Chapitre 4 - Partie 7

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Les regards des enfants se posèrent sur Fiona, dont le visage commençait à noircir. Elle baissa les yeux et un silence s'installa. Les mains de la jeune fille se mirent à trembler tandis que ses doigts prenaient une couleur sombre.

Sur l'écran de télévision, d'autres commentaires se firent entendre et de nouvelles images défilèrent.

Fiona ouvrit la bouche pour dire quelque chose puis la referma. Elle se retourna violemment et partit en courant.

Les enfants se mirent à crier en l’appelant mais elle n'était déjà plus visible.

Un torrent de larmes et de pleurs submergea les Trépassés. Charles réagit après plusieurs secondes de stupéfaction. Il prit Emma et Léo dans ses bras et sous le choc, tourna la tête vers Marguerite.

Cette dernière était toujours immobile, regardant fixement la direction vers laquelle Fiona s'était enfuie.

« Marguerite, nous devons rentrer..., articula Charles en prenant les devants. Fiona va revenir.

— Oui, tu as raison, répondit-elle en se tournant vers les enfants.

— Et si elle perdait le contrôle ? demanda Greg d'une voix angoissée.

Marguerite roula des yeux avec frayeur. Elle n'avait jamais envisagé cette possibilité.

— Non, je ne pense pas que cela lui arrivera, répondit Charles. Rentrons au centre de loisirs. »

De longues heures de patience furent nécessaires pour réconforter les Trépassés. À l'instant où l'un des enfants se mettait à pleurer de nouveau, les autres l'imitaient irrésistiblement. Leur inquiétude allait croissante, ne sachant quoi faire. Aucun des Trépassés n'avait envisagé un départ aussi subit de Fiona ni même qu'elle soit capable de les fuir.

La nuit passa péniblement. Alors que Gregory s'impatientait, menaçant de quitter le centre et que Marguerite s'affolait, Charles demanda :

« On pourrait peut-être demander à Patrick le Yéyé de venir nous aider ?

Marguerite refusa catégoriquement.

— Je sais que les laisser pleurer sans rien pouvoir y faire peut-être dangereux à la longue, ils peuvent rester des semaines en boucles et changer de phase mais...

— Et si tu les endormais de force, Marguerite ? proposa Grégory, je sais que tu peux le faire, j'ai vu Fiona t'apprendre.

— Tu ne peux donc jamais t'empêcher de fouiner ? C'est juste que... je n'ai encore jamais essayé toute seule.

— Fais-le ! » Grégory tira Léo vers elle par le bras. Ce dernier, d'ordinaire si calme, hurlait par terre face contre le sol, le corps raidit telle une bûche de bois par ses larmes.

Le bruit était insupportable.

Marguerite se baissa au-dessus de lui et le toucha dans le dos. Quelques instants après, Léo ne bougeait plus.

« Je crois que j'y suis allée un peu fort..., grimaça-t-elle.

— C'est pas grave, fais-le avec Hugo maintenant, dit son frère avec emphase.

— Je ne pense pas que je pourrai, j'ai déjà utilisé beaucoup d'éther. »

Elle leva son bras gauche devenu transparent.

« Fiona pouvait tous les endormir un par un..., se lamenta Grégory en se bouchant les oreilles.

— Oui, je sais mais je n'ai pas sa maîtrise !

— Nous pourrions organiser une fête pour son retour, suggéra Charles. Son point d'ancrage est ici, elle finira forcément par revenir, qu'elle le veuille ou non. »

Si elle ne devient pas folle entre temps..., pensa Grégory en haussant les épaules.

Marguerite et Charles s'activèrent, Gregory les rejoignit malgré ses appréhensions. Ils déposèrent Léo inconscient sur les coussins de lecture et entreprirent un programme de fête en se forçant à discuter joyeusement.

Intrigués, les enfants tendirent l'oreille et cessèrent enfin de verser des larmes. La perspective de fêter le retour de Fiona leur fit oublier la peine de l'avoir vu s'échapper loin d'eux.

