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Will bougea les lèvres. Elle les entrouvrit et sentit un souffle d'air frais pénétrer dans sa bouche. Elle avait l'impression qu'elle retrouvait la faculté de respirer après un long moment plongée dans les ténèbres. Elle remua les paupières et, péniblement, ouvrit les yeux. Au même moment, elle sentit qu'on lui agrippait la main. Des doigts gelés glissèrent entre les siens et lui provoquèrent un violent frisson. Il faisait trop sombre pour qu'elle distingue quelque chose. Avant qu'elle n'ait eu le temps de s'habituer à l'obscurité, deux grands yeux plongèrent dans les siens. Ce visage maigre. La pâleur de cette peau. Will se souvint de l'accident. Elle se redressa d'un coup, ce qui lui provoqua une terrible douleur au crâne.
- Vous avez essayé de me tuer ! hurla-t-elle.
La fille qui se tenait à ses côtés s'écarta et recula vers l'extérieur du véhicule par la portière ouverte. C'était bien elle qu'elle avait vue avant de perdre connaissance, elle qui s'était jetée au milieu de la route et lui avait fait perdre le contrôle de la voiture. Elle se tenait droite, les bras le long du buste. Ses longs cheveux étaient sauvagement emmêlés. Elle n'était vêtue que d'une chemise blanche, deux fois trop large pour elle et couverte de taches. Pourtant, ses yeux, ils n'étaient plus les mêmes. Ils avaient perdu cette hargne effrayante et débordaient à présent d'une innocence profonde. La fille secoua la tête et soutint timidement :
- Non, nous ne voulions pas te blesser.
Will porta la main à son crâne. La douleur devenait plus intense. Elle regarda au dehors. Il n'y avait qu'elles deux.
- Nous ? répéta-t-elle.
Pour unique réponse, la fille découvrit ses dents et lui adressa un grand sourire. Will soupira.
- Qui es-tu ? demanda-t-elle.
- Je suis...
La fille baissa la voix et fronça les sourcils. Elle interrogea Will sur un ton grave :
- Es-tu des leurs ? Es-tu de ceux qui me chassent ? Ceux qui souhaitent me voir agoniser dans un chaotique et effroyable dédale de néant ?
- Je ne crois pas, bredouilla Will. Pourquoi te chasse-t-on ?
Les yeux de la fille parurent s'embraser. Elle déclara, au bord de l'hystérie :
- Ils en ont tous après mon cœur. Oui, ils le cherchent ! Ils le veulent sur un plateau. Non ! Au bout d'un pieu ! Les êtres les plus malveillants, quand tu les terrasses, ils resurgissent d'outre-tombe et jettent des loups à ta poursuite. Ils continuent à te vider de ce qu'ils n'ont pu te prendre.
Will demeura bouche bée devant ce discours. Elle prit quelques instants pour tenter de le décrypter. Ce qui était certain, c'est que cette fille était dérangée. Des forces malveillantes, son cœur, des loups,...
- J'ai l'air d'un loup ? s'indigna Will.
La fille se mit à rire. Will se détendit un peu. Elle considéra à nouveau l'inconnue.
- Tu n'as pas froid, comme ça ?
Elle se sentit stupide de ne pas le lui avoir demandé plus tôt, au lieu d'être constamment sur la défensive.
- Un peu, avoua la fille.
Sans lâcher son crâne, qui semblait être sur le point d'exploser, Will s'extirpa de son siège et sortit du véhicule.
- Attention...
Trop tard ! Le pied de Will glissa sur le verglas et elle bascula en avant. Elle vit le sol se rapprocher d'elle inexorablement. Pas de choc. Elle releva la tête. En fragile équilibre sur la plaque glissante, l'inconnue la soutenait.
- Doucement, murmura Will.
Ensemble, elles entreprirent avec précaution d'avancer en dehors de la plaque de verglas. Leurs mouvements se coordonnaient à la perfection. Will s'étonna de l'habileté avec laquelle cette drôle de jeune femme progressait sur le sol glissant. Elle baissa les yeux et observa ses pieds. Ils étaient nus et sales.
