’avoir emmené avant de s’élancer vers le portail du lycée. Le ciel de décembre étend ses bras grisâtres sur le bâtiment et un vent glacial vient ébouriffer les boucles brunes de l’adolescent. Micah resserre son écharpe sur son cou tout en se faufilant parmi ses derniers camarades encore en train de discuter dans la cour.
Pendant qu’il monte les escaliers, une seule pensée s’impose dans sa tête. Ne pas les croiser. Micah inspire profondément. Cette journée ne sera pas facile. Mais il faut que tu tiennes.
Alors qu’il salue sa classe, il repense avec appréhension aux deux messages de Kaïs laissés sans réponse.
Malpoli éruptif : Lundi. 13h. Salle de musique.
Malpoli éruptif : Faut qu’on cause.
Micah secoue la tête. Je n’irai pas. C’est trop dangereux. À son retour du Continent, le brun s’est mentalement préparé à affronter ce lundi. Il n’a pas du tout planifié d’éviter le duo pour le restant de l’année. Il en deviendrait fou. J’ai juste besoin de temps pour trouver une solution.
Le lycéen sourit poliment à ses camarades qui viennent converser avec lui et feint de s’intéresser à ce qu’ils lui disent. Heureusement pour lui, l’arrivée du professeur coupe court à ces ennuyeux échanges.
Le cours commence et Micah peut enfin souffler. L’envie de les retrouver est si forte qu’il se demande un instant si ce n’est pas un effet secondaire de sa malédiction. Il balaie immédiatement cette hypothèse. Tu te sens coupable. Tu as juste envie qu’ils te pardonnent. Micah soupire de dépit avant de se concentrer sur son cours. Cela le libérera un moment de la culpabilité qui plombe son ventre.
Lors de la première pause matinale, il surveille la porte de la classe. Il est partagé entre l’espoir et la crainte de voir débarquer un Kaïs hurlant dans la pièce. Mais aucune chevelure en bataille ne passe le battant. Et s’il vient, que feras-tu ? Tu l’enverras bouler à l’autre bout des Contrées Humaines ? Micah a tellement l’habitude de passer son temps avec ses deux camarades qu’il a l’impression de les voir surgir à chaque fois que quelqu’un marche dans le couloir. Le professeur ferme la porte, signalant la fin de la rêverie du brun.
Comme à son habitude, Micah se concentre sur chacune de ses leçons. Ce sera du temps gagné lorsqu’il faudra réviser le concours de l’Académie. De plus, cela lui permet de vider son esprit de toutes les inquiétudes qui y règnent.
Quand la sonnerie indique la fin de la matinée, Micah se précipite hors de la salle de classe. Kaïs vient toujours me chercher en vitesse pour réserver une table à la cantine. Alors le bouclé s’élance dans le couloir et grimpe les marches quatre à quatre jusqu’à arriver au quatrième étage. Prendre un prédateur de vitesse, quelle idée. L’escalier continue encore un peu jusqu’à une porte fermée à clé contre laquelle l’adolescent se laisse glisser en soupirant. Proie : un, prédateur : zéro.
Le bouclé sait qu’il ne doit pas prendre de risque. Pourtant il est à deux doigts de dévaler toutes ces marches pour aller leur expliquer la raison de son absence. Malheureusement, la torture qu’il pourrait leur infliger le colle dans ce coin sombre. C’est pour leur bien, c’est pour leur sécurité.
Le prince sort son déjeuner de son sac et mord dans le sandwich sans réelle envie. Il mange rapidement, se crispant à chaque fois que des pas résonnent dans la cage d’escalier. Et s’ils me trouvent ? S’ils approchent et qu’ils se blessent par ma faute ? Les doigts de Micah se mettent à trembler lorsqu’il repense à la douleur dans laquelle la Maîtrise du Sang d’Atrée l’a plongé. S’il sait qu’il ne tiendra pas longtemps à éviter ses amis comme ça, il n’est pas prêt à tester les limites de sa malédiction. Léana a assez souffert avec son ex petit copain et Kaïs vient à peine de retrouver son amie d’enfance. Le brun doit contenir son égoïsme et les laisser tranquille pour un temps. Même si ça lui fait mal.
Pour calmer son maître, le petit panda de glace apparaît sur la cuisse de l’adolescent et se réfugie dans les plis de son pull bleu marine. Il souffle de petits flocons de neige qui atterrissent délicatement sur les joues du bouclé. Micah sourit faiblement à son familier alors que ce dernier se hisse péniblement jusqu’à son épaule.