« Et si Fiona ne rentre pas ? demanda Grégory à Charles en fronçant les sourcils.

— Eh bien, on ira la chercher ! » répondit celui-ci avec évidence.

Ce fut au milieu de leur troisième journée d'attente et de préparatifs qu'ils virent Fiona traverser le portail de la cour d'entrée.

Grise et la tête basse, la jeune fille fit son apparition dans le centre de loisirs en traînant des pieds comme jamais.

La tristesse sur son visage prit de court leur joie de la revoir. En arrivant près d'eux, Fiona tomba à genoux puis se mit en boule en pleurant.

« Je suis désolée. » articula t-elle entre ses sanglots.

Les Trépassés coururent vers elle pour la prendre dans leurs bras. Ils sentirent contre eux la tristesse et le chagrin de leur amie et ils couvrirent son corps tremblant de douceur et de tendresse; essayant de combler ses peines avec leur coeur d'enfants généreux.

Après le spectacle de danse, la chorale et les jeux de charades, de mimes et de chat perché, Fiona retrouva sa sourire paisible.

Mais Charles, Grégory et Marguerite virent au travers de cette joie retrouvée une mélancolie inhabituelle.

Lorsque les esprits les plus fatigués partirent s'allonger, Fiona osa prendre la parole :

« Je... je vous dois des explications.

— Tu n'es pas obligée..., commença Charles.

— Si, répondit fermement la jeune fille. Je suis partie en m'enfuyant, vous auriez pu être attaqués par le Dévoreur en mon absence et vous avez dû vous inquiétez pour moi. Je suis désolée de vous avoir fait peur, surtout toi Marguerite. J'imagine qu'il a dû être difficile de tous les calmer.

— Ah ça, on ne te le fait pas dire ! déclara Grégory en secouant une main.

— Je m'excuse, je vous ai laissé tomber. Alors que c'est mon devoir de veiller sur vous. Quand je me suis vue dans ce vieux film et que mon visage est apparu, je n'ai pas su comment réagir et j'ai senti en moi... Mon éther qui commençait à... J'ai eu peur, de moi, de ce que j'ai vu et de ce qu'ils disaient. »

Fiona ferma les yeux quelques instants.

« J'ai failli basculer trois fois dans une autre phase.

— Comment as-tu fait pour garder le contrôle ? demanda doucement Maggy.

— C'est David, le Clodo du Pont qui m'a aidée. Apparemment cette information passe en boucle partout, la ville entière est au courant de ce qu'il m'est arrivé. Il n'a pas eu de mal à savoir où me trouver. »

Fiona observa ses babouches rouges et poussa un long et lent soupir.

« J'ai toujours eu peur de ce qu'il s'est passé, de perdre le contrôle. J'avais honte de me sentir aussi faible. J'ai préféré mettre tout cela de côté quand je suis devenue un esprit, mais quand j'ai entendu qu'il a continué de le faire à d'autres...

Fiona tripota une de ses tresses et continua d'une voix calme :

— Quand j'avais ton âge de vie Greg, mes parents m'ont inscrite, à ma demande, au club d'athlétisme de mon quartier. À l'époque, c'était un des seuls de la ville et il était au vieux Stadium. Ma famille était ou plutôt, est toujours, pauvre ; mais mon père s'entendait bien avec l'entraîneur. Il nous a fait un prix sur l'inscription. Et puis, on faisait partie de la même communauté, vous voyez ? J'ai gagné plusieurs compétitions, ma mère ne sachant ni lire ni écrire et mon père travaillant de nuit, c'est mon entraîneur qui m'emmenait aux cours et aux tournois. Au final, je passais plus de temps avec lui qu'avec mes parents, il en a profité.