- Le coffre, indiqua Will.
L'inconnue l'y guida. Will l'ouvrit et en tira une épaisse couverture. Elle la tendit à l'autre.
- Mets ça sur ton dos. Ça te réchauffera.
Elle marqua une courte pose, le temps que l'inconnue jetait la couverture sur ses épaules.
- Je n'ai rien pour tes pieds, par contre, s'excusa Will.
L'inconnue prit un air honteux et avoua, comme une petite fille qui craint d'être grondée :
- J'ai perdu mes chaussons. Pour courir, ça n'était ps pratique.
- Ce n'est pas grave, on t'en achètera d'autres.
- J'ai mal aux pieds, gémit l'étrange jeune fille.
Will soupira. Elle la prit par le bras et l'entraîna à nouveau vers l'avant de la voiture. Le sol était moins glissant du côté passager. Elle la fit asseoir à l'intérieur et alluma la lumière. Will serra les dents. La carrosserie du véhicule était toute cabossée. Le pire, c'était le capot : il avait été se planter dans le tronc d'un gros arbre et se trouvait à présent tordu et fumant. Will secoua la tête :
- Cette fois, ça ne va pas redémarrer.
Elle se tut, figée par une sorte d'effroi. L'inconnue était sagement assise dans sa voiture, les mains posées sur les cuisses, emmitouflée dans la couverture, le sourire aux lèvres. Mais sa chemise, elle était tachée de sang.
- Tu... tu es blessée ? balbutia Will.
- J'ai mal aux pieds, répéta-t-elle.
Will déglutit. Elle s'accroupit et attrapa la cheville de son interlocutrice. Elle examina la plante de son pied. Pas étonnant qu'elle ait mal ! Celle-ci était couverte de plaies, le talon était fendu, deux de ses ongles avaient été arrachés. L'autre pied n'était pas en bien meilleur état. De la pointe de ses orteils jusqu'à ses chevilles, la terre et le sang s'étaient mêlés, avaient gelé et formé une substance pâteuse qui lui collait à la peau. Will grimaça.
- C'est pas joli à voir ! conclut-elle.
L'inconnue resta de marbre.
- Je vais appeler une dépanneuse. On va te ramener chez toi. Où est-ce que tu habites ?
- Nulle part, murmura l'inconnue.
Will leva son téléphone et tourna sur elle-même.
- Merde ! Il n'y a pas de réseau dans cette foutue forêt ! On va devoir rentrer à pied. Combien tu pèses ?
- Quarante-sept, je crois.
- Ça va, tu n'es pas si lourde. Je te prendrai sur mon dos.
Joignant le geste à la parole, Will s'abaissa à nouveau, dos à l'inconnue, et l'attrapa par dessous les genoux pour la hisser sur son dos. C'était une plume !
Will la porta ainsi pendant près de deux kilomètres. Sa douleur au crâne persistait. Son dos se courbait peu à peu. Et ses jambes commençaient à flageoler. Elles ne parviendraient jamais jusqu'à la ville de cette manière ! Will se stoppa et rehaussa la jeune femme sur son dos.
- Je suis trop lourde ? s'inquiéta celle-ci.
- Non, c'est moi qui n'ai plus la force. C'est à peine si je tiens encore sur mes jambes. L'accident ma sonnée. D'ailleurs, qu'est-ce que tu fichais au milieu de la route ?
- Il y a une maison, là-bas.
L'inconnue pointa du doigt quelque chose, dans les bois. Will plissa les yeux. En effet, on distinguait les contours d'une bâtisse, par-delà les arbres.
- On va aller voir, décréta Will. Peut-être que ceux qui vivent là accepteront de nous aider. Ça sera toujours moins loin que la ville.
- Essaye toujours.
