Chapitre 7
Je restai dans le noir un long moment, jusqu’à me réveiller lentement, en clignant des yeux, pour apercevoir un ciel bleu et le toit d’un immeuble au coin de mon champ de vision. Je pensai :
- Ça y est ? Je suis au paradis ?
Puis je sentis un liquide poisseux sous moi, et relevai lentement la tête. Tout le sang qui était sorti de mon corps était maintenant en dessous de moi. Je n’avais plus mal, juste une petite douleur à la tête qui s’effaça rapidement.
Je me relevai, et regardai autour de moi. J’étais bien tombé du haut du quatrième étage, et j’avais survécu. J’entendis un reniflement derrière moi et me retournai brusquement. Un Affamé était près de moi, se léchant les babines.
Il s’écarte, surpris, lorsque je me retournais. Il poussa un couinement apeuré et s’enfuit. J’allai immédiatement me cacher près de la porte de l’immeuble. Peu de temps après, j’entendis la voix d’Arthur qui disait, de la fenêtre :
- Le corps a déjà disparu ? Tant mieux, ça m’évitera d’aller enterrer ce misérable gamin au cimetière avec sa famille.
La colère me prit tout de suite, et j’entrai dans l’immeuble. En chemin, je croisai Cléa qui me regarda d’un air inquiet :
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi ton teeshirt est plein de sang ? Matt ?
Sans répondre, je l’écartai de mon chemin et gravis les escaliers. J’arrivai devant la porte de mon appartement et pris la clé qu’Arthur avait glissé avant de commencer notre discussion. Je l’insérai dans la serrure et ouvris la porte brusquement.
Arthur se tourna vers moi, l’air agacé, avant d’écarquiller les yeux de terreur. Je supposai à cet instant que la vision de moi-même, les vêtements rouges de mon propre sang, l’air en colère comme jamais devait l’effrayer plus qu’autre chose.
- Alors, articulai-je d’une voix emplie de toute ma colère, tu as tenté de m’assassiner, comme ma sœur et ma mère ? Petit gredin… Je ne vais pas me laisser faire…
Arthur recula jusqu’à la table de la cuisine, contre laquelle il buta. Il bredouilla, complètement paniqué :
- Je je je… C’était pour moi ! La vie d’un adulte est plus importante que celle d’un enfant, non ?
- Pas du tout ! criai-je. La vie d’un enfant est bien plus importante ! Un enfant, c’est l’avenir ! Et là, tu viens d’en gâcher une, et encore une autre il y a une semaine !
- S’il vous plaît, pleurnicha Arthur en se mettant à genoux. Je ne veux pas mourir…
- Tu es vraiment pitoyable ! lâchai-je avec dégoût. Tu ne peux plus vivre. Tu as fait trop souffrir. Je suis ici pour venger mon corps, et les esprits de ma mère et de ma soeur !
- Je n’ai jamais cru aux résurrections, je suis athée, poursuivait Arthur. Et là, vous êtes là en mort-vivant, pour me punir. Laissez-moi vivre, et je me convertirai…
- Et te laisser tuer d’autres personnes ? Jamais ! Je te promets cependant une mort sans souffrance si tu te laisses faire…
Arthur poussa un cri de rage et se jeta pour moi. Je l’évitai et lui donnai un coup de poing qui l’emmena sur la table. Il se releva, la joue rouge, et ricana :
- Tu n’es pas un mort-vivant ! Je ne sais pas comment tu as fait, mais tu es vivant !
- J’ai les cartes, répliquai-je. Et ça change tout.
- Comment est-ce que tu as fait ? demanda Arthur en haletant. Les cartes ne sont pas aussi puissantes pour permettre de ressusciter quelqu’un.
- C’est là où tu as tout faux, répliquai-je. J’avais encore l’as de Cœur. Je l’ai utilisé pour moi, et ça a marché. Et maintenant, je suis là pour me venger de tout ce que tu as fait.
- Je t’ai battu une fois, pourquoi pas deux ? dit Arthur en se levant pour se jeter à nouveau sur moi.
Cette fois, je l’écartai pour le laisser s’écraser de tout son long sur le parquet. Sans lui permettre de se relever, je sortis le neuf de Trèfle et fis un geste en direction d’Arthur. Immédiatement, celui-ci laissa échapper un gémissement de douleur et vomit.
