Sur les quais de la gare des bus, une voix résonna :

• Mathias, prépare-toi ! Le bus arrive.

Elle s'exclamait fort, l'alcool imprégné dans son ton. Dans le sien, ainsi que dans celui de ses camarades. Seul ledit Mathias demeurait silencieux, ou geignant, assis à même le sol, ses cheveux blonds frôlant le tarmac.

• C'est le bon ? se questionna le plus revêche d'entre eux en s'efforçant de lire le numéro affiché sur la banderole défilante.
• Ouais, c'est le 23 !
• Mathias, debout. Allez, un pied devant l'autre. Vas-y, Mathias. Souffle.
• C’est lequel qu’on doit prendre ? Le 23 ou le 23B ?
• Il est déchiréééé... !

Mathias devait être le plus jeune de la bande. C'était la première fois qu'il buvait autant. Il donnait l'impression de marcher sur un fil, l'équilibre lui manquant. Tandis que ses deux premiers copains le soutenaient, le plus grand d'entre eux cherchait à résoudre cette énigme : quel bus devaient-ils prendre ?

Avec lègereté, il se retourna sur le quai en quête d'un indice, où à la place, il tomba dans le regard d'une fille. Celle-ci, toute élancée, ne lui arrivait pourtant pas au même niveau. Elle était par contre, sans aucun doute plus âgée que lui, d'au moins trois ou quatre années.

Il y avait en réalité quelques minutes déjà que cette dernière se plaisait à observer les adolescents, un sourire l’ayant gagné à mesure dont elle se souvint de sa première “cuite”. L’envie de leur donner un coup de main lui avait échappé aussi vite que les mots avaient dégringolés hors de sa bouche :

• Vous allez où ?

Surprise par son inhabituelle bavardise, elle le fut davantage par la stupéfaction qu’elle trouva dans le regard de ce garçon. Côte à côte, aux portes du bus, elle constata sa taille, et par la même occasion, la lueur dans ses prunelles brunes. Sous ses bouclettes de la même couleur, ses paupières se soulevaient lourdement. Quand bien même il semblait être le plus responsable de la bande ce jour-là, il allait sans dire qu'il était également épris.

• Suarlée…

Dans leurs dos, l’hilarité se hissait dans les aiguës. Ils étaient joyeux d’ivresse, et Mathias ne tenait définitivement pas debout. Arriverait-il seulement à se maintenir durant le trajet ? En tous les cas, il s’agissait bien de leur bus.

• Ha oui ! Alors, c'est bien celui-là ! s'exclama la fille, en joie à l’idée d’avoir pu les renseigner.

Elle levait le pied pour grimper dans le bus quand elle se sentit arrêtée par la vive sensation d’être scrutée. Son visage légèrement penché vers le sien, et un éclat le traversant, le grand garçon devint béat :

• Vous êtes superbe.

Il l’avait soufflé si sincèrement, et sans aucune frontière, qu’il arracha un sourire à cette jeune femme en devenir. Flattée, elle tortilla timidement son nez, et lui, imbibé, ne dû se rendre compte de la chaleur qu'il avait apporté à son coeur pour tout le restant de sa journée. Elle trouva néanmoins dommage que le seul prénom dont elle se souviendrait serait celui de son ami.

• Mathias, assis-toi. T'inquiétes pas, on est bientôt arrivé.