Elles se dirigèrent en direction de la maisonnette. Un chemin étroit conduisait jusqu'au portail, lequel n'était pas verrouillé. Will poussa le battant et pénétra dans le jardin. Il était mal entretenu : les mauvaises herbes surgissaient de partout et commençaient à envahir l'allée qui menait au perron. Une fois devant la porte, Will frappa. Seul le souffle rauque d'une bourrasque de vent lui répondit.
- Ça semble abandonné, remarqua-t-elle.
Elle tenta d'abaisser la poignée. C'était fermé à clé.
- Le pot de fleurs, lâcha la fille sur son dos.
Will baissa les yeux. Il y avait bien un gros pot, posé tout près de la porte. Cependant, il contenait davantage de terre que de fleurs. Will s'accroupit. L'inconnue tendit le bras et plongea la main dans le pot. Elle remua la terre jusqu'à en dégager une clé. Will la lui prit des doigts et l'introduisit dans la serrure. Elle ouvrit la porte.
- Comment savais-tu ? s'étonna-t-elle.
- Je savais, affirma l'étrange jeune femme.
Elles pénétrèrent dans la maison. Will la reposa au sol. La fille s'avança dans une pièce voisine du hall que Will supposa être le salon. Elle appuya sur un interrupteur. Rien ne se passa.
- Ils ont coupé l'électricité, dit-elle. J'ignore s'il reste des bougies...
Will la regarda ouvrir un tiroir et en sortir une boîte d'allumettes.
- Non, il n'y a plus de bougies, mais il doit y avoir du bois.
Will suivit son regard et, quand ses yeux se furent habitués à l'obscurité, elle découvrit un tas de bûches entreposées devant la cheminée.
- Je n'ai jamais su le faire, déclara l'inconnue.
Will lui prit la boîte d'allumettes.
- Je vais m'en charger.
C'était une personne débrouillarde. Elle eut tôt fait de faire du feu.
Will se redressa. Elle passa son doigt sur la cheminée et éternua.
- Allergique à la poussière ? l'interrogea l'autre.
- Oui. Tu as le sens de la déduction.
- Désolée, je n'ai pas eu le temps de faire le ménage. Je m'occuperai de ça plus tard, si tu veux bien.
Will acquiesça d'un hochement de tête. Mais où diable avait-elle atterrie ?
- Je te proposerais bien quelque chose à te mettre sous la dent, continua l'inconnue, mais tout doit être périmé. Je peux faire du thé, si ça te dit.
- Non merci.
- Tu peux t'asseoir, je t'en prie.
La drôle de fille se laissa tomber dans le canapé. Will l'imita avec retenue. La position assise était tout de même plus agréable, autant pour ses jambes que pour ses maux de tête.
- Ils ont aussi coupé le chauffage, remarqua l'inconnue en s'enroulant dans sa couverture.
Seul le feu leur apportait un peu de chaleur. Will observait silencieusement les flammes valser dans le foyer au son de doux crépitements. L'inconnue, à côté d'elle, dégagea les bras de la couverture et tendit les mains vers le feu. Des lueurs rougeâtres et flamboyantes furent projetées sur ses doigts. Will remarqua un bracelet. Il était en plastique blanc, comme ceux des hôpitaux. Elle avait l'habitude de couper ceux de son père lorsqu'il rentrait d'une nuit passée au urgences. D'un geste hésitant, elle attrapa le poignet de la jeune fille et le tira vers elle. #134 Poppy, lut-elle. L'encre avait pris l'eau et le reste était illisible.
- Poppy, s'assura-t-elle, c'est ton prénom ?
- Ça ou autre chose, soupira l'inconnue. Mais oui, de toute évidence, c'est ainsi que je m'appelle.
- Moi, c'est Will.
- Enchantée. Je te remercie pour ton aide et m'excuse de t'avoir causé cet accident. J'ai été imprudente. Je n'ai pas vu la voiture venir.
Will secoua la tête et l'assura :
- Mais ce n'est rien, voyons. Tu m'as juste surprise. Et puis, ce maudit verglas... Au fait, tu ne m'as toujours pas répondu : qu'est-ce que tu faisais sur cette route en pleine nuit ?
