Chapitre 2 - Partie 3
Ensembles, ils montèrent les escaliers et entrèrent dans un petit local menant à une échelle rouillée et tout aussi couverte de mousse que le sol. Fiona grimpa à l'échelle, qui s'étirait jusqu'en haut de l'arche du pont. Au sommet se tenait une vieille porte, moins touchée par l'humidité. Elle ouvrit un petit loquet et un couloir, creusé sans doute lors de la construction du monument, se présenta devant eux. Au bout, une troisième porte en bois écaillée couverte de poussière. Une vieille ampoule était allumée, sans doute pour aider les agents d'entretien à mieux se repérer dans ce petit boyau étroit.
L'équipe suivait en silence, Fiona ouvrit ce qui semblait être la dernière porte.
À l’intérieur du pont se découvrait une pièce relativement grande, basse de plafond et surprenamment meublée. On y trouvait de vieux placards en métal et des boîtes larges datant de la Seconde guerre mondiale. Il y avait deux établis couverts de câbles électriques étanches, d'outils en tout genre et de pinces. Il y avait aussi un petit bureau bancal couvert de poussière et des tabourets sans âge. Une boîte de café soluble et deux tasses sales laissées à l'abandon siégeaient là tels des vestiges d'un passage.
Cela devait sentir la poussière, le renfermé et la pierre humide, mais aucuns ne percevaient plus quoi que ce soit. La pièce était très faiblement éclairée par une ampoule poussiéreuse, alimentée par un compteur vétuste.
Un mouvement dans le fond de la pièce fit sursauter Charles. Il vit un homme à moitié chauve et au nez saillant apparaître, il prenait à lui seul la largeur du bureau mais ne semblait nullement à l'étroit.
« C'est toi, Fiona », dit le fantôme d'une voix rauque et grasse, sans doute encrassée par l'abus d'alcool.
Il se racla bruyamment la gorge dans un bruit peu apétissant.
« Tu ramènes le gamin qui a fait sortir le démon du crématorium ?
— C'est un Miasme, pas un démon, corrigea subitement Marguerite d'une voix pincée.
— Nous avons établi que c'était un démon ma petite, alors c'en est un.
— Nous venons faire son recensement, continua Fiona d'un ton calme.
— Oui, évidemment. »
L'homme, qui avait de grosses mains aux jointures bleues, saisit délicatement entre ses doigts un stylo rose au bout duquel était attaché un pompon blanc monté sur ressort.
« Vous avez changé de stylo ? demanda Gregory.
— Oui, bien obligé, l'autre n'avait plus d'encre. Les gars de la Mairie sont venus à la fin de l'hiver et n'ont rien oublié cette fois-ci, à part ces tasses dégueulasses. J'ai récupéré celui-ci dans le parc sur l'aire de jeux. »
La voix du Clodo du Pont était rocailleuse et cassée, mais presque agréable à écouter.
Du bureau en bois, il ouvrit un tiroir et en sortit un cahier corné.
« Je recopierai tout là-dedans. Bon, je t'écoute, ton nom et ton prénom.
— Il ne s'en rappelle pas encore, il s'est réveillé hier, annonça Fiona.
— Il dit qu'il s'appelle Charles. Il l'a lu... Sur sa gourmette !
— Sa gourmette hein, répéta le clodo en riant de concert avec Greg, comme quoi ça peut servir à quelque chose... »
Charles se vexa sans trop savoir pourquoi.
« À quel endroit est-il ancré ?
— Nulle part pour le moment. J'ai cru comprendre qu'il a réveillé le Mia... Le démon, dès le soir de son réveil et qu'il a fui jusqu'ici. Je pensais le garder avec nous jusqu'à ce qu'on en sache plus.
— Oui, tu as bien fait. Bon travail Fiona. En ce moment, c'est bizarrement dangereux. Bon ensuite, d'où il vient ?
— Cela non plus il ne le sait pas. Il ne reconnaît pas la ville. Je ne sais pas si c'est à cause de son amnésie ou...