Je m’accroupis près de lui et lui susurrai à l’oreille :
- Maintenant, tu sais ce que c’est la douleur.
Je le laissai se remettre du poison, puis lui dis :
- J’ai encore deux pouvoirs comme ça. Il serait intéressant de voir si tu pourras toujours autant vomir.
- Non ! S’il te plaît…
- Ma mère et ma soeur ont dû aussi te supplier de les épargner ! criai-je. Seulement toi, tu n’as rien fait pour les sauver ! Rien ! Tu les as assassinés, sans regret, insensible à leurs supplications, juste pour sauver ta misérable petite vie !
Je fis un autre geste dans les airs, et Arthur, qui avait tenté de se relever, tomba à terre et vomit encore. Je lui donnai un coup de pied dans le ventre qui l’envoya rouler à l’autre bout de la pièce.
- Mais moi, je ne suis pas comme toi. Moi, je ne vais pas te faire souffrir inutilement. Cependant, il faut que tu meurs.
Je sortis de mon sac, qui avait été un peu écrasé lors de ma chute, une arme des Autres et la pointait vers Arthur.
- Je t’assure une mort sans souffrance.
- Non !
- Va crever en enfer, pourriture !
Et sur ces mots, je tirai. Arthur éclata en un millier de particules, rejoignant un bon nombre d’Affames et Corentin. Épuisé d’avoir tant crié, je m’assis sur une chaise et contemplai la vue par la fenêtre. Je ne sus combien de temps je restai assis là, sans bouger.
Je me réveillai de ma torpeur lorsque la porte s’ouvrît doucement, et la tête de Cléa apparut dans l’entre-bâillement. Son front se plissa d’inquiétude quand elle me vit ainsi prostré, et elle demanda, en venant s’asseoir à côté de moi :
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Je ne peux rien dire, dis-je en secouant la tête. Tout ce qui s’est passé dans cette pièce reste un secret.
- Alors tu peux me dire pourquoi tu es revenu des escaliers, le teeshirt trempé du sang de quelqu’un, sans que je ne t’ai entendu descendre ?
- Arthur m’a poussé par la fenêtre, dis-je. Après m’avoir blessé plusieurs fois avec le dix de Pique que j’avais donné à ma soeur. Je me suis écrasé par terre, mais j’ai survécu grâce à l’as de Cœur. C’est pour ça que je suis remonté.
- C’est impossible, souffla Cléa. De une, un beau-père, même s’il te déteste, ne peux pas faire ça. Et de deux, tu ne peux pas survivre à une telle chute.
- Du quatrième étage, précisai-je. Et bien je te réponds que de une, il a tué ma soeur et ma mère pour assurer sa propre survie…
- Non ! cria Cléa.
- Et de deux, poursuivis-je implacablement, je suis la preuve en chair et en os que j’ai survécu à une chute du quatrième étage en utilisant une carte. Tu peux aller voir mon sang au bas de l’immeuble ou bien faire des examens pour voir que le sang de mon teeshirt est bien le mien.
- Attends, dit Cléa. Raconte-moi ce qui s’est passé, s’il te plaît. Je veux tout savoir.
De mauvaise grâce, je lui racontai toute ma discussion avec Arthur, depuis le moment où j’étais entré dans la pièce jusqu’à l’instant où j’avais tué mon beau-père.
- Je ne sais pas quoi en penser, dit finalement Cléa.
- Quoi ? m’exclamai-je. Tu penses que je n’aurais pas dû le tuer ? Après tout ce qu’il a fait ?
- Je n’ai jamais dit ça ! se défendit Cléa. Seulement, son altitude, une fois que tu es revenu, me paraît bizarre.
- Il continuait de croire que j’étais revenu d’entre les morts, expliquai-je.
- Je n’y crois pas, fit Cléa en secouant la tête. Tantôt il était suppliant, tantôt il attaquait.
- Je suppose que la solitude a dû le tuer de l’intérieur, supputai-je.
Nous restâmes un moment silencieux, puis Cléa demanda :
- Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? On retourne à ma maison ?
- J’aimerai passer une nuit ici, dis-je tristement. Et aller voir les corps de ma mère et de ma soeur.
- Tu es sur qu’il a été les enterrer ?
- J’avoue ne pas avoir fouillé la maison, mais je vois mal ce qu’il en aurait fait, dis-je. Prends ton sac, on sort.
Nous nous retrouvâmes devant la porte de l’immeuble. J’avais échangé mon sac détruit par un autre, mais nous avions perdu de la nourriture, de l’eau et une arme des Autres.
Heureusement, Cléa avait assez de nourriture pour nous permettre de manger. Près de la flaque de sang, quelques Affamés s’étaient regroupés, reniflant le sang avec circonspection. Ils fuirent à notre arrivée, ce que remarqua Cléa :
- Tu as vu ? Certains Affamés ont peur de nous, d’autres nous attaquent. Ils ont un comportement différent selon la ville.
- Ce doit être le stade de faim auquel ils sont, dis-je. Ici, ils ne sont pas assez fous pour nous attaquer, alors que dans certaines villes où la faim les as rendus fous, ils sont assez téméraires pour nous attaquer.
- Je n’aurais jamais dû lancer cette conversation, soupira Cléa.
- Et puis ici, j’ai l’impression à qu’ils s’organisant en groupes, ce qui doit faciliter la recherche de nourriture.
- Tu vas écrire une thèse sur ça, tant que tu y es ?
- Il faut bien qu’il y ait des traces de cet événement, dis-je avec un grand sérieux. Peut-être que je commencerai à écrire mes mémoires lorsque nous serons revenus à ta maison.
Nous entendîmes soudain un bruit de lutte, puis des couinements.
- Deux groupes d’Affamés qui se battent entre eux. C’est la loi du plus fort, maintenant.
Nous entrâmes dans le cimetière dans un silence peu commun. J’avais l’impression que même les Affamés n’entraient pas dans ce lieu, car ils sentaient comme nous une présence autre.
Je n’eus pas de mal à trouver la tombe d’Elise et de ma mère. Arthur ne s’était pas vraiment embêté pour leur sépulture. Ils avait juste planté une croix sur le lieu de leurs corps, mais sans rien de plus. Sur les croix, il avait marqué :
- Jade, tu as été ma première et seule femme. J’ai eu du mal à te tuer, mais je ne regrette rien.
- Élise, tu m’as fait mal avec ta carte, mais tu as toujours une petite peste dans n’importe quel moment.
Avec un cri de rage, j’arrachai les deux croix et les jetai au long.
- Il n’a aucun respect pour eux ! Aucun respect pour les morts ! Ils les insultent, même après les avoir tué !
Je continuai d’enrager ainsi pendant quelques minutes sous le regard impuissant de Cléa, jusqu’à finir par m’asseoir épuisé en face des deux tombes. Cléa vint me secouer doucement l’épaule pour me dire :
- On devrait y aller. Tes cris ont attiré des Affamés.
Je laissai échapper un grognement de désespoir avant de me lever et de sortir du cimetière. Nous rentrâmes à l’immeuble dans un silence le plus complet, une troupe d’Affamés nous suivant à bonne distance.
- Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? demanda Cléa.
- En fait, je ne pense pas m’attarder ici, dis-je. Laisse-moi juste le temps de récupérer deux-trois choses et on part.
Cléa acquiesça et me laissa parcourir l’appartement. Dans ma chambre, je récupérai quelques affaires d’enfance, ainsi qu’une lampe torche et du matériel de survie. Dans la salle de bain, je récupérai des pansements et des médicaments.
Puis j’allai dans la chambre de ma mère - j’avais toujours refusé l’idée qu’Arthur puisse dormir dans la même chambre que ma mère - je m’accroupis au niveau de la plinthe située derrière la porte.
Je la retirais, et sortis deux paquets de cartes que ma mère avait caché, avant de remettre la plinthe en place et de ranger les paquets de cartes dans ma sacoche. Je rejoignis Cléa dans le salon et nous quittâmes l’appartement.
Je pris tout de même soin de fermer fenêtres et portes à clé avant de quitter l’immeuble. Sur le pas dans la porte, je promenai mon regard sur ce qui nous entourait, des centaines de souvenirs me revenant à l’esprit.
Je regardai dans le ciel, et me figurai les visages de ma mère et de ma soeur qui me regardait. Puis nous quittâmes la ville, sans un seul regard en arrière.
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