Chapitre 5

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Emmitouflé dans un plaid noir, Alexis surfait sur le net avec la ferme intention de trouver le plus d’entreprises susceptibles de l’embaucher. Il envoyait des CV depuis déjà plus d’une heure, le moral de plus en plus bas au fur et à mesure de ses recherches. Qu’avait-il de plus que les autres postulants au poste ? Avait-il la moindre chance de se faire prendre malgré sa maladresse innée ? Le jeune homme avala une gorgée de son café qui commençait à refroidir, la mort dans l’âme. Il se sentait seul, vraiment seul, et… Boum ! Il venait de tomber de sa chaise et sa tasse avait volé en éclats.

- Rahhhh ! cria-t-il, énervé. Pourquoi ce genre de choses n’arrive qu’à moi ?! Il va encore falloir que je nettoie le parquet, il va encore falloir que je rachète des tasses et du café, et je me suis encore fait mal !

En effet, le liquide brun se déversait sur le sol et tachait au passage le tee-shirt du jeune homme. Ce dernier accueillit la souillure qu’arborait son vêtement avec un profond soupir de résignation. Les éclats de la tasse avaient entaillé sa main, et des gouttes écarlates se mêlaient au café.

Alexis se releva et commença à ranger le bazar qu’il avait provoqué. Il nettoya le sol, jeta les morceaux de verre à la poubelle et mit son tee-shirt au sale. Il partit se soigner dans la salle de bain et peu à peu, ses pensées dérivèrent au gré de ses sentiments.

Ses problèmes de café lui faisaient penser à Adrien. Ce dernier lui manquait étrangement. Le jeune homme ne savait que penser de toutes les émotions qui se bousculaient dans son esprit, mais il était certain que cela avait un rapport avec son ami.

- J’en ai marre ! s’écria-t-il soudain en se prenant la tête entre les mains. Il faut que j’aille prendre l’air, sinon je vais devenir fou. Comme si être maudit ne suffisait pas, marmonna-t-il après un silence désolé.

Afin d’échapper à cette sensation d’étouffement, Alexis attrapa une veste, enfila une paire de baskets et sortit dans la rue. Il inspira une profonde goulée d’air frais, las de sa vie et de lui-même.

Il arpentait les trottoirs de bitume depuis plusieurs minutes déjà lorsqu’il déboucha sur un parc où se dressait fièrement une allée de frênes bordée de chênes. L’idée de s’y arrêter lui parut bonne et il partit à la recherche d’un banc à conquérir. Ce dernier fut difficile à obtenir, mais tout chevalier qu’il était, le jeune homme ne tarda pas à se laisser choir sur les lattes de bois. Épuisé, ses pensées divaguèrent de nouveau du côté d’Adrien. Pourquoi ne pouvait-il pas s’empêcher de songer à ce beau gosse ? D’ailleurs, pourquoi le qualifiait-il de « beau gosse » ?! Depuis le temps, il avait bien compris que son cerveau était détraqué, mais à ce point-là ?

- Je crois que j’ai un problème, se murmura-t-il à lui-même.

- Ah ! Mais moi aussi ! s’écria une voix criarde.

Alexis sursauta, surpris de ne pas avoir remarqué plus tôt qu’il n’était plus seul. Il découvrit à ses côtés un vieux barbu aux cheveux grisonnants et a l’air hagard.

- Qui êtes-vous ? demanda le jeune homme.

- Eh bien oui en effet, nous sommes d’accord. Vous êtes un esprit éclairé Maxime !

- Pardon ? Maxime ? Mais je ne suis pas…

- Chut mon enfant. Je sais que c’est compliqué pour vous, compatit le vieillard en lui tapotant affectueusement le bras. Et en plus Ginette a oublié mon sandwich et les haricots pour mon chien !

- Votre chien ? Quel chien ? Il n’y en a pas ici…

- Tu es devenu aveugle Maxîîîîîme. Mon chien vogue par-delà les esprits brumeux de la brume !

- Je… je pense que je vais y aller, j’ai des choses à faire, et…

- Bien entendu, c’est exactement ce que je ressens lorsque je contemple l’herbe ! Qu’est-ce qui vous tracasse mon cher ami?

Alexis aperçut une furtive lueur de sagesse et de compassion dans le regard du vieil homme. Il hésita, et se rassit : qu'avait-il à perdre à raconter ses problèmes à un inconnu qu'il ne reverrait pas ? Il avait vraiment les idées entremêlées, en un fouillis de pensées toutes plus tordues les unes que les autres. Se confier au vieil homme pourrait assurément le soulager, même s’il était évident que ce drôle d’énergumène n’avait pas toute sa tête. Lui-même commençait d’ailleurs à douter de sa propre santé mentale… Mais se délivrer du poids de ses pensées était une envie qui le taraudait.

- Il est si beau, murmura-t-il soudain sans vraiment savoir si cette prise de conscience était adressée au vieux fou ou à lui-même.

- Exactement comme ma Ginette ! s’exclama son interlocuteur en roulant des yeux comme s’il venait de voir un fantôme. Regarde Maxîîîme, comme elle est belle, fit-il en caressant sa vieille écharpe élimée.

Alexis haussa un sourcil. Finalement, ce « Maxime » était son écharpe ? À moins que ce soit Ginette ? Il avait du mal à suivre…

- Excusez-moi, mais n’avez-vous pas trop chaud avec Maxime ? se risqua-t-il à demander. Nous sommes en été !

Le vieil homme inspira tranquillement une bouffée d’air et se redressa sur son séant. Lentement, il tourna la tête vers le jeune homme avec une expression perplexe.

- Mais, Maxime, tu es à un mètre de moi ! Comment pourrais-tu me tenir chaud ?

Alexis retint un rire nerveux et amusé. L’écharpe s’appelait donc bel et bien « Ginette ».

- Réfléchiiis, Maxîîîme !

Le jeune homme s’excusa d’un sourire confus et jeta un coup d’œil à sa montre. Il allait falloir qu’il y aille. Il se leva et adressa un « au revoir » à l’étrange personnage.

- Attends Maxîîîîme ! Tu n’as pas fini ton histoire, le retint le vieux fou avec la même expression impatiente, mêlée d’excitation qu’affiche un enfant qui attend son bisou avant de s’endormir.

Alexis s’arrêta et détailla le vieil homme qui le fixait. Vêtu de vêtements bien repassés, il portait une chemise par-dessus son gilet, et des baskets des années quatre-vingt. Son visage, strié par des rides indélébiles, dégageait une certaine douceur. Une barbe grise parsemée de fils argentés descendait jusqu’à son écharpe filée, qu’il caressait distraitement, sans doute sans même s’en rendre compte.

Quelle était son histoire ? Qu’avait-il vécu pour se retrouver sur ce banc, esseulé, avec pour seule compagnie une écharpe et un chien imaginaire qui mangeait des haricots ? Le jeune homme eut soudain de la peine pour cet étrange personnage...

Et lui, qu’est-ce qui l’avait conduit ici, à raconter à ce vieil homme les secrets qui habitaient son esprit tourmenté ?

Alexis se rassit et soupira. Il ramena ses genoux contre sa poitrine et appuya sa joue dessus, sans cesser de regarder le vieil homme qui lui souriait maintenant malicieusement.

- Quand il n’est pas là, il me manque vraiment. J’ai l’impression d’être vide. Et quand il est présent, je me sens tout drôle, un peu nerveux, mais heureux. Je redoute le moment où il partira, et lorsque cet instant arrive, j’ai l’impression d’avoir une sorte d’angoisse qui me bloque la gorge…

Le vieux fou hocha la tête et lui fit signe de continuer.

- Mais… c’est fini. C’est tout, répondit Alexis en haussant les épaules.

- Non, ce n’est pas fini, Maxime. Continue. Tu as encore quelque chose à dire. Dis-moi si tu le préfères à Ginette, fit l’homme en le regardant intensément.

Alexis déglutit. Même si son interlocuteur n’avait pas toute sa tête, il n’avait pas tort. Il y avait encore quelque chose à conclure de cette histoire.

- Oui, je le préfère à Ginette. Parce que… je crois bien que je l’aime.

- Et voilà ! C’est ça, la jeunesse, pesta soudain l’homme. Ça préfère les boîtes de conserve à ma Ginette !

Sur ces mots, il se leva brusquement et s’éloigna en vociférant contre l’industrie et la grande distribution, laissant Alexis seul et déboussolé sur son banc. Il ne savait que penser du vieil homme, mais les paroles qu’il lui avait dites étaient sincères. Sa prise de conscience apaisa son coeur pour former une boule dans le ventre. Il ignorait si ses sentiments étaient réciproques, mais il devait l’avouer à Adrien…

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