Mes parents n'ont jamais eu grand chose, j'étais devenue la fierté de la famille. Ils étaient si heureux que je n'ai osé rien dire. Mon père considérait mon entraîneur comme son frère et ma mère était si discrète... J'avais peur de leur briser le cœur. Un soir mes parents ont amené ma sœur aux urgences, car elle s'était cassé le poignet en faisant du vélo. Ils ont demandés à mon entraîneur de passer à la maison pour s'assurer qu'il ne m'arrive rien en leur absence. La vie est ironique non ?

J'étais dans ma chambre quand il est entré, j'étais en train de tresser mes cheveux mais comme tout le monde peut le voir, je n'ai jamais pu les terminer. Il ne m'a pas laissé le temps de finir. Je me rappelle avoir été surprise, cela faisait des mois qu'il avait arrêté de me violer, je m'étais dit qu'il avait perdu de l'intérêt car j'étais devenue plus grande.

À la fin, il m'a dit d'aller me coucher et, en me caressant les cheveux, il m'a appris que mon père allait bientôt inscrire ma petite sœur au club. Je n'ai pas réfléchi, je me suis mise à le frapper. Il s'est défendu et m'a cogné dans les jambes, quand j'ai vu que mes coups ne lui faisaient rien, j'ai eu peur et je suis partie en courant. Je suis partie par la porte de la cuisine et j'ai mis les babouches de mon père aux pieds avant de me mettre à courir chez les voisins.

Il était prof d'athlétisme, il savait très bien courir aussi. Il connaissait aussi bien le quartier que moi, à chaque fois que j'arrivais à une porte, il débarquait et j'avais à peine le temps de l'éviter. Je me suis mise à hurler, j'ai demandé à l'aide et je lui ai dit que j'avouerai tout à tout le monde et cela l'a rendu encore plus en colère. Des voisins sont sortis, mais il a été plus rapide que moi, il a manqué de me rattraper avant que je puisse aller vers eux. Personne a eu le temps de me voir. J'ai eu l'idée de longer la voie ferrée et de me cacher dans un fossé, je voulais attendre le retour de mes parents et faire demi-tour sans qu'il me voit. Mais en vérité, il ne m'a jamais perdue de vue.

Il m'a suivie silencieusement en passant par le bois et m'a rattrapée au moment où je me cachais loin des regards. C'était fini, il avait ramassé un long rondin de bois. Un train a fini par me percuter des heures plus tard. »

Charles, Grégory et Marguerite gardèrent le silence, les quelques enfants encore présents n'avaient pas besoin de dire quoi que ce soit, ils connaissaient eux aussi la violence dont était capable les adultes.

« David est venu me trouver hier soir sur la voie ferrée. C'est la Prof du Passage à niveau qui m'a vue passer. Il m'a demandé de revenir ici. J'ai hésité mais... J'ai pensé à vous et j'ai décidé de ne plus fuir, de lui faire face. »

Grégory se demanda quelques instants de quoi elle voulait parler, à ses yeux, ils ne craignaient plus rien des vivants. Il eut envie de lui dire que tout cela était derrière elle et qu'elle ne devait rien à personne.

« J'irai donc voir ce qu'il va se passer à son procès, expliqua t-elle en remarquant le regard fuyant de son ami.

Marguerite demanda d'une voix serrée :

— Est-ce que c'est ce que tu veux vraiment ?

— Oui...  Ça fait des années que je n'ai pas osé voir mes parents et puis... J'ai peur de brusquement changer de phase, ces souvenirs me reviennent maintenant, je n'arrive plus à les ignorer.

— Si cela t'obsède, il vaut mieux que tu ailles jusqu'au bout, lança Charles en comprenant ses sentiments. Il ne faut pas que cela te torture. »

Marguerite baissa les yeux, elle se sentit soudain triste et résignée. Fiona eut un grand sourire. Grégory annonça en haussant les épaules avec évidence :

« Et bien, on ira avec toi... Ce sera peut-être l'occasion de vous montrer mon nouveau pouvoir de fantôme. C'est une surprise mais je vous préviens, vous allez être soufflés ! »

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