39. Thym serpolet
Cette plante symbolise l’imprudence et l’étourderie.
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Micah regarde rêveusement la neige tomber sur les arbres pendant que le professeur explique à la classe à quel point la connaissance des dérivées est essentielle pour leur futur. Si le discours qu’il suit à peine sonne particulièrement faux, le brun ne réagit pas. Ses pensées sont ailleurs.
L’adolescent soupire en appuyant sa joue contre sa main. Cela fait quelques jours qu’il a annoncé à ses deux camarades qu’il leur faut garder une distance physique. Qu’est-ce que j’ai été naïf ! Kaïs n’a pas du tout respecté son souhait. Prévisible.
Tous les soirs après les cours, le fauve a tourné autour de Micah jusqu’à réduire la distance à un mètre. Le bouclé a eu beau foncer à travers les rues de la ville pour l’éviter, il a dû se rendre à l’évidence : on ne distance pas un fichu guépard blond lancé à pleine vitesse. Même quand celui-ci éructe des grossièretés toutes plus imaginatives les unes que les autres.
Micah passe pensivement une main dans ses boucles. Un mètre. Si Kaïs essaye de s’approcher plus près… Il lâche un énième soupir. Lui geler les pieds n’a servi à rien. Il s’en était libéré immédiatement et l'avait pourchassé en hurlant des menaces qui lui avait presque valu une arrestation pour tapage nocturne. Micah est certain que la maîtrise de Feu de Léana avait eu quelque chose à voir avec ce dégivrage express. Ces flammèches violettes, ce n’est pas la première fois qu’il les voit. Elles ont presque quelque chose de rassurant par rapport aux flammes rouge sanglant de son père.
La sonnerie coupe le professeur dans son envolée lyrique sur la beauté des mathématiques. Micah a un petit pincement au cœur lorsque ses camarades se précipitent vers la porte sans laisser l’adulte finir. Le garçon adresse un sourire compatissant au passionné puis rassemble ses affaires. Son sac de sport sur les épaules, le jeune homme se dirige vers les vestiaires du gymnase. C’est la dernière fois qu’il pourra gambader dans la forêt pour chercher des balises.
Micah se change rapidement pendant que le brouhaha stressé des camarades résonne dans ses oreilles. Jour d’évaluation signifie jour d’angoisse pour les Humains. L’adolescent encourage gentiment ses pairs puis ouvre la marche jusqu’à la forêt où la professeure les attend, les bras chargés de cartes et de boussoles.
Il n’a pas besoin de lever les yeux du tracé qu’il doit suivre pour sentir le regard de Kaïs sur lui. Au moins il se tient à plus de trois mètres, c’est déjà ça de gagné. Le lycéen essaye d’écouter attentivement l’adulte énoncer les règles que tous connaissent déjà. Mais sa concentration faiblit lorsqu’il remarque que Kaïs le fixe toujours. Agacé, Micah se tourne vers le blond en levant un sourcil interrogatif. La lueur de défi qui illumine ses yeux pourpres lui fait froid dans le dos. Oh non. Il va faire une connerie.
La professeure a à peine le temps d’enlever le sifflet de sa bouche que Micah est déjà parti. Son entraînement lui donne un gros avantage sur autres qu’il peut distancer en moins de temps qu’il n’en faut pour épeler « Kaïs est un idiot ».
L’adolescent fonce à travers la forêt en regrettant fortement l’absence de Léana. Elle aurait pu te lancer sa béquille à tronche, ça t’aurait ralenti.
Quand il commence l’ascension d’un arbre, Micah serre les dents. Pour quelqu’un sans aucune notion d’escalade, il passe pas mal de temps perché sur des branches. Grimper aux conifères constitue sa seule stratégie. Le lycéen se colle au tronc en priant vainement Enki que Kaïs ne le trouve pas.
Lorsqu’il fait un bilan de sa situation, Micah a du mal à ne pas se ranger dans la catégorie « proie ». Il soupire d’agacement avant de baisser la tête sur la bestiole blonde qui ricane insolemment tout près de son arbre.
— Bordel, t’étais pas censé avoir le vertige, face de givre ?
— Il faut croire que j’ai été obligé de guérir ! fulmine le prince en fusillant son interlocuteur du regard. Au moins l’un d’entre nous progresse… ET NE RESTE PAS BLOQUÉ À L’ÈRE PRÉHISTORIQUE, ESPÈCE DE VOLCAN DÉBILE !
Micah lève les yeux au ciel pendant que Kaïs éclate d’un rire beaucoup trop bruyant à son goût. Je ne m’en sortirai jamais avec lui. L’adolescent se met à regretter de l’avoir amené à l’infirmerie le jour où il l’avait rencontré. Si je ne m’étais pas excusé de lui avoir fichu une droite, je ne serais pas coincé dans un arbre !
— Descends, bordel ! Tu vas rater ta putain d’évaluation !
— Figure-toi que je trouve la vue très bien d’ici, déclare tranquillement Micah. On remarque plus facilement la stupidité de certaines personnes. OUI ! C’EST DE TOI QUE JE PARLE ! LAISSE-MOI DESCENDRE !
— Dans tes rêves, face de givre ! ricane Kaïs. T’es sur le point de lâcher un « putain » ou un « bordel », j’veux pas rater ça !
