L'homme qui n'avait rien à dire mais qui le disait quand même !
57 ans ! J'avais donc 57 ans depuis un certain jour de février... Moi qui criais qu'il ne fallait jamais faire confiance aux plus de 40 ans, j'en avais 57 et devais me débrouiller avec ma conscience.
Jerry Rubin avait écrit dans son livre « Do it » qu'il ne fallait pas faire confiance aux plus de 30 ans. Peut-être est-ce lui qui avait raison et l'on devrait passer par les armes tous les « vieux » ? Instaurer le terme de vie à 30 ans ! Bref j'avais 57 ans !
A l'instar de ces écrivains que j'adorais, je voulais laisser une trace de mon bref passage sur cette terre et raconter à mes descendants, en espérant que descendance il y aurait, ce que fut ma vie. Mais que raconter tant ma vie me semble sans intérêt, tant elle me paraît fade. Mais demain, peut-être que ce que j'aurai couché sur le papier, deviendra un moment d'archéologie ! Tout devient si vite archéologie ! Lorsque j'écoutais ma mère, qui nous a quitté à 89 ans, me raconter ses histoires de « petite fille », je m'émerveillais et elle, elle pensait que ces histoires n'avaient pas d'importance et pourtant…
Mes histoires à moi auront peut-être une autre saveur dans quelques années ou quelques… siècles comme les bons vins. Allez savoir ! A moins que, d'ici là, on ne lise plus !
Je suis né… mais faut-il vraiment commencer par le début et longer la grande route jusqu'au plus loin possible ? Ma vie jusqu'à présent ne s'est pas révélée être une droite toute tracée d'un point A à un autre point, Z, comme aurait dit un de ces instituteurs lors d'un cours de géométrie.
L'époque des instituteurs, c'est-à-dire l'école maternelle et celle des grands, l'école primaire, j'étais à Rennes. Rennes… capitale de la Bretagne, comme aimait à me le rappeler mon père non par régionalisme ou indépendantisme mais plutôt par chauvinisme ! Et lorsque le maître d'école, un jour, demanda quelle était la capitale de la France, ce fut avec fierté que je lui répondis : « Monsieur, c'est Rennes ! ». Comment ? Il existait plusieurs capitales ? J'apprendrai très vite que si la Bretagne est en France, la France n'est pas la Bretagne et par conséquence sa capitale est Paris !
Si un instituteur – on ne disait plus maître d'école et on ne disait pas encore professeur des écoles – m'a impressionné et marqué ce fut M. R***. Il était le directeur de l'école C***, lieu où je fis ma primaire. J'eus l'honneur de suivre, ou subir, ses cours pendant deux années d'affilé, non parce que j'avais redoublé mais parce que prenant sa retraite l'année suivante, il choisit de continuer un peu de route avec nous. Je pense plutôt que ce fut parce que la classe de CM2 fut choisie pour tester la mixité et que ce cher M. R*** en prit la direction. Nous, quand je dis nous je veux parler de mes condisciples et de moi, fîmes donc nos deux ans de cours moyens avec lui.
Je dois beaucoup également à son épouse qui fut ma maîtresse lors de mon CP, cours préparatoire. Je me souviens que chaque fois que ma mère faisait des crêpes, il fallait que je lui en apporte une même quand elle prit sa retraite, juste après mon CP, et je continuais à lui apporter « sa » crêpe dans le pavillon qu'elle habitait avec son mari qui restera en poste jusqu'en 1970. Pas de rancune malgré les taloches auxquelles nous avions droit parfois ! Quand je pense que l’on veut supprimer la fessée !
Quand M. R*** prit sa retraite, ce fut justement pour moi le grand départ. Mon père qui avait lui aussi pris sa retraite, en tant que militaire, avait trouvé un nouvel emploi et nous dûmes traverser la France pour faire connaissance avec le Midi, son soleil, son accent chantant.
Montpellier ! Tout le monde descend !
Pour moi qui ne connaissais vraiment que la Bretagne, hormis les vacances, je me retrouvais en pays inconnu. C'est à ce moment-là que je devins vraiment Breton !
« Montpellier – Hérault – 34 »…
Combien ne l'avais-je pas récité. A Rennes nous étions dans le 35. Cela tombait bien pour mon père, il n'y aurait qu'à changer un chiffre sur la plaque d'immatriculation de la Simca 1301 ! Je fus surpris du peu de jugeote de celui-ci lorsque je vis qu'il avait complètement changé la plaque !
« Montpellier – Hérault – 34 »…
Si Mme R*** était de chez nous, je crois même qu'elle était brestoise comme ma famille maternelle, M. R*** était du Midi. Et sa première affectation en tant que maître d'école avait été Clermont l'Hérault ! Je me souviens même encore de l'année : 1935. Et ce fut, sur mon insistance, l'objet d'une promenade dominicale tel un pèlerinage sur le premier lieu où avait « sévi » M. R*** !
