4 - Le marché des sorciers (2/2)
Ainsi, Édouard et Monky se levèrent péniblement des confortables canapés et descendirent du métro pour arriver sur une nouvelle station semblable à celle que dissimulait la boutique de chaîne de vélo à la gare Montparnasse.
Ils empruntèrent un dédale de couloirs et d’escaliers croisant de temps en temps des sorciers et des sorcières les bras chargés d’achats. Alors qu’ils arrivaient au sommet du dernier escalier, Édouard émergea enfin du souterrain.
Le soleil aveuglant l’empêcha de voir la scène pendant quelques secondes, puis devant ses yeux ébahis, s’étalait une immense place bondée remplie d’étalages proposant divers produits magique allant de la plante à tentacule jusqu’aux parapluie-tente du professeur Réchaud.
Il y avait même des animaux qu’Édouard n’avait encore jamais imaginé dans ses rêves. Des boursouflets, sortes de petites boules poilues ou même des lutins de Brocéliande. Tout était si merveilleux, le fait de voir tous ses sorciers faire des achats étranges, comme cette sorcière qui acheta toute une panoplie de casserole qui hurlait si le lait se mettait à déborder ou si l’eau bouillait trop fort.
- Elles sont belles mes griffes de dragons, hurlait un commerçant en agitant une espèce de grosse serpe noire.
- Pas cher le bouquet d’Achillée ! hurlait un autre.
- Quelques gouttes de présure pour seulement 5 Gallions !
Édouard marchait au milieu des étalages entre la foule de sorcières et de sorciers qui discutaient entre eux ou qui marchandaient.
- Le marché des sorciers est unique au monde, expliqua Monky tandis qu’ils passèrent devant un stand de vieux pneus de voitures. Il est ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 ! On y trouve tous les produits que les sorciers désirent ! Suivez-moi, monsieur.
Monky emmena Édouard chez le marchand de « cuivre en tout genre », une grande tente bleue où s’exposaient différents modèles de chaudrons en étain ou en argent, certains se rétrécissaient pour se glisser dans la poche et d’autres avait une fonction spéciale auto-remuante. Édouard prit celui indiqué sur sa liste ainsi qu’une balance à double plateau en cuivre. N’étant pas encore tout à fait habitué à l’argent sorcier, il laissa le soin à Monky de marchander.
Ce dernier se fit une joie de porter les nouveaux achats d’Édouard, ainsi, il le conduisit à la « papeterie magique », sous une toile rouge pour acheter la boîte de calligraphie énoncée dans la liste. La vendeuse lui conseilla de prendre la boîte ultra-complète avec l’encre auto-correctrice et les plumes anti-tâches pour 20 Gallions, mais Édouard préféra se contenter du strict minimum pour seulement 7 pièces d’or.
C’était le gouvernement qui lui payait ces fournitures, il ne fallait pas gaspiller cet argent qui n’était pas le sien pour quelques folies. Mais le stand le plus impressionnant fut sans conteste celui de la « librairie Lepage, manuels et grimoires ancestraux ». Il offrait une quantité impressionnante d’ouvrages avec une reliure en cuire pourpre ou bleue et serties de lettre d’or, empilés les uns sur les autres atteignant parfois des hauteurs de deux mètres !
Tous ces livres attiraient de nombreux sorciers et sorcières plus ou moins jeunes qui s’installèrent dans un coin pour en feuilleter quelque uns. Il y avait notamment une jeune fille de son âge, aux allures de première de la classe avec ses lunettes rondes et son air sérieux qui lisait un exemplaire des sorciers célèbres du XXème siècle.
- Passionnant, ironisa Édouard avant de commander les manuels dont il avait besoin pour la rentrée.
La pile d’objet que portait Monky devint de plus en plus haute et instable. Après avoir acheté un télescope pliable et son trépied, Édouard décida qu’il, était temps de se procurer une valise afin de ranger ses fournitures et par la même occasion, soulager Monky.
Au stand des « rangements en tout genre, de chez Tiroir et fils » Édouard fit l’acquisition d’une malle magique qui se rétrécissait jusqu'à obtenir la taille d’une boîte à chaussure, facilitant ainsi le transport des achats.
