Chapitre 7

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Bip.

Bip.

Bip.

Une douleur sourde, une odeur de désinfectant qui donne envie d’arrêter de respirer, des pas qui résonnent dans un couloir lointain. Adrien ouvrit les yeux.

Le plafond était d’un blanc presque trop propre. Une fenêtre bordée de rideaux bleus laissait entrevoir quelques immeubles au loin, et le jeune homme se rendit compte qu’une perfusion de liquide translucide était reliée à son bras gauche.

Il n’était pas mort.

« Merde », songea-t-il en serrant les dents.

Un cliquetis annonça au jeune homme que quelqu’un était sur le point d’entrer. La porte s’ouvrit doucement, laissant passer un chariot métallique sur lequel trônait une dizaine de produits qu’Adrien jugea douteux. Une blouse blanche surmontée d’une tête qui lui sembla floue fit son entrée.

— Vous êtes réveillé, constata l’infirmière.

— Vous aussi.

La petite femme ne répondit pas et se contenta d’esquisser un sourire artificiel.

— Vous ne voulez pas savoir ? reprit-elle en changeant la poche de perfusion.

— Quoi ?

— Eh bien, depuis combien de temps vous êtes ici, ou qui vous a rendu visite.

— Je m’en fiche. Personne ne vient jamais.

— Un jeune homme est venu hier.

— Alexis, murmura Adrien.

— On ne l’a pas laissé entrer, vous étiez en phase de décontamination.

Le jeune homme hocha la tête et pria silencieusement pour que l’infirmière déguerpisse rapidement. Il lui avait fallu tellement de temps pour se dire que plus rien n’était grave, qu’il n’avait plus qu’à mourir et que la vie n’avait plus rien à lui donner ! Il ne fallait pas qu’il retrouve un semblant d’espoir.

— Vous n’êtes pas très causant, constata l’infirmière.

Alors que l’artiste s’apprêtait à répliquer, une voix hystérique retentit dans le couloir :

— Vous voilà Jean-Melchior ! Vous tombez bien, je cherche Jean-Pépère !

Adrien reconnut immédiatement les termes farfelus d’un certain vieux fou. Ce pouvait-il que ce dernier soit un stalker en plus d’être taré ?!

Le jeune homme se sentit tourner de l’œil. Le vertige se dissipa aussi rapidement qu’il était apparu, ne laissant dans son sillage qu’une légère nausée accompagnée d’une migraine.

— Merci bien Jean-Melchior ! Ginette vous remercie pour votre précieuse contribution dans cette entreprise ardue, et elle vous trouve au passage très séduisant !

À la fois amusé et dubitatif par le comportement du vieil homme, le convalescent sursauta lorsque ce dernier surgit dans la pièce en vociférant.

— Jean-Pépère ! Et les médicaments pour mon chien alors ?! Il ne mange plus depuis deux heures ! DEUX HEURES ! Je le soupçonne d’être gravement malade. Peut-être même au bord de la mort !

Le fou s’agitait en tous sens en commençant à garnir ses poches de tous les médicaments qui passaient à sa portée. Il tenait dans sa main droite quelques tulipes et le bracelet de l’hôpital était accroché à son poignet, signe qu’il était suivi.

— Monsieur Boloni, retournez dans votre chambre ! Vous n’allez tout de même pas recommencer à ennuyer les autres patients ?! Et arrêtez de voler tous les médicaments de ce jeune homme.

— Mais la sardine aux poireaux est d’accord !

— Oui, oui, je suis d’accord, intervint Adrien. Laissez-moi crever en paix.

— Mais enfin, ne dites pas ça ! s’écria l’infirmière. Et vous, monsieur Boloni, arrêtez d’emballer ces médicaments dans des draps.

Comme un enfant pris en flagrant en délit, le vieil homme sursauta et relâcha son paquet brusquement en arborant un air innocent.

— Allez, retournez dans votre chambre s’il vous plaît, soupira la jeune femme. Et que faites-vous avec ce bouquet de fleurs ?

- Ah mais c’est tout à fait par hasard ! De même que je suis là TOUT À FAIT PAR HASARD ! Et comme je ne sais pas à qui l’offrir, je vais l’offrir à cette sardine aux poireaux, TOUT À FAIT PAR HASARD ! De même que j’ai ces tulipes TOUT À FAIT PAR HASARD !

Le vieil homme fourra les fleurs dans les bras d’Adrien et lui tapota l’épaule.

— …Merci ? fit le jeune homme avec perplexité.

— C’est tout à fait par hasard ! jugea bon de préciser monsieur Boloni en s’éclipsant dans le couloir.

Laissée dans l’incompréhension, l’infirmière leva les yeux au ciel et plaça les tulipes dans le pichet d’eau qui se trouvait sur la table.