- Je rentrais à la maison.
- C'est ici, n'est-ce pas ?
Poppy hocha la tête. Will insista :
- Tu m'as dit que tu n'habitais nulle part, tout à l'heure.
- Et c'était vrai. C'est ma maison, mais je n'y habite pas. Habiter, qu'est-ce que ça veut dire, au juste ? S'approprier ? Appartenir aussi, non ? Je n'ai jamais appartenu à cet endroit. Mon histoire s'est écrite ailleurs.
- C'est étrange, lâcha Will, quand tu parles, je ne comprends rien.
- Oh si, tu comprends. Tu ne l'as juste pas encore réalisé.
Will se pencha pour attraper le tisonnier et attisa les braises dans le foyer. Déchiffrer les propos de Poppy était certainement plus complexe qu'assembler un puzzle de mille pièces, chose qu'elle n'était jamais parvenue à faire. Si elle avait bien compris, l'étrange jeune femme rentrait chez elle, par ce temps, à cette heure, en chemise de nuit, couverte de sang, sans chaussure, poursuivie par quelque chose ou quelqu'un qui en avait après son cœur. Il aurait été difficile d'inventer une histoire plus farfelue.
- Commençons par le début, déclara Will. D'où venais-tu, ainsi vêtue ?
Poppy serra les poings, tourna la tête vers elle et la fixa droit dans les yeux, avec une intensité déconcertante, avant de répondre gravement :
- Des Enfers. J'ai resurgi de l'abîme où ils m'ont jetée.
- Des Enfers, dis-tu ?
- Une prison infernale, oui. Ne pense pas que je te parle d'un endroit, sous terre, où dansent des démons au milieu des flammes. Peut-être aurais-je préféré qu'on m'y ait jetée directement. Mais non, le châtiment qu'on m'a réservé était bien pire. Enfermée dans une cage de néant, entre quatre murs blancs, dans la plus complète solitude. Les jours m'ont paru interminables, dans cet endroit. Je n'ai jamais autant souffert que durant ce séjour en Enfer, condamnée à fixer le sol toute la journée en me tournant les pouces, à me parler à moi-même, à hurler seule et me jeter contre les parois de ma prison en espérant que l'on vienne m'en délivrer.
- Quelqu'un est-il venu ?
- Tu penses bien que non ! Qui s'en soucie ? Je n'étais plus d'aucun intérêt pour quiconque.
Will amena doucement sa main sur l'épaule de Poppy.
- Allons, je suis sûre que tu te trompes, dit-elle. Il doit bien y avoir quelqu'un qui tient à toi.
- Moi, me tromper ? Jamais ! Il y en un paquet, des gens qui m'ont trompée. Mais moi-même, jamais ! Je suis bien la seule à qui je peux faire confiance. Ça tombe bien, je suis souvent d'accord avec moi-même. Quant aux seules personnes qui tenaient un tant soit peu à moi, ceux sont celles qui m'ont mise au monde, et je les ai déçus.
Will hocha la tête et déglutit bruyamment. La chaleur du feu devenait étouffante. Sa gorge lui semblait se dessécher progressivement.
- Excuse-moi, dit-elle, mais en fin de compte je n'ai rien contre un thé.
- Oh, ne t'excuse pas, la rassura Poppy, je suis là pour ça.
Elle se leva, emportant avec elle la couverture, et se dirigea dans ce qui devait être la cuisine. Will la suivit mais resta à la porte de la pièce. Celle-ci était plongée dans l'obscurité. Poppy ouvrit au hasard les portes de quelques placards, sans réellement voir ce qui s'y trouvait. En la voyant ainsi en difficulté, Will tira son téléphone de sa poche et appuya sur l'icône lampe torche.
- Peut-être que ça peut aider un peu...
- Merci, lança Poppy.
Sa voix n'était pas distincte, parce que sa tête était complètement enfoncée dans un placard, sous les plaques de cuisson. Will s'en approcha pour l'éclairer. Enfin, Poppy parvint à dégager de dessous un amas de casseroles une théière. Elle ouvrit ensuite un placard situé en hauteur, en sortit une boîte de thé et mit en route une plaque de cuisson.
