Chapitre 3 (2ème partie)
— Ces fumiers ne pensent qu'à gagner ! Ils trichent ! – s'écria le nain et donnant un coup de pied dans un gravier...
Talline relève la tête et émerge de ses pensées, Monk est devant lui, trépignant, hargneux ! C'est vrai, se dit-il, ils ne songent qu'à gagner et pourtant, ils sont perdants... puisqu'ils sont ici !
— Jusqu'à maintenant, ils ne m'ont pas eu ! – poursuit Monk, – je touche du bois !
Et, tentant de joindre le geste à la parole, il cherche du regard un quelconque bout de bois ou quoi que ce fût qui puisse en tenir lieu.– Bah ! – fît-il, rageur ne voyant rien puis, il lança le poing vers le ciel, comme s’il voulait atteindre là-haut, celui qu’il semblait rendre responsable de tous ses malheurs, avant de s’éloigner en bougonnant.
Talline que cette gesticulation avait fait sourire, le suivit un moment du regard et levant à son tour les yeux vers le ciel se demanda s’il y avait un responsable, là-haut, où que ce fût.
Il ferma ses paupières afin de protéger ses yeux du soleil éblouissant. Il se revit enfant dans les rues d’Alger, misérable et affamé, assis dans la rue en plein soleil comme aujourd’hui… …après la mort de son père il avait été recueilli par son oncle qui lui faisait garder les chèvres tout seul dans les collines avec un quignon de pain et une gourde d’eau, là-bas, en Kabylie.
Étonné de ne plus le voir en classe alors qu'il était son meilleur élève, l’instituteur était venu le voir. Mais son oncle n’avait pas besoin d’un gamin sachant lire et écrire, mais d’un chevrier pour emmener les bêtes dans les pâturages et les surveiller.
À douze ans le petit Samir n’avait pas son mot à dire. Il se renseigna en secret sur le tarif et les horaires du car pour Alger et un soir, après avoir emprunté deux francs dans la poche de cet oncle/patron/exploiteur, il a fui la ferme par la route pour attraper le premier car à l’aube.
Une fois à Alger il s’est rendu chez une tante qui lui a refusé sa porte et à qui il a dit «regarde-moi bien ma tante car c’est la dernière fois que tu vois ton neveu, à compter de ce jour, pour moi, tu n’es plus la sœur de mon père !». Il ne l'a jamais revue... Alors seul et déterminé, il a erré dans les rues faisant les courses, rendant des services aux uns et aux autres pour manger, dormant dans les couloirs, sous les porches jusqu’à ce jour où, assis dans la rue près d’une pharmacie, il est découvert par une femme qui le voyant dépenaillé, sale, fatigué, lui demande s’il a faim et l’emmène manger dans l’arrière-salle de son officine. Elle vivait là avec sa sœur et elles exploitaient ce commerce d’apothicaire. C’était la pharmacienne. Elle l’interroge, il lui raconte sa courte vie. Elle lui propose alors de faire les courses et les livraisons et en échange de dormir dans un réduit derrière la pharmacie et de manger avec elles. Il a treize ans, de confession musulmane, elles ont la quarantaine et sont de confession juive. Aucun problème, car ni elles ni lui ne pratiquent assidûment, elles ferment l’officine le samedi pour Shabbat et il peut se rendre à la mosquée le vendredi pour la prière s’il le souhaite. Il apprendra à composer certains remèdes et onguents, il deviendra préparateur. Il acceptera immédiatement pressentant son avenir moins sombre.
— Alors ! Tu rêvasses Talline ?
Il met sa main en pare soleil afin de voir qui lui parle, c’est Tahar, un gardien, qui ajoute :
— suis moi, le directeur te demande, je crois que tu vas être libéré.
C’est l’un des gardes les plus corrects avec lui, un kabyle comme lui, çà crée des liens. Bien qu’il ait toujours évité de parler politique avec quiconque, tout le monde sait qu’il est emprisonné depuis dix-huit mois pour raisons politiques, mais tous ignorent de quel bord. Et c’est tant mieux, il n’aurait probablement pas survécu, car le pays est divisé en deux factions principales mais opposées, le FLN qui prône la lutte armée pour obtenir l'indépendance et le MNA plutôt disposés à négocier avec la France. Les frères ennemis vont s'entretuer en Algérie et en métropole...
— Monsieur Samir Talline, après avoir étudié votre dossier, la commission de libération a statué sur votre cas et décidé de vous libérer à compter de demain matin. Vous devrez respecter deux conditions, vous présenter chaque semaine au commissariat pour signer votre état de présence et trouver un emploi dans les trois mois. Par ailleurs, il vous est interdit de vous rendre en métropole. Avez-vous bien compris vos obligations ? »
— Monsieur le directeur, ma femme et mes enfants vivent à Paris où j’ai d’ailleurs une activité commerciale, je suis restaurateur !
— Je ne fais que vous informer des conditions de votre libération. Vous aurez toute latitude pour vous adresser à un juge par l’intermédiaire de votre avocat, afin d’obtenir, éventuellement, un assouplissement de ces conditions. Votre bon de sortie et vos affaires personnelles vous seront remis demain matin par le gardien chef, je vous souhaite bonne chance.
Il s’apprêtait à dire quelque chose mais le gardien le tira en arrière vers la porte et d’ailleurs le directeur s’était replongé dans ses dossiers. Il sortit sans rien dire et Tahar lui glissa à voix basse :
— il ne faut pas répondre, demain tu t’en vas – et lui tendant un bout de papier – voici l’adresse d’un cousin, tu y vas de ma part, il t’aidera à trouver un endroit pour dormir et un boulot si tu veux, tabyest (courage) !
— Tanemmirt (merci) ! Répondit Talline puis il partit préparer un pantalon, une chemise et des chaussures pour le lendemain, la journée allait être longue.
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JI 02/02/22
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