Une autre présence se fait sentir. Le lycéen lève la tête. Un poulain constitué de feu l’observe d’un air craintif. La mâchoire du prince se tend. Dégage. L’animal encore tout frêle essaye de s’approcher du garçon en posant doucement son sabot sur une des marches. Je ne veux pas de Son pouvoir. Si de la tristesse brille dans ses yeux orangés, le familier secoue sa crinière de flammes et s’efface, obéissant, de la vue de son maître. Jamais je ne t’utiliserai.
Micah prend délicatement son panda de glace entre ses mains puis le caresse du bout des doigts. Le regard du jeune homme se voile. Sémélé… Tu aurais été de bon conseil dans cette situation. Mélancolique, l’adolescent inspire brièvement avant de laisser l’animal disparaître. Il sort ensuite son portable et ses écouteurs puis se plonge dans sa musique jusqu’à la fin de la pause.
L’après-midi se termine sans que Micah ne s’en rende compte. Il range rapidement ses affaires, quitte la salle de classe et part à l’opposé de la sortie du bâtiment. Le risque de voir débarquer Kaïs en furie parce qu’il n’est pas venu au rendez-vous est trop grand. Le brun se réfugie au même endroit que ce midi. Il attend quelques minutes que le brouhaha se calme avant de descendre quelques étages. Proie : deux, prédateur : zéro.
Soudain, alors qu’il se trouve encore dans les escaliers, il voit une jeune femme rousse à quelques mètres devant lui. Léana. Micah se fige. Agrippée à la rampe, elle maintient son poids sur une seule béquille. Elle est presque à bout de souffle. Attends, je vais t’aider. Le prince fait naturellement un pas vers elle, mais le sourire sadique d’Atrée apparaît vivement dans son esprit.
Micah s’immobilise. Son cœur lui hurle d’avancer mais sa raison l’en empêche. Je t’ai promis que je ne te ferai pas de mal. Le bouclé n’a pas d’autre choix que de la regarder descendre les marches avec difficulté. Il serre les dents à chaque fois qu’elle gémit discrètement. Ses ongles se referment sur ses paumes comme si la douleur pouvait l’empêcher de bondir à son secours.
Perché au-dessus des marches, l’adolescent la voit quitter lentement la cage d’escalier. Attends… Il se laisse tomber sur le carrelage froid, les dents serrées. Ne pas intervenir est plus compliqué que prévu. Il ne faut vraiment pas que je devienne tacticien. Il passe une main fatiguée dans ses boucles sans faire attention aux derniers lycéens qui détalent vers la sortie. Quel comble pour un potentiel futur Empereur ! Après de longues minutes à attendre patiemment, le jeune homme lève la tête et se met en route.
Quand il sort du bâtiment, son regard s’arrête tout de suite sur le duo roux et blond qui marche vers le portail. Loin derrière eux, il observe Kaïs soutenir délicatement Léana en s’imaginant les vulgarités qui doivent sortir de sa bouche. Si un sourire timide naît sur ses lèvres, Micah ignore le pincement au cœur qu’il ressent en voyant les deux amis éclater de rire.
Ils s’en sortent très bien sans toi. Cette insécurité n’est pas nouvelle pour l’adolescent. Depuis qu’il les a rencontrés, l’idée qu’il représente la troisième roue du carrosse tourne de temps en temps dans sa tête. Face à deux personnes qui ont grandi ensemble, Micah a toujours eu peur de n’être qu’un élément bloquant. De n’être que celui qui tient la chandelle. Même si Kaïs et Léana ne l’ont jamais fait ressentir, maintenant qu’il les observe agir tous les deux de loin, cette crainte s’ancre un peu plus dans son esprit.
Le jeune homme passe le portail du lycée et monte discrètement dans la voiture de James. Il salue gentiment le domestique tout réprimant sa tristesse. Il est inutile d’inquiéter le vieil homme qui a déjà fort à faire pour survivre à son patron.
— Je dois vous amener directement à la maison. Votre père vous attend là-bas, l’informe doucement James. Tenez, je vous ai confectionné de quoi vous sustenter avant cela.
Micah le remercie chaleureusement en lui spécifiant qu’il n’avait pas à prendre cette peine. Devant l’insistance du grand-père, le lycéen saisit la boîte et admire sans envie les pâtisseries cachées à l’intérieur. Il sort naturellement son portable pour prendre une photo. Mais, lorsqu’il est sur le point d’appuyer sur le bouton envoyer, il réalise qu’il est en train d’écrire à Léana. Le dernier message remonte à jeudi soir. Avant… Tout ça. Micah efface amèrement son message.
— Allons-y, James. Je suis prêt.
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