Le jeune homme essaye d’inspirer calmement pour éviter de donner raison à prédateur blond qu’il vient de rayer de sa liste d’amis. Parmi toutes les options qu’il envisage pour se débarrasser du parasite, Micah est sûr que certaines ne sont pas légales. L’assassinat est, malheureusement, toujours puni par la loi.
— Promets-moi que tu ne tenteras rien si je descends !
— Non, bordel ! J’ai des putains de théories à tester !
— C’est vrai que ça ne pouvait pas du tout attendre ce soir ! railla le brun entre ses dents.
— Ça aurait pris moins de temps si ta face d’esquimau ne s’était pas réfugiée dans un putain d’arbre !
— QUOI ? C’EST DE MA FAUTE MAINTENANT ?
De dépit, Micah tape son front contre le tronc de l’arbre. Le geste lui fait mal. Je m’attendais à quoi exactement ? Le lycéen se rend compte qu’il n’a plus le choix. Il doit descendre et se jeter dans la gueule du loup.
Soudain, une brume nacrée enveloppe son bras gauche puis révèle la mimique déterminée de son panda de glace. L’adolescent hoche la tête avant d’inspirer profondément. Alors qu’il commence sa descente, il garde ses yeux cobalt fixés sur la silhouette du prédateur qui trépigne d’impatience. La clé, c’est la vitesse.
Dès qu’il se réceptionne agilement sur la terre ferme, Micah invoque sa Maîtrise de Glace et cloue les pieds ainsi que les mollets de Kaïs au sol. Il n’a pas intérêt à râler. Il l’a cherché ! Il n’attend pas de découvrir si le fauve détient lui aussi une Maîtrise du Feu avant de détaler à travers la forêt. Seul un hurlement de rage accompagne sa fuite vers de nouveaux horizons.
Son cœur bat follement dans ses oreilles pendant qu’il court récupérer les premières balises de sa feuille d’évaluation. La peur de se faire rattraper l’empêche de réfléchir aux raccourcis qu’il avait repérés lors des premiers cours. Il ne sait pas combien de temps va mettre son prédateur pour se libérer de son piège, ni combien de temps il mettrait pour trouver l’ensemble des checkpoints.
Mais Micah n’est pas très endurant. Aussi, son souffle lui manque rapidement. Obligé de trouver une nouvelle stratégie, le jeune homme opte pour celle de ralentir l’allure et de se cacher dès qu’il entendra des voix. Cela pourra peut-être paraître très étrange aux yeux des autres élèves mais c’est sa seule option. C’est de ta faute Kaïs ! Pourquoi ne peux-tu simplement pas rester tranquille pendant que je trouve une solution à tout ça ? La réponse à cette question tient en cinq petits mots. Parce que c’est Kaïs.
Lorsque Micah atteint sa dernière balise, il est persuadé que le blond joue avec lui. Le prédateur qui laisse de l’espoir à sa proie, c’est le point d’orgue préféré des documentaires animaliers. Ses camarades ne sont pas loin non plus. Le jeune homme prend rapidement sa boussole tout en jetant des regards discrets au-dessus du buisson derrière lequel il se cache. L’arrivée ne devrait pas être si éloignée. Selon sa carte, s’il se dirige légèrement vers la gauche, il atteindrait enfin le graal : la fin de cette évaluation. Micah déglutit et se relève, prêt à donner tout le souffle qui lui reste pour sortir de cette course poursuite.
Le plus angoissant, c’est le silence. Pas d’injures, pas de menaces… Rien que la mélodie du vent et les exclamations lointaines de ses pairs. Si on lui en avait dit qu’il viendrait à regretter les hurlements de Kaïs, jamais il n’y aurait cru. Au moins quand tu criais, on savait d’où tu pouvais surgir !
L’adolescent se lance puissamment vers l’orée de la forêt. Dès qu’il rendra la feuille à la professeure, il pourra retrouver Léana qui l’aiderait à résonner le fauve. Et je me servirais de sa béquille pour te tenir à distance ! Ses poumons le brûlent, sa respiration est trop haletante. Il n’ose pas se retourner, de peur de découvrir une tornade blonde prête à le plaquer au sol. Tu y es presque. Ça va aller.
Quand il aperçoit l’adulte à l’air ennuyé, Micah sait qu’il est sauvé. Le soulagement le submerge comme une vague fraîche après un été trop chaud. Il trottine tranquillement jusqu’à la professeure. Son allure est plus lente mais elle sera suffisante. Le jeune homme n’arrive pas à croire qu’il va arriver premier à une épreuve de sport. D’habitude, Kaïs…
— T’es trop lent, face de givre, murmure une voix moqueuse près de son oreille.
La respiration de Micah se bloque dans sa gorge. Le cœur au bord des lèvres, il regarde le fauve au regard déterminé le dépasser sereinement et fourrer son évaluation dans les mains de la professeure. Avant que le blond se retourne pour foncer vers lui, le lycéen a juste le temps de remarquer que ses pieds sont nus et que le bas de son pantalon de jogging a été arraché. Il n’a pas eu la patience que la glace fonde, cet idiot ! Un clignement de paupière et une main calleuse s’écrase sur sa nuque. Micah enregistre le sourire triomphant de Kaïs avant que le nez de ce dernier n’explose en gouttelettes sanglantes.
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