- Heureusement, la bouteille de gaz n'est pas vide.
Quelques minutes plus tard, le thé fut prêt. Toutes deux retournèrent s'installer dans le canapé, tasse en mains. Will prit quelques gorgées du breuvage. Une fois réhydratée, elle reprit son interrogatoire :
- Alors, dis-moi, pourquoi t'a-t-on envoyée dans cette prison ?
- Pour avoir abattu un démon, un démon qui m'avait pris la seule chose que j'avais.
- Et c'était quoi, cette chose ? Une lampe magique ? Une recette secrète ? Un cœur de licorne ?
Poppy haussa les sourcils.
- Tu ne manques pas d'imagination, rétorqua-t-elle. Cette chose était quelqu'un. Elle s'appelait Sonia.
- Et qu'est-il advenu de Sonia ?
- Elle n'est plus de ce monde depuis quelques heures.
Will se figea. Non, ça n'était pas possible ! Ses yeux parcoururent deux ou trois fois les taches de sangs dont était parsemée la chemise de nuit de Poppy.
- Ne me dis pas que tu l'as tuée ?
- Je peux me taire, si tu préfères.
Will se leva d'un bond, horrifiée.
- Tu es complètement cinglée ! cria-t-elle. Tu t'es évadée d'un asile psychiatrique, c'est ça ?
- Tu peux toujours appeler la police, railla Poppy. Ce n'est pas comme si on, avait du réseau.
Will recula de plusieurs pas et se munit du tisonnier.
- Qu'est-ce que tu comptes me faire ? s'inquiéta-t-elle.
Poppy étouffa un petit rire.
- C'est plutôt à moi de te poser la question. Envisages-tu de me transpercer la poitrine avec ce tisonnier ? Sache que je ne crains pas la mort, Will.
- Tout dépend de toi. Je prépare juste ma défense, au cas où tu déciderais de me faire quoi que ce soit.
- Quelle raison aurais-je de te faire du mal ? Est-ce que je me suis montrée agressive avec toi ? Penses-tu que j'ai quelque chose à te reprocher ? Dire que je commençais à penser que tu étais une personne sur qui on pouvait compter !
- Je ne vais pas cautionner tes meurtres, tout de même !
- Sonia avait juré de m'aimer, pour toujours. J'ai tout quitté pour elle. Tout, tu m'entends ! Cette maison, mes parents, mes études,... J'ai tout laissé derrière moi parce que je me suis aveuglément accrochée à sa promesse. On avait prononcé le serment de se tuer si on venait un jour à se tromper. Et il a fallu qu'elle s'entiche d'un pauvre imbécile. Je n'ai pas manqué de tolérance. J'ai laissé une chance à Sonia en le tuant lui. Et pour seul remerciement elle m'a fait enfermer !
- Alors tu es revenue te venger ?
- Non, je suis revenue faire honneur et mon serment et libérer mon cœur de ses griffes.
Dans un profond soupir, Will se laissa tomber dans le canapé, lâcha le tisonnier et prit sa tête entre ses mains. Elle sentit les doigts de Poppy passer dans son dos. Elle adressa un regard à la criminelle.
- Quand on dit que l'amour fait faire des choses insensées... Dans le fond, tu es plus fragile qu'autre chose.
- Je ne veux pas que tu aies peur de moi, Will, murmura Poppy. Je n'ai jamais eu l'intention de te faire du mal.
- Allez, viens-là.
Will entoura de son bras les épaules de la jeune fille, laquelle lui laissa profiter d'un morceau de la couverture. Plusieurs minutes s'écoulèrent dans le silence le plus complet. Au bout d'un moment, Will se souvint qu'elle avait toujours la boîte du bijoutier dans la poche de son manteau. Elle l'en extirpa et enfila la bague contenue dedans.
