Chapitre 6 - Partie 3
Ils arrivèrent en silence au sommet des silos à grain, situés de l'autre coté du port.
Les enfants connaissaient bien l'endroit, appréciant la vue et habitués à sauter du haut des plateformes pour s'amuser.
Sergeï leur montra du doigt une cour entourée de préfabriqués et leur intima d'observer en silence.
« N'intervenez surtout pas, dit-il d'un ton ferme. Cela va être dangereux. Votre éther pourrait disparaître. C'est Hugo qui les intéresse. »
Les Trépassés hochèrent la tête, le russe disparut dans un souffle.
En contre-bas, ils virent Hugo assis par terre, entouré de la bande d'Enzo. Au loin, ils purent constater que les SDF arrivaient à leur tour. Ils étaient tous là, une dizaine environ, à se précipiter droit vers les préfabriqués.
Ils pouvaient voir que Hugo pleurait, secoué par les adolescents qui criaient entre eux, ne sachant pas encore quoi faire d'un petit garçon.
Ils virent des boules d'éther se matérialiser dans leurs mains et percuter de plein fouet le petit corps roulé en boule. Marguerite retint alors un cri d'horreur.
« Quelles atrocités..., fit derrière eux une voix.
Les enfants se retournèrent en sursautant. Le Gentleman, le Baron, ainsi que le Yéyé et une forme floue se tenaient derrière eux, sans doute celle du Vieux Noyé.
— Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda Grégory.
— Gardez vos voix basses, chenapans ! chuchota le Baron du bout des lèvres. Nos voix peuvent porter au loin. Nous sommes ici à la demande de Sieur Levachov.
— Nous sommes là pour témoigner de ce qu'il va se produire, dit le Gentleman en regardant douloureusement en contrebas. Les autres fantômes doivent savoir la vérité sur ce qu'il se passe ce soir.
— Je suis désolé d'avoir laissé les enfants avec David, dit le Yéyé avec de la tristesse dans la voix. Pauvre Hugo... »
La forme floue ne dit rien mais fit miroiter son éther.
En bas, les SDF firent leur arrivée en force. Surprise, la bande d'Enzo se dispersa pour mieux tirer en tous sens. Des lumières éblouissantes jaillirent, empêchant d'observer clairement ce qu'il pouvait se produire. Ils virent des cordes bleues apparaître dans les airs et plonger sur des esprits qui les évitaient rapidement.
Les enfants étaient impressionnés, ignorants qu'autant d'énergie pouvait être libérée.
— Cela va prendre des mois, peut-être des années pour rétablir leur éther..., constata Marguerite.
— À situation désespérée, mesures désespérées », rétorqua le Yéyé en tirant son cou pour voir quelque chose à son tour.
Personne ne répondit, cherchant des yeux le petit Hugo qui était à présent invisible. Il sembla évident au bout d'un moment que les SDF étaient vainqueurs du combat.
« Si les Clodo trichent en récupérant de l'éther, alors la bande d'Enzo est quand même sacrément fortiche..., avoua Grégory en pinçant les lèvres.
— Oui, je suis contente que tu ne sois pas parti te battre tout seul contre eux, dit Marguerite. Où est Sergeï ? »
Le russe n'était nulle part. De loin, allongés sur la surface bétonnée des silos à grain, ils virent que les SDF tenaient les adolescents évanouis. Ils semblaient se disputer.
Le yéyé se mit à ricaner :
« Combien vous pariez qu'ils hésitent à absorber leur éther ? »
Un Clodo se saisit subitement d'Hugo, caché derrière une poubelle. Marguerite, Grégory et Charles se pétrifièrent.
Les hurlements d'Hugo leur parvenaient distinctement, les fantômes, impuissants, plongèrent la tête dans leurs mains. Mais Grégory et Marguerite eurent un mouvement en avant, Charles les retint d'une voix suppliante :
« Il nous a dit de rester là ! »
Au moment où il prononça ses mots, ils virent Hugo se transformer.
