Chapitre 2
Alexis attendait devant la porte en triturant anxieusement ses manches. La secrétaire le fit entrer et il réajusta une énième fois son costume, la boule au ventre. C’était son troisième rendez-vous de la journée, et les deux précédents s’étaient soldés par un échec cuisant. Mais ce n’était pas de sa faute : il avait glissé et heurté l’imprimante qui avait fini par terre en mille morceaux… Ah, et il avait également renversé du café sur la chemise blanche du manager… Mais ce n’était que de la malchance ! Cette fois-ci il allait prendre sur lui pour décrocher le job !
Devant lui se tenait un petit homme trapu aux cheveux grisonnants, qui se leva à son approche. Ils échangèrent une ferme poignée de mains avant d’aller s’assoir sur des sièges en cuir assez inconfortables.
- Vous êtes monsieur Donchamp, c’est bien ça ?
- En effet, fit Alexis en se tortillant sur sa chaise.
- Votre CV et vos compétences professionnelles nous intéressent beaucoup, la société a vraiment besoin de scientifiques supplémentaires, je ne vous le cacherai pas. Commençons l’entretien, si vous le voulez bie, ajouta-t-il après un court silence.
Le jeune homme hocha la tête et se concentra sur les questions qu’on allait lui poser pour ne pas faire de gaffes.
- Pouvez-vous me rappelez votre âge ?
- Quarante-quatre ans, répondit-il sans réfléchir.
En rencontrant le regard étonné du manager, il se rendit compte qu’il avait encore proféré la première chose qu’il lui venait à l’esprit.
- Hum… D’accord. Depuis combien de temps exercez-vous dans la science ?
Cette fois-ci, il devait absolument bien répondre. Mais lorsque ses yeux rencontrèrent ceux de son interlocuteur, son stress remonta en flèche.
- Quarante-quatre ans, fit sa bouche sans qu’il n’ait eu le temps de réfléchir.
- Je vous demande pardon ?
- Désolé, désolé ! J’ai vingt-cinq ans et j’ai mon diplôme scientifique depuis trois ans.
- Bien, passons. Pourquoi voulez-vous être dans cette entreprise ?
- Je n’ai pas le choix, je n’ai pas réussi à manger dix patates en cinq minutes…
Le manager haussa un sourcil.
- Pardon ?
- Eh bien oui… un gage voyez-vous.
Alexis plaqua sa main contre sa bouche. Il avait encore parlé sans réfléchir : il était bien trop stressé ! Le recruteur le toisa étrangement.
- Vous êtes sûr d’avoir fait des études scientifiques ?
- J’y réfléchis encore.
Le candidat se retint de se taper la tête contre le bureau tant il se sentait ridicule. Il avait réellement fait des études ! Alors pourquoi proférait-il pareilles stupidités ? Son cerveau tournait vraiment à l’envers...
L’homme en face de lui se racla la gorge bruyamment et s’empara du CV, presque certain qu’il y avait une erreur.
- Bien monsieur Donchamp, terminons rapidement cet entretien, voulez-vous ? fit-il en nettoyant ses lunette comme s’il avait du mal à croire en l’existence de l’individu qui se tenait devant lui. Pourquoi vous choisirions-vous parmi tous les autres aspirants au poste ?
- Parce que je suis beau.
Un gros silence s’ensuivit et Alexis rougit brusquement de honte en balbutiant quelques paroles dans l’espoir de rattraper le coup.
- Non ce n’est pas ce que je voulais dire ! Je suis très moche même. Ça ne veut pas dire que vous devriez me prendre parce que je suis moche !
Transpirant d’indignation, le manager se leva sans un mot et lui ouvrit la porte. Cela voulait tout dire. Encore raté.
**********
Assis derrière son bureau, Alexis se martelait de reproches pour la centième fois. Las de tous ces échecs, il se leva et alla se faire un café pour le boire sur son balcon. Peut-être décompresserait-il un peu… S’accoudant à la rambarde qui le séparait du vide, son regard accrocha un jeune homme d’environ son âge. Sûrement l'un de ses voisins inconnus. Alors qu’il détaillait le nouveau venu qui marchait dans la rue, il ne put s’empêcher de remarquer la beauté qui irradiait de ses traits. Se redressant légèrement, le rouge aux joues, son attention se reporta sur son café. Mais sa tasse était vide.
- Où est mon café ?!
- Ici ! s’écria une voix venant d’en bas.
Alexis sursauta et se pencha sur la balustrade. Le jeune homme qu’il observait quelques secondes plus tôt se tenait sur le trottoir, juste en dessous de son balcon, et levait vers lui un regard agacé. Sa coupe de cheveux auparavant sans défaut, avait pris l’aspect d’une choucroute dégoulinante de café…
« Oh non… » fit Adrien en levant les yeux au ciel d’un air désespéré. Ce genre de choses n’arrivaient qu’à lui.
- Je suis vraiment, vraiment désolé ! Attendez, je vais chercher de quoi vous nettoyer ! cria-t-il, le visage cramoisi par la honte.
Il attrapa aussi rapidement que possible une serviette qu'il imbiba d’eau, et se rua dans l’ascenseur. Mais il avait beau appuyer sur tous les boutons , il ne descendait pas.
« Argh ! Foutu ascenseur en panne ! »
Obligé d’emprunter les escaliers, il se dépêcha de rejoindre celui qu’il avait importuné par sa maladresse. Son pied dérapa soudain sur l’avant-dernière marche et il s’écrasa contre la porte dans un bruit sourd.
- Ça va ? s’inquiéta une voix masculine.
Alexis se redressa en gémissant, la tête douloureuse. Des mains l’aidèrent à se relever et il découvrit un visage encadré de cheveux bruns dégoulinants de café.
- Merci, lui murmura Alexis avant de lui tendre la serviette.
Son voisin, au lieu de la prendre, le fixa d’un air étrange.
- Qu’est-ce qu’il…
Le jeune homme s’interrompit en remarquant que sa serviette s’était transformée en serpillère, sûrement à cause de sa chute dans les escaliers. Il pinça les lèvres et se confondit en excuses. Son interlocuteur éclata de rire sous son regard ébahi.
- C’est méchant de se moquer des autres, bougonna à moitié Alexis, ce qui ne fit que décupler le rire de son voisin.
Ce dernier lui tendit une main.
- Adrien, se présenta-t-il.
- Alexis.
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