- Elle est censée changer de couleur selon mon humeur, indiqua-t-elle à Poppy.
Celle-ci considérait le bijou avec attention. Elle se saisit du papier resté dans la boîte et remarqua :
- Rose foncé. Il paraît que tu es calme.
Will sourit, ôta la bague et la passa au doigt de la jeune fille.
- Jaune ?
- Apparemment, je suis inquiète, lut Poppy.
- Ça devait être le contraire il y a quelques minutes !
Poppy laissa tomber sa tête sur l'épaule de son interlocutrice et se mit à jouer avec la bague, en la faisant tourner autour de son doigt.
- Il viendront me chercher, à un moment ou à un autre, lâcha-t-elle.
- Les flics ? s'informa Will.
- Oui.
- Le crime passionnel, ça ne passe pas toujours bien. Au pire, je te cacherai.
- Pourquoi ferais-tu ça ?
- Je me pose la même question.
Will s'enfonça un peu plus dans le canapé. Les lueurs du feu devenaient peu à peu moins intenses.
- Je suis désolée d'avoir gâché ta soirée, s'excusa Poppy.
- En fait, c'est loin d'être le cas. Tu m'as plutôt sauvé d'une soirée mortellement ennuyeuse et déprimante. Je devrais te remercier pour ça. Tu n'as qu'à garder ma bague.
- Non, je ne peux pas accepter.
- Bien sûr que si. Joyeux Noël, Poppy !
Will sentit la main de la jeune femme se resserrer au-dessus de sa poitrine. Elle baissa les yeux et regarda la bague.
- Turquoise. Voyons voir ce que dit le papier.
Elle tendit la main et saisit le descriptif des couleurs.
- Cette bague prétend que tu es amoureuse, Poppy. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?
- Je n'ai rien à t'offrir en échange, je ne peux pas la prendre.
Will roula des yeux et laissa échapper un petite rire. Elle se redressa, obligeant Poppy à suivre son mouvement.
- Tu n'as rien à m'offrir, dis-tu ? Dans ce cas, je te prends ça.
Elle passa sa main derrière le visage de Poppy et attira ses lèvres contre les siennes.
- Vert, remarqua Will. Tu es surprise ?
- On ne t'a pas arnaquée sur la marchandise, en tout cas ! Cette bague dévoile la moindre des choses que j'essaye de garder pour moi.
- Tu as raison, je suis contente de mon achat.
Will saisit Poppy par les hanches et l'attira contre elle.
- Je ne comprends pas ce que tu peux nous trouver, Will, à moi, à toutes ces choses que je renferme. Je ne vois rien qui pourrait plaire dans ce bazar.
- Si on savait pourquoi on aime quelqu'un, ça serait sans doute beaucoup moins exaltant.
- Et tu serais prête à m'aimer pour toujours ?
- Toujours, ça dure combien de temps ? Ça ne veut rien dire, toujours ! C'est bien joli de faire des promesses en l'air. Moi je ne suis pas quelqu'un qui promet. Je suis quelqu'un qui agit.
- Et tes actes, ça sera quoi ?
- Sois patiente et tu le verras.
Poppy parut se détendre. Elle se laissa aller dans les bras de Will et se blottit contre elle. Will ne pouvait détacher son regard d'elle. Quelle étrange soirée ! Il avait fallu qu'elle ait un accident à cause d'une drôle de fille échappée d'un hôpital psychiatrique, puis qu'elle développe d'inexplicables sentiments à son égard pour enfin trouver un attrait à la fête de Noël. Elle n'avait plus envie que le matin pointe le bout de son nez, que cet entretien prenne fin. Elle ne voulait pas devoir dire au revoir à cette étrange personne, la regarder partir, la laisser tomber. Plus elle tentait de se convaincre qu'il n'y avait pas d'autre issue, plus elle l'aimait. Déjà, par la fenêtre, on pouvait voir le soleil grimper dans le ciel. Will ne ferma pas un œil. Elle était déterminée à veiller et protéger Poppy de tout ce qui pourrait arriver.
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