Ils continuèrent leur petit bonhomme de chemin entre les étalages s’arrêtant de temps en temps pour regarder les produits étranges que le marché proposait. En passant devant le marchand de glace, Édouard ne put se retenir. Il acheta une grosse crème glacée aux trois chocolats en se disant qu’il n’avait jamais rien mangé d’aussi bon. Les gâteaux durs et brûlés de sa mère semblèrent si loin, quel bonheur. Monky refusa d’y goûter estimant qu’en tant qu’elfe de maison, il ne pouvait pas se le permettre.
Ils étaient à présent sous la tente de « prêt-à-sorcier, la collection toutes saisons de Mme Collet ». Là, une petite sorcière replète, souriante, et un peu trop bavarde, lui raccommoda une somptueuse tenue de soirée bleue pâle ainsi qu’une cape noire et un chapeau pointu.
Le soleil commença à disparaître à l’horizon et Édouard sentit que sa fabuleuse journée allait toucher à sa fin. Il venait d’acheter ses ingrédients de base à la confection des potions, il était tellement émerveillé de voir toutes ces herbes et racines séchées dans les bocaux et aussi ces liquides gluants à l’odeur pestilentielle dans des tonnelets en bois ou encore les crochets de serpent, les yeux de crapauds ou les carapaces de scarabée. Tout ceci offrait un spectacle si répugnant qu’il faillit oublier de récupérer sa monnaie à la vieille sorcière ridée.
Finalement, il ne resta plus qu’un seul achat à faire : la baguette magique. Parmi tout ce qu’il avait sur sa liste, la baguette restait l’objet dont il était le plus impatient d’obtenir. Il se voyait déjà en train de terroriser Kevin et sa bande en leur jetant des sorts comme celui qu’avait subit Ludovic dans la cuisine. Il aurait voulu transformer tous ses ennemis en basse court géante afin de se venger et pour s’amuser.
Son excitation grandissait lorsqu’ils s’approchèrent du stand des baguettes magiques. La boutique s’appelait « Chez Boulanger, les plus grandes variétés de baguettes neuves ou d’occasion. » Édouard s’approcha timidement du vieux vendeur bossu, suivit de près par Monky.
- Bonjour jeune homme, dit le vieux vendeur d’une voix fatiguée
- Euh, bonjour, fit Édouard intimidé.
- Je suppose que c’est pour une baguette ?
- Euh… oui, répondit Édouard qui hésita à répondre « non, c’est pour une crêpe au sucre ! »
- C’est votre première baguette ? demanda-t-il tandis qu’il se saisit d’un papier et d’une plume d’oie blanche.
Édouard fit oui de la tête et attendit la suite.
- Je vais vous poser quelques questions, continua-t-il en trempant sa plume dans l’encrier.
- Vous êtes droitier ou gaucher ?
- Euh, gaucher
- Fille ou garçon ?
- Garçon, fit Édouard surpris qu’on lui demande une telle chose
- Grand ou petit ?
- Qu’est-ce que vous entendez par…
- Petit, coupa-t-il en regardant Édouard de bas en haut. Vous êtes plutôt rat des villes ou rat des champs ?
- Quoi ? mais qu’est-ce que…
- Répondez à ma question, s’empressa-t-il de dire.
- Rat… des villes, répondit Édouard dans la précipitation
- Vous êtes plutôt Quidditch ou bavboules ?
- Euh… Quidditch, dit-il tout en ignorant ce que cela pouvait-être
- Jus de citrouille ou bave de crapaud ?
- Citrouille.
Tout en posant les questions, le vieux sorciers griffonnait les réponses d’Édouard sur son parchemin. Tout ceci avait l’air d’avoir du sens pour le sorcier qui émit un petit grognement. Édouard se demanda alors s’il avait réussit ce qu’il pensait être un test.
Et s’il n’avait pas réussit ? Et si le vieux sorcier lui disait « Désolé vous ne correspondez pas aux critères d’évaluation ! Vous avez mal répondu, vous n’êtes pas un sorcier » ? Que se passerait-il ? Il retournerait surement vivre au numéro 27 de la rue Alfred Jarry sous les « je te l’avais bien dis ! » de sa mère. Il enterrerait sans doute tous ses espoirs de devoir quitter sa famille un jour et de vivre à l’Académie Beauxbâtons.
Mais au lieu de ça, le sorcier bossu s’éloigna et prit l’une des boîtes contenant une baguette magique. Il la tendit à Édouard en disant :
- Bois de chêne, 25 cm et crin de licorne, efficace pour les métamorphoses, une baguette très solide.
Mais à peine Édouard l’avait effleurée que le vieil homme la lui retira en disant que ce n’était pas la bonne. Il en prit une autre dans l’étalage.
- Bois de houx, 37 centimètres et ventricule de Dragon, souple et efficace en enchantement.
Mais ce n’était toujours pas la bonne. Il essaya de nombreuses baguettes différentes, du bois de hêtre, d’if ou d’acajou, des cheveux de vélanes, des plumes de phénix ou encore des veines de centaure, aucune ne convenait. Édouard avait l’impression d’avoir essayé tout l’étalage et son excitation à l’idée d’avoir une baguette magique s’était rapidement dissipée.
Les boîtes essayées s’amoncelaient telle une petite montagne, bientôt, le vieil homme dût grimper sur un escabeau pour les empiler. Le vendeur commençait à s’impatienter lui aussi. En 58 ans de carrière, il raconta qu’il n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi indécis.
- Bon essayons celle-ci, dit-il sur un ton plus las que jamais. Bois de peuplier, 29.5 cm et poil de Lycan, une baguette souple et facile à manier, efficace en sortilège de défense.
Édouard saisit la baguette dans sa main gauche et sentit soudain, un souffle d’air chaud parcourir tout son corps tandis que la baguette fit jaillir une gerbe d’étincelles bleues et argentées. Monky s’émerveilla tandis que le vendeur soupira de soulagement en voyant qu’Édouard avait enfin trouvé la baguette qui lui convenait.
- Ça vous fera 7 Gallions, lui dit le vendeur avant de recevoir l’argent des mains d’Édouard.
Il avait enfin finit tous ses achats et la nuit commença à tomber sur le 21ème arrondissement de Paris. Mais en passant à coté de l’animalerie, Édouard sursauta car un hibou moyen duc au plumage en bataille se posa sur son épaule.
- Panache ! hurlait la vendeuse avec colère. Reviens ici tout de suite ! Excusez moi jeune homme, fit-elle à Édouard plus calmement, cet oiseau est une vraie tête de mule !
Plus loin, un garçon de l’âge d’Édouard venait de faire l’acquisition d’un sublime hibou majestueux. Fier de son achat, il passa à coté d’Édouard en regardant Panache avec un drôle d’air, comme s’il était atteint d’une maladie grave qui avait abimé ses plumes. Il est vrai que l’oiseau n’était pas aussi élégant que celui du jeune garçon, mais Édouard éprouva de la sympathie pour lui.
- Est-ce qu’il est à vous ? demanda Édouard à la vendeuse qui récupéra le hibou de son épaule.
- Non, mais j’essaye de le vendre depuis des années et je n’ai jamais réussit, tout le monde le trouve trop laid.
- Je le prends ! dit Édouard sur un coup de tête.
- Je vous demande pardon ? fit la sorcière surprise par une telle demande.
- Je vous l’achète, répéta-t-il.
- C’est vous qui voyez, mais faites attention, c’est une vraie canaille.
Édouard repartit donc avec un achat inattendu, le hibou moyen duc vola de joie à l’idée d’avoir enfin un maître.
- Excusez-moi, Monsieur, fit Monky. Pourquoi avoir acheté cet oiseau ?
- Je ne sais pas, répondit Édouard en regardant l’oiseau voler autour de lui. Mais quand j’ai vu le regard du garçon avec son bel hibou sur l’épaule qu’il a porté sur Panache, j’ai eu pitié de lui. Et puis, j’ai l’impression qu’il me ressemble : personne ne veut de lui, on le délaisse, alors je l’ai acheté. Ça me fera un ami maintenant, ironisa-t-il.
- Monsieur Vittel est d’une grande générosité, fit Monky. Il deviendra un excellent sorcier, Monky en est sûr.
Flatté d’une telle remarque, Édouard reprit le chemin du métropolitamagie en compagnie de Monky qui portait sous son bras la malle contenant touts les fournitures dont il avait besoin ainsi que la cage destinée à Panache, son nouveau camarade.
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