Heureuse jeunesse qui n'avait plus à subir les punitions de ces anciens enseignants ! Infortunée jeunesse qui n'avait plus l'enseignement sévère de ces anciens hussards !
Pour mes parents, comme pour beaucoup d'autres, l'instituteur était partie intégrante dans l'éducation et il n'était jamais question de remettre en cause une décision de celui-ci même s'il y avait « violence » comme on dirait de nos jours. Si mon père apprenait par hasard, car bien sûr je ne m'en vantais pas, que j'avais reçu une « correction » à l'école, avant d'en connaître la cause, il doublait ladite « correction » et, après avoir écouté mon plaidoyer, il m'en redonnait une autre !
On était loin de l'époque actuelle où un enseignant ne sait plus se faire respecter ni par les élèves ni par les parents et qui se retrouve au banc des accusés s'il bouscule légèrement un de ces « pauvres et fragiles » rejetons ! Désolé, je n'ai jamais été un enfant martyr et quelques gifles n'ont jamais tué personne (même si les bracouilles de pédopsychiatres disent le contraire !).
Je revois encore M. R***, toujours avec une blouse grise, faire un signe au fautif tout en badigeonnant sa main avec la craie et souffler la joue du délinquant. Malheur si la craie était rouge car elle augmentait la couleur sanguine et l'infortuné était la risée de ses camarades à la récréation. M. R*** était un homme sévère mais juste et très bon enseignant. Je lui dois, ainsi qu'à son épouse, mes bases. Oh bien sûr ils ne furent pas les seuls. Comment oublier mes maîtresses de Maternelle ?
C'est d'ailleurs en Maternelle que je vis mon premier Noir. Bien que mes parents avaient vécu en Afrique et que mes deux sœurs y étaient nées, moi j'étais celui qui était né en France, à Angers et à cette époque les Noirs étaient rares dans notre grand Ouest. L'arrivée de Roger à l'école fut un événement aussi importante que le premier pas de l'homme sur la lune et, l'année suivante, quand son petit frère le rejoignit sur les bancs, nous étions un peu blasés mais, quand même, il y avait deux Noirs à l'école !
C'est également dans cette école que mes deux sœurs firent leur primaire. Plus fidèles que moi, elles restèrent en contact avec certaines de leurs maîtresses comme Mlle M*** ou Mlle de P***. Fidélité transmise en héritage puisque ma propre mère continuera à écrire à Mlle M*** après la mort de ma sœur cadette à l'âge de 27 ans.
Des fois, je me demande si la mort rapprochée de mes deux sœurs ne fut pas pour moi à l'origine de ma façon de vivre et de me conduire… L'Ankou, comme on l'appelle en Bretagne, avait fauché en série dans la famille : 1983 : c'était ma sœur aînée, à l'âge de 30 ans… 1984 : quelques jours avant mon mariage, c'était mon oncle maternel… 1985 : terrible année puisque c'étaient mon père et ma sœur cadette qui disparaissaient à 8 mois d'intervalle…
Le plus vieux des quatre n'avait pas encore 57 ans. J'ai vraiment compris qu'il n'y avait pas d'ordre chronologique et logique pour mourir.
Mais la mort est un sujet trop important dans ma vie et je ne vais pas commencer ce récit par la mort puisque logiquement celle-ci doit se trouver à la fin même si elle est pour moi, à la fois, une ennemie et une amante… la Fausta de Pardaillan mais aussi la Faustine d'Arsène Lupin ! La mort s'appellerait-elle Fausta ou Faustine ? Il y a du Faust là-dessous.
Mais coupons court à cette digression morbide…
La naissance...
C'est la seule fois où je fus matinal car je suis né un dimanche à 6h45 ! Est-ce pour cette raison que depuis je pratique la grasse matinée tous les dimanches ? Rassurez-vous ce n'est par paresse mais par tendresse pour mon lit ! Selon les dires de ma mère, j'étais un beau bébé qui ressemblait à un bébé de trois mois ! Cela annonçait déjà le gabarit que je deviendrai en prenant de l'âge et quelques kilos ! J'étais déjà un gueulard.
Les grands traits du personnage étaient déjà tracés, la vie n'avait plus qu'à donner un coup de burin par-ci ou par-là pour compléter le portrait. Elle n'hésitera pas à s'en charger !
Bien sûr que de ce jour de février 1960, je ne m'en souviens pas. Deux jours avant moi c'était le prince anglais Andrew qui était né et deux jours après moi, au Japon, arrivait le prince Hito !