Une forme terrifiante prit sa place, transformant sa silhouette et faisant vibrer la dimension où ils se trouvaient. De l'éther sombre coula sur le sol, d'où surgirent des Miasmes rempants.
« Juste Ciel ! fit le Baron en redressant sa perruque.
— Hugo... », murmura Marguerite en voulant pleurer.
Charles ne put s'empêcher de se sentir satisfait d'être en sécurité. Le Dévoreur était terrifiant, une vision de cauchemar. Il eut envie de s'enfuir le plus loin possible, tant tout son être criait d'une peur viscérale. Le cri que lança Hugo était inhumain, sa forme sombre grandit encore et sembla aspirer le SDF le plus proche de lui.
Les Clodos se mirent à hurler et tentèrent de l’attraper en faisant de nouveau surgir leurs cordes fantomatiques.
« Ils se sont affaiblis pendant leur combat contre Enzo, remarqua le Gentleman.
— Et ils vont tous y passer, continua le Yéyé. Ils sont foutus !
Il eut un rire légèrement hystérique.
— Vous vous sentez bien ? tança le Baron d'un air courroucé en le regardant. L'heure est grave !
— Que fait Sergeï ? » demanda Grégory, affolé.
Le russe n'était toujours pas là. Le Dévoreur reçut plusieurs coups de cordes et avança, des vibrations se firent sentir et un vent terrible se leva. Les SDF redoublèrent d’efforts et l'encerclèrent. Hors de contrôle, Hugo leva un bras et saisit les cordes autour de lui, tenant à son tour les Clodo qui luttaient en tirant en arrière.
Des éclats de lumières les éblouirent, des SDF se mirent à voler dans tous les sens, traversant les immeubles en travaux, les grues, les préfabriqués.
Les Miasmes attaquaient et fusionnaient, glissants de toute part. Les fantômes, perchés sur les immenses silos à grain commencèrent à redouter d'être repérés.
Des bruits qui ressemblaient à des explosions retentirent. Une énorme forme noire apparut.
« Il n'est pas encore au sommet de sa puissance ! déclara le yéyé, les yeux exorbités. Il a dévoré tous les gamins, ils ne sont pas de taille !
— Un démon qui a ouvert une porte des enfers ! » chuchota le Baron d'une voix incrédule.
Le Dévoreur était devenu gigantesque, faisant gicler sur les SDF un éther brûlant qui semblait les consumer sur place, il les attrapaient pour les lancer ou les mettre dans sa gueule énorme.
« Dans le feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges... Les filets de la mort m'enveloppaient et les torrents de Bélial m'ont épouvanté... », articula Charles sans même s'en rendre compte.
Une lumière dorée surgit subitement dans le chaos grandissant, Sergeï apparut sous leurs yeux, s'approchant lentement et d'un pas ferme, tel un phare dans la nuit.
Ils eurent un moment de soulagement.
Le Dévoreur claqua de la mâchoire et se jeta sur lui, il recula subitement, comme si l'éther doré du gigantesque fantôme l'avait brûlé. À chacun de ses pas, les Miasmes à proximité se mirent à fondre avant de s'évaporer.
« Incroyable... », lâcha le Gentleman en agrippant le bord de son chapeau.
Des liens se jetèrent sur Sergeï, qui les repoussa d'un mouvement de bras.
Les fantômes étaient ébahis, ils leur semblèrent sentir une chaleur monter de la cour où le combat faisait rage.
Le russe et la créature échangèrent plusieurs attaques, les SDF présents partirent en courant, cherchant refuge dans les eaux du port. Leur puissance était phénoménale. Chacun se protégeait les yeux d'un revers de manche, certains énoncèrent l'idée de se reculer plus loin, de peur de recevoir un jet d'éther plus que fatal.
Soudain, ils virent distinctement le Dévoreur attraper Sergeï et l'enrouler autour de ses lianes noires. Le fantôme se mit à crier et dans un effort terrible, tous virent avec horreur le corps du russe exploser en mille morceaux de particules dorées.
Une peur panique saisit alors l'assemblée, les enfants mirent plusieurs secondes avant de réaliser ce qu'ils venaient de voir.
