Chapitre 4 - partie 2
« Veuillez pardonner mon intervention, dit soudain une voix pincée, mais la bienséance demande à ce que vous vous présentiez, vous et votre bande de mendiants et de tire-laines.
— Lui, c'est le Baron, chuchota Greg en montrant du doigt un homme portant une perruque bouclée et une redingote. Il hante son portrait dans un musée.
— Pour tous les fantômes qui ont la mémoire aussi trouée qu'une passoire et qui ne s'intéressent qu'à eux, nous sommes les SDF. On fait parti de la Sauvegarde Des Fantômes. On est là pour vous dire qu'un nouveau Dévoreur est apparu et qu'il faut faire attention à vos arrières. Restez sur vos gardes. Surveillez les fantômes qui ne peuvent pas quitter leur point d'ancrage car ils ne peuvent pas s'échapper. Si vous croisez un fantôme au comportement suspect ou un démon inhabituel, venez nous le dire. C'est clair pour toi, le Baron ?
— Il serait également fort à propos d'annoncer la venue de l'Esprit Errant dans la cité. Et je ne suis pas Baron, je suis Siméon d'Aubriot de la Palme, Comte de...
— Boucle là, fanfreluche, tout le monde s'en fout. La plupart d'entre vous connaissent Fiona, elle s'est faite attaquée par le nouveau Dévoreur et elle a failli y laisser sa peau, c'est la seule qui a survécu à une de ses attaques. Que ceux qui veulent lui donner de l’éther s'avancent. »
Marguerite fut la première à descendre les marches, suivie par le Clodo de la Gare et quelques-uns. Charles mit ses mains dans les poches, découragé. Il aurait bien voulu aider, mais ne savait pas comment faire.
« Je veux bien la sauver, clama soudain Enzo de l'autre côté des gradins. À condition qu'elle rejoigne notre groupe.
Les ados qui l'accompagnaient sifflèrent en tapant du pied.
— Elle nous appartient, elle fait partie des nôtres.
— Elle a eu dix-huit ans avant sa mort et elle doit s'occuper des mioches, donc rien ne changera, rétorqua le Clodo avec autorité.
— C'est encore l'un d'entre eux ! rétorqua Enzo en pointant du doigt le groupe des Trépassés.
Gregory et Marguerite se tournèrent vers lui, les yeux remplis de colère.
Un court silence s'installa.
— C'est pas toi qui décide Enzo, gronda finalement le Clodo du Pont.
— Prions ensemble le Seigneur tout Puissant ! clama soudain une voix dans la foule. Implorons son pardon face au jugement...
— Silence ! Qui a osé inviter le Prêtre ? »
Le Clodo de la Gare haussa les épaules, tandis que les fantômes regardèrent un moine avec mépris.
Pendant qu'ils parlaient, un large groupe s'était formé autour de Fiona. Les fantômes lui touchaient la tête, certains posaient leurs mains au-dessus d'elle. De leurs doigts surgirent un lueur douce, semblable à un rayon de soleil passant au travers une brume. Tous purent voir que la jeune fille reprenait consistance. Les enfants se tenaient blottis les uns contre les autres, les yeux écarquillés.
Fiona finit par ouvrir les paupières et regarda autour d'elle. Elle reconnut le stade et ses gradins.
« Qu'est-ce que je fais ici ? » demanda-t-elle brusquement en essayant de se relever.
Elle semblait mal à l'aise, ses bras vacillaient. Elle reprit son souffle en voyant le Clodo du Pont et le sourire rassuré de Marguerite.
« Hum, hum, fit soudain une voix masculine qui se raclait la gorge.
Les têtes se tournèrent vers le Gentleman, qui tripotait dans ses doigts la pointe de sa moustache.
— Maintenant que la jeune Fiona se sent mieux, nous devrions discuter du Dévoreur et de l'Esprit Errant. Car voyez-vous mon ami, je le sens arriver aussi. Siméon a raison.
— Que l'on ne vienne plus me tancer sur mes supposées calembredaines ! rétorqua la voix pincée du Baron.
Les SDF regardèrent le Clodo du Pont, qui se mit à froncer les sourcils.
— Je n'ai jamais entendu parler de ça, ni même perçu quoi que ce soit.
— Car mon cher, c'est une disposition que nous partageons seulement entre les plus vieux fantômes. »
Un nouveau murmure parcourut la foule, Patrick le Yéyé sembla quitter sa nonchalance habituelle, tout le monde se mit à écouter.
« Qui est le plus vieux fantôme de la ville ? demanda Charles avec curiosité.
— Il n'est pas ici, chuchota Greg. Tu as là seulement les fantômes capables de quitter leur point d'ancrage. Les plus âgés sont le Baron, le Gentleman et celui-ci là bas. Il est avec les noyés du fleuve.
Il pointa du doigt vers une âme floue et vacillante, informe.
— On ne traduit pas les mots qu'il ou elle utilise, ce fantôme parle une langue morte, c'est ce que dit Marguerite. Lui semble nous comprendre par contre. C'est pareil pour le Chevalier. C'est le fantôme le plus âgé, il hante la citadelle depuis les premières croisades.
Les mots entrèrent dans la tête de Charles avec fracas :
— Un chevalier ?! s'exclama t-il avec un enthousiasme qui le surprit lui-même.
— Ça t'épate, hein ? Je t’amènerai le voir, tu verras, c'est un chic type !
— Et comment vous savez que ce fantôme de je ne sais-où arrive ? lança le Clodo du Pont au Gentleman avec sa voix grasse.
— Nous sentons son arrivée. S'il s'arrête dans notre ville, il faudra alors lui demander comment arrêter le Dévoreur. Il aura sans doute traversé d'autres villes qui...
— Avec tout mon respect, mon cher Gentleman, on a pas le temps pour des légendes, le Dévoreur lui est bien réel. On a réussi à se débarrasser du premier sans lui. En plus, si vos pressentiments étaient si fortiches, ils auraient pu prévoir l'arrivée de ce démon.
Il reprit plus fort :
— Donc faites attention, le Dévoreur peut surgir d'un instant à l'autre, et de n'importe où ! Il a absorbé beaucoup trop de fantômes, c'est un démon de plus en plus dangereux, restez sur vos gardes et prévenez-nous si vous le voyez ! »
À ces mots, la foule se dispersa, Fiona les rejoignit et prit chacun des Trépassés dans ses bras avec affection.
« Il va nous falloir redoubler de vigilance..., soupira t-elle. Je ne pense pas que je pourrai réussir à l'éloigner une seconde fois. »
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