Certains diraient que j'étais bien entouré ; pour ma part cela n'a pas changé grand chose et cela n'a pas non plus favorisé plus que ça le mariage que j'espérais conclure, lorsque j'étais jeune, avec la princesse Stéphanie de Monaco. Evidemment c'était avant ses frasques de chanteuse et de… princesse ! Je confondais alors noblesse décadente contemporaine et noblesse guerrière d'autrefois !
Mais elle ne fut pas ma première fiancée. La toute première n'est ni plus ni moins que ma marraine, la sœur aînée de ma mère – oh aînée de quelques mois mais aînée tout de même –, Tante Mimi. Elle était veuve, n'était pas remariée et n'avait pas d'enfants. Du haut de mes quatre ans ou cinq ans, elle était un cœur à prendre !
Par la suite, je choisirai mes fiancées par rapport à leurs goûts culinaires ou plutôt leurs dégoûts culinaires. Ma cousine fut, un temps, favorite car elle n'aimait pas le cœur des artichauts, moi c'était les feuilles que je n'aimais pas. Nous étions complémentaires sur ce sujet-là… mais seulement à ce sujet-là ! Une voisine, Nicole, prit la relève car l'un comme l'autre nous détestions les lentilles. Ma mère rappelant cette anecdote à mon « ex futur belle-mère », celle-ci rit et dit : « Maintenant elle les aime ! ». Pas de chance pour moi, j'étais déjà avec la corde au cou car les lentilles, aujourd'hui, j'en raffole.
La famille de Nicole habitait juste au-dessous de chez nous, à Rennes. C'étaient des logements militaires. Deux bâtiments cubiques, le premier pour les officiers et le second pour les sous-officiers ; on ne mélange pas les torchons avec les serviettes ! De la salle à manger, où nous ne mangions que pour les grandes occasions, nous avions une splendide vue sur la prison centrale. D'ailleurs, en 1967 si j'ai bonne mémoire, lors de la « révolte des veaux », quelques meneurs paysans y furent incarcérés. Leurs collègues, peut-être pour les libérer, mirent nuitamment une charge de dynamite dans le chemin de ronde. Malheureusement, le chemin étant entre deux murs dont l'un plus bas que l'autre, ce fut toutes les habitations du côté du bas mur qui subirent des dégâts. Nous n'avions plus une seule vitre intacte mais le tintouin que cela avait produit ne m'avait pas empêché de dormir. Je serais toute ma vie un type qui peut dormir n'importe où, n'importe quand et n'importe comment ! Bien pratique dans certains cas.
Pendant quelques temps, lors de nos promenades du dimanche, je ne serais guère rassuré en campagne et surtout à l'approche d'une ferme, persuadé que le paysan allait apparaître le fusil au poing et nous tirer comme de vulgaires lapins. Par contre à l'école, auprès de mes camarades, je jouais au héros qui avait réchappé de justesse à l'attentat. On aimait jouer à la petite guerre… en attendant d’apprendre à manier de vrais explosifs !
Je me souviens qu'avec Nicole et son frère Jacques, nous essayions de communiquer par les vide-ordures situés dans nos cuisines respectives mais ce n'était pas au point et nous avions plus vite fait de nous installer à la fenêtre et discuter tranquillement jusqu'à l'intervention parentale nous rappelant que nous devrions être au fond des draps.
Non loin de là était la caserne Marguerite où nos pères travaillaient. Pratiques pour eux, juste une rue à traverser ! Notre vie se déroulait tranquillement donc entre une prison et une caserne !
Heureusement il y avait un jardin public non loin, le square Villeneuve, il nous suffisait de traverser la rue Jacques Cartier et nous étions au pays des rêves, entourés d'arbres dont certains devaient sûrement être centenaires. Il y en a un où l'on pouvait se réfugier dans son tronc creux à deux. Nous y avions une aire de jeux. C'est là aussi que se trouvait une fontaine publique bien pratique pour les gens du quartier lorsque, les jours de tempête ou d'orage, l'eau courante ne l'était plus. Dans ce paradis, il y avait tout de même un mauvais ange… le gardien ! Il veillait jalousement sur son Eden et gare aux oreilles des contrevenants qu'il n'hésitait pas à malmener. J'ai eu le droit à ce traitement, il est vrai que je m'amusais à faire sauter des pétards, ce qui perturbait la quiétude paradisiaque ! Ce jardin nous le traversions, mes sœurs et moi, pour nous rendre à l'école. Si ce n'est celle que je viens de citer, il n'y avait pas d'autres rues à traverser à moins que… nous allions acheter quelques bonbons dans un magasin en face de l'école sur le trottoir opposé, ce qui n'était pas du goût de mes parents.