« Il s'est fait bouffé ! » s'écria Patrick le Yéyé avec stupéfaction.
Marguerite, Charles et Grégory se regardaient, paniqués, ils se tournèrent vers les adultes.
Ils virent qu'ils commencèrent à fuir. La forme floue du Vieux Noyé se mit à s'agiter, sans doute aussi effrayée que les autres.
« Qu'est-ce qu'on fait ? articula Grégory d'une voix blanche. On descend et on essaie de le raisonner ?
La voix frêle du Yéyé se fit entendre :
— Mais oui, vas-y Grégory ! Joins-toi à eux, fais-toi aspirer à ton tour !
Il se mit à rire, Marguerite recula derrière Charles.
— Il n'y a rien d'amusant, ressaisissez-vous, imbécile ! dit le Baron avec autorité.
— Imbécile ? le visage du Yéyé devint subitement mauvais. C'est toi qui m'insultes, le troufion ! Parfait, tu seras le prochain sur la liste. »
Tous se reculèrent, en bas, le Dévoreur s’avançait vers eux, les enfants cherchèrent du regard un endroit où partir.
« C'est vous, n'est-ce pas ? demanda le Gentleman avec colère. C'est vous qui avez manigancé tout ça !
— Mais boucle-là, toi aussi ! répondit Patrick d'un ton désinvolte. Avec tes airs de vieux bourge ! Je vais bouffer vos éthers, à vous aussi et je pourrais enfin me tirer de ce trou à rat !
— Qu'est-ce que vous avez fait à Hugo ? hurla Marguerite en s'accrochant au polo de Charles, reculant toujours plus.
— Pauvre Hugo, pauvre gamin... Je n'ai rien fait. Ou presque. Il aimait bien que je passe du temps avec lui. Mais si vous croyez que je vais faire des révélations... Non. »
Le Yéyé s'approcha d'eux, le visage déformé, le regard insondable. Il attrapa le Baron par le cou et son bras devint subitement noir. Le Dévoreur s'était arrêté d'avancer, soudain calme.
« Tous ces mioches, vos vies geignardes... Je me casse ! Merci de votre contribution, chers ancêtres ! »
Le Baron poussa un hoquet, les enfants se reculèrent et le Gentleman voulut s'interposer.
D'un bon, le Dévoreur surgit au sommet du silo à grain et plaquan le fantôme au chapeau au sol. L'air devint acide, irritant.
Marguerite, Charles et Grégory s'étaient baissés, serrés les uns contre les autres, regardant impuissants le Yéyé aspirer l'éther du Baron.
« Hugo, appela Marguerite d'un ton suppliant. Hugo, on est désolés.
— Non, ne te donne pas cette peine, il ne t'entend pas, dit le Yéyé en serrant sa prise et en approchant son visage de la perruque poudrée du Baron. Ton mignon, tout petit frère est accro. Accro à l'éther que je lui donne, il n'écoutera que moi.
— Joyeux anniversaire Hugo ! » dit Grégory en regardant l'horrible forme noire qui s’apprêtait à aspirer le Gentleman.
Mais Charles vit que leurs mots étaient sans effets, Patrick riait frénétiquement et commença à manger le vieux fantôme, aspirant son énergie dans une grande inspiration.
Soudain, deux énormes mains surgirent de derrière la tête du Yéyé et lui empoignèrent le crâne. Ce dernier lâcha le Baron, qui s’effondra sur le sol dans un glapissement.
Sergeï surgit dans des éclats dorés, il souleva calmement les bras en faisant traîner la pointe des pieds du Yéyé au sol.
Le Dévoreur s'élança sur eux mais le russe fut plus rapide. Un halo lumineux sortit de ses doigts et pénétra l'éther du fantôme.
Les enfants sentirent une douce chaleur sur leur peau et ils fermèrent les yeux, éblouis.
Ils entendirent des hurlements et la voix de Sergeï qui grondait des phrases en russe.
Une formidable énergie fit trembler les esprits, qui se terrèