Je rentrais de la fac et en cette matinée glacée je ressentais le besoin de boire un bon chocolat chaud dans mon bistro favori. Évidemment, vu la fraîcheur hivernale, celui-ci était bondé. Il ne restait qu'une petite place au comptoir sur un tabouret de bar. Je m'empressai de m'y rendre et demandais au barman mon chocolat chaud. Encore perdue dans mon dernier cours, je faillis sursauter en entendant une sonnerie sur ma gauche. Le barman me servit ma boisson puis je tourna la tête pour voir d'où venait ce bruit : un garçon au teint bazané était en pleine discussion sur Skype. Les deux interlocuteurs semblaient bien se connaître.

 - Bonjour Maman.

 - Bonjour mon fils. Comment vas-tu ?

 - Bien, et toi ?

- Si tu vas bien, alors je vais bien aussi.

- Oui Maman, je suis heureux ici.

 - Raconte-moi : elle est comment cette France ?

- La France c’est des soins accessibles à tous, que tu sois riche ou pauvre. En France tout est possible. C’est l’égalité. C’est… c’est merveilleux… Je ne sais pas. Il faudrait que tu sois là pour comprendre.

 - Je serai avec toi, un jour, et ce sera grâce à toi.

- Maman ?

 - Oui ?

- Merci pour tout.

- Merci pour quoi ?

- Merci de m’avoir accordé toute votre confiance. Merci de m’avoir offert ce souffle de vie, cet espoir. Merci de m’avoir permis d’être là où je suis aujourd’hui.

 - Ce n’est pas moi que tu dois remercier, mais Dieu : c’est lui qui m’a soufflé de te laisser partir, c’est lui qui t’a donné cette force…

- Alors je dis merci à Dieu.

- Et les Français, comment t’ont-ils accueilli ?

- Froidement. Et c’est toujours le cas. Je crois qu’ils ont peur. Peur de ma religion, de ma différence. Ils se méfient. Mais je ne leur en veux pas. Non, pas du tout. Je sais trop ce que c’est d’avoir peur, de se méfier des autres. Je les comprends. Je serais sûrement pareil à leur place.

 - Pareil, non. Tu ne pourrais pas. Dieu t’a donné des leçons par ton chemin difficile. Et elles t’ont renforcé et appris comme peu en ont la chance. Tu as grandi comme aucun de ces Français ne pourra jamais grandir.

- Les Français ne voient pas la chance qu’ils ont d’être nés et de vivre dans un aussi beau pays que le leur. Quand je leur raconte mon voyage : les passeurs, le bateau, nos assauts sur les camions…. ils pensent que je raconte tout ça pour me donner un genre. C’est ça qu’ils disent. Ils n’ont pas conscience du malheur qui les entoure. Ils n’en ont pas conscience parce que ça ne les atteint pas directement. Et qu’ils ont peur. Peur de la misère du monde. Mais la France est belle et je suis heureux.

- Dieu t’a protégé mon fils.

- Non maman, Dieu m’a sauvé. Il m’a sauvé de la noyade, du froid, de tout. Ici il y a un dicton qui dit « Vouloir c’est pouvoir ». Pourtant tant de gens comme moi ont voulu vivre, et tant de gens n’ont pas pu. Mais moi si ; parce que Dieu m’a sauvé.

- Dieu t’aime et je t’aime. Que vas-tu faire maintenant que tu es là-bas ?

- Chercher du travail pour pouvoir t’envoyer de l’argent, demander à être naturalisé Français et te faire enfin venir avec papa et Hamza.

- Ton père, ton frère et moi avons confiance en toi : tu arriveras à nous faire venir en France. Tu y arriveras parce que tu es un homme maintenant, et qu’un homme est fort. Tu y arriveras car tu as l’amour et le soutien de Dieu. Tu es déjà allé si loin ! Nous sommes tous fiers de toi.

 - Dieu soutient toute notre famille, alors vous viendrez bientôt.

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Ce texte a été écrit dans le cadre d'un projet de théâtre.