— Peut-être qu'il a vécu dans une ville à côté et qu'il a été enterré ici, finit le Clodo en écrivant tout au fur et à mesure dans son cahier, est-ce qu'il sait les causes de sa mort ?
— Non, il...
— Excusez-moi ! s'entendit parler Charles avec colère, je suis juste à côté de vous, je trouve votre attitude cavalière et je ne vois pas en quoi...
— Oh, oh ! Cavalière ! ricana l'homme.
— Ça veut dire quoi, cavalière ? demanda Hugo à Gregory.
— Je ne sais pas...
— Incultes ! maugréa Marguerite.
— Écoute mon petit bonhomme, reprit le clodo en faisant tonner sa voix cassée, ici, on note toutes les arrivées et les départs des fantômes de la ville. T'as pas compris qu'il y a des démons ici ? Il y a des règles pour tout le monde, alors si tu veux te faire bouffer, retourne d'où tu viens, mais si tu te transformes, alors...
— Calme-toi David, dit Fiona d'un ton suppliant. On ne lui a rien expliqué encore.
— C'est pas une raison de faire le merdeux. Quand on sait pas, on se tait, voilà. »
Charles resta cloué sur place, il réalisa en son fort intérieur, que sans doute jamais personne ne lui avait parlé comme ça.
Il vit le Clodo noter très distinctement sur le papier « origine : petit bourge. ».
« Bon, reprenons depuis le début. Tu t'es réveillé hier et tu te rappelles de rien. C'est une chose qui arrive souvent. La mémoire lui reviendra.
— Il a quand même des symptômes... Des signes particulièrement fort d'Oubli pour un mort de son âge, lança Marguerite qui n'y tenait plus.
— Des symptômes, comme si c'était une maladie ! Une vraie Miss Je-sais-tout, celle-là ! Mais il faut admettre qu'avec les temps qui courent, un esprit dans son cas est une proie facile.
— Il y a encore eu des disparitions ? » s'enquit Greg d'une voix surexcitée.
L'homme hocha la tête avec gravité.
« Passe-murailles a disparu, c'est officiel. »
Un cri de surprise traversa le groupe.
« Mais on l'a vu il y a à peine quelques jours ! fit Gregory avec de la tristesse dans la voix. On jouait ensemble avec Hugo, tout semblait normal.
— Oui, et c'est cela qui est inquiétant. Nous ne percevons rien. C'est le cinquième esprit à disparaître depuis le nouvel an. C'est pourquoi je compte sur toi Fiona, pour redoubler de vigilance.
Le visage de la jeune fille était crispé.
« Tu as une idée de ce qu'il se passe ?
— Plus ou moins, les autres SDF font des recherches. Nous pensons qu'un Dévoreur est apparu. Si certains ce sont fait bouffer, c'est que le Dévoreur a déjà absorbé beaucoup de Miasmes.
L'atmosphère devint soudain tendue.
— Je pense qu'il faut faire un recensement des fantômes de la ville, dit Fiona.
— Oui, tu vas aider les autres à s'en charger. Il faut ratisser large. Tu t'occuperas évidemment de recompter tous les Trépassés. Pas de changements notables ?
— Non.
— Bien, puis tu feras tous les esprits attachés au fleuve, d'ici aux routes de campagne. Je voudrais que tu ailles jusqu'à la vieille citadelle.
Fiona accepta, un air sérieux sur le visage.
— Parfait, vous pouvez filer. Et toi, mon bonhomme, fit le Clodo d'un ton péremptoire, écoute ce que te dit Fiona, dans ton intérêt. Les arrogants dans ton genre, ça finit mal. »
Charles détourna le regard, à la fois gêné et vexé, et suivit les autres.
« Et en ce qui concerne la mémoire de Charles ? demanda subitement Fiona après avoir croisé le regard de Marguerite.
— Quoi ? coassa le Clodo en se tournant vers elle.
— On ne peut pas... chercher ? Il aura besoin de savoir sa vie d'avant s'il veut passer de l'autre côté.
Le Clodo regarda Marguerite et lui répondit en souriant :
— Il est mort, si ça lui revient tant mieux, sinon tant pis. T'as pas la science infuse, Miss Théorie. »
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