— Excusez-le, il ne s’est jamais remis du décès de sa femme, expliqua-t-elle avec un sourire triste.

Adrien hocha la tête et laissa l’infirmière vérifier son pouls.

Soudainement, dans un claquement sec, la porte s’ouvrit et la tête de monsieur Boloni apparut furtivement dans l’encadrement.

— Ah, mais tu es la boîte de conserve ! s’écria-t-il tandis que sa voix montait dans les aigus. Il y a Maxîîîme qui attend là-dehors ! Il va sûrement te déclarer son amoûûûûr !

La porte se referma brusquement et le vieil homme disparut. L’infirmière adressa un sourire consterné à Adrien et lui souhaita une bonne journée avant de s’éclipser. Le jeune homme resta seul dans le silence, à fixer le plafond. Quelques reflets causés par le soleil se promenaient sur la surface immaculée, transformant le luminaire suspendu en vaguelettes diffuses et éblouissantes.

On toqua à la porte, trois coups secs et concis.

— Entrez… soupira Adrien en s’attendant à voir entrer l’un de ces innombrables médecins prêts à prédire sa mort rien qu’en touchant ses cheveux.

Le pan coulissant ne laissa cependant entrevoir ni blouse blanche ni chariot rempli de divers produits, mais un sweat-shirt rouge bordeaux.

— Salut.

La voix était celle d’Alexis. Ce dernier s’avança au chevet d’Adrien et posa sa veste sur le coin de la tête de lit.

— Salut, souffla doucement en retour le convalescent.

Un long silence s’installa entre les deux jeunes hommes. La colère et la gêne s’entremêlaient dans une atmosphère pesante. La tension qui régnait entre eux ne se dissipa nullement lorsqu’Adrien engagea la conversation.

— Tu vas bien ?

— Super.

Affecté par le ton glacial de son ami, le malade hésita un temps à continuer l’échange.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

— Je te demande pardon ?

Alexis se tourna vers lui et planta son regard polaire dans celui de l’artiste. Ce dernier déglutit avec difficulté, son malaise s’accentuait de seconde en seconde.

— C’est une vraie question ? cracha pratiquement le plus maladroit.

— Je… euh…

— Dis rien, j’ai même pas envie de savoir.

Adrien referma sa bouche et détourna les yeux. Il n’était pas prêt à affronter les foudres de son ami, il préférait donc laisser un silence s’installer entre eux. Il fut néanmoins surpris lorsque Alexis reprit la parole d’une voix tremblante de colère.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— De quoi tu parles ?

— Tu sais très bien de quoi je parle ! De ça ! s’écria le jeune homme en désignant la chambre d’hôpital d’un large geste.

— Qu’est-ce que tu voulais que je te dise ? souffla le convalescent.

— Je sais pas moi, n’importe quoi ! Dans ce genre de situation, les amis sont censés se PARLER !

— C’est sûr, j’avais juste à me ramener tranquillement et te dire : "Yo mon pote ! J’ai envie de crever et je déteste ma vie ! On se retrouve au Paradis, je vais aller avaler des tas de médocs en attendant !"

Alexis serra les poings, piqué au vif.

— C’est déjà mieux que de découvrir que son meilleur ami a fait une tentative de suicide alors qu’on n’était même pas au courant qu’il allait mal !

— Me mets pas tout sur le dos.

— Pardon ?

— T’aurais pu voir que j’allais mal ! T’aurais pu le remarquer ! Mais non, tu étais bien trop concentré sur tes propres problèmes pour voir que moi je souffrais en silence. Alors ne te fais pas passer pour la victime.

Blessé, le maladroit recula instinctivement face au regard ardent de l’artiste.

— Et comment j’aurais pu voir que tu souffrais ? demanda-t-il après un temps.

— J’en sais rien. En observant peut-être. Si tu tenais vraiment à moi, tu l’aurais forcément vu !

Pour Alexis, ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Il bondit sur ses pieds, les larmes aux yeux.

— Comment tu peux dire ça ?! Tu te fiches de ce que je ressens ou quoi ? Tu sais ce que ça m’a fait d’apprendre que mon meilleur ami venait de faire une tentative de suicide et que je n’étais même pas au courant qu’il avait des problèmes ?! C’est vrai, j’aurais dû mieux interpréter tous ces regards tristes et ces pauvres sourires que tu avais parfois, mais je t’interdis de dire que je ne tiens pas à toi ! Merde Adrien, je suis dingue de toi, je t’aime !

Silence.

Un long blanc accueillit cette déclaration. Légèrement haletant, Alexis appréhendait la réaction du convalescent en tremblant. Il n’osait pas croiser son regard. La voix d’Adrien claqua comme un coup de fouet, comme une sentence de mort au cœur du jeune homme.

— Je ne tomberai jamais amoureux de toi. Je ne pourrai jamais t’aimer.

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