Evidemment ma sœur aînée – de sept ans plus vieille –, n'était pas de ces expéditions en quête de friandises. Mon autre sœur et moi, souvent sur une de mes géniales idées, nous ressortions du porche de l'école où nous faisions semblant de lire quelque affiche et dehors nous n'avions plus qu'à traverser. Seulement une fois il a fallu que nous traversâmes alors que notre père se trouvait non loin. Le soir, il y eut, comme on dit, une explication de gravure avec punition !
Les vacances, nous en passions une partie à Brest, chez mes grands parents maternels. Ils habitaient le quartier de Lambézellec qui fut avant guerre, une commune à part entière mais qui intégra Brest après la guerre, à l'instar de Saint-Marc et Saint-Pierre. Si l'on pousse plus loin, ils habitaient Kerinou. Pour les habitants du bourg de Lambé (on ne dit jamais Lambézellec !), il ne fallait pas confondre Lambé et Kerinou ! Donc pour être tout à fait précis, ils habitaient "Traon Quizac", dans la rue Albert Thomas. C'était une de ces petites rues calmes où l'on pouvait tranquillement jouer sur le bitume car très peu de voitures passaient par là. Remarquez, aujourd'hui cela n'a pas changé. Mes grands-parents vivaient au n° 8. Mes autres grands-parents vivaient aussi au numéro 8 mais pas la même rue et pas la même ville ! C'était une de ces maisons jumelles typique du quartier qu'ils avaient pu s'offrir dans les années 1930 grâce à la « loi Loucheur ». L'autre « jumelle » était la propriété de Mme M*** qui restera pour ma grand-mère une voisine fidèle et dévouée lors de sa maladie. Je n'ai jamais connu le père M*** qui était déjà à l'asile. Par contre, j'aimais bien l'un de ses fils, qui vivait avec elle. Aujourd'hui nous dirions qu'il était « déficient intellectuellement ». Le pauvre préféra sauter du haut du fameux pont Schumann, alias pont bleu par sa couleur mais aussi Pont des suicidés. C'était en 1982.
La rue Albert Thomas était mon empire et cela juste pour les vacances. Elle me paraissait très longue et pourtant interdiction m'était faîte de m'aventurer au-delà de la rue Emile Combes, c'est-à-dire que cet empire était long d'environ une centaine de mètres, grand maximum ! Parfois nous avions l'autorisation de dépasser ces limites pour aller jusque chez Denise qui tenait une de ces petites épiceries, véritables âmes des quartiers, qui se situait un peu plus haut dans la rue Henri Billant. Ces expéditions chez Denise étaient souvent la résultante d'un trop plein de « bigaille » dans le porte monnaie de « Mémé de Brest » comme nous l'appelions pour la différencier de « Mémé du Faou », ma grand'mère paternelle.
Par contre pas besoin de différencier mes grands-pères. A Brest, c'était Pépé et au Faou c'était Pépère !
Pépère, c'était quelqu'un ! Il était le fils du forgeron de Roscoff, mais, au lieu de reprendre le métier traditionnel familial, il s'engagea dans la marine. Il était né le 29 mai 1898. Trente ans après, jour pour jour, le 29 mai 1928 naissait son fils (mon père) et encore trente ans après le 9 mai 1958 c'était au tour de ma sœur Jocelyne de faire son entrée dans ce monde… Bizarrerie des dates…
Au Faou, nous n'y allions pas souvent pourtant j'aimais bien ces repas dominicales dans la salle à manger où crépitait le feu. J'en ai gardé de tellement bons souvenirs que chaque fois que je me retrouve devant une cheminée où rougeoie un bon feu, le chant, les fragrances me font faire un bon dans le temps.
Parfois je retourne au Faou, ma tante, Marie-Thérèse habite la maison de mes grands-parents. C'est le lieu appelé la Grève, juste derrière l'Eglise. Autrefois l'endroit était fermé et donc il y avait très peu de véhicules. Aujourd'hui, une rue accède à la route de Crozon et le nombre de voitures a augmenté. Le progrès n'est pas toujours bon. Mais, contrairement au Kerinou maternel qui a complètement changé, le Faou paternel n'a guère bougé. L'église qui date des XVI et XVIIe siècles, la porte, en forme d'arc de triomphe, seul reste de l'ancien cimetière. L'ancienne prison, un bien grand mot pour une si belle maison, mais bon elle fut tout de même la prison et cela jusqu'en 1868.
Devant une aussi jolie petite ville, je comprends que mon père désirait en écrire l'Histoire. Le chagrin et l'usure d'une vie brûlée par les deux bouts ne lui en ont pas donné le temps. Dommage.
Combien de fois me suis-je enfui dans mon passé en regardant des vieilles cartes postales ? Peut-être et sûrement pour fuir ce monde ou pour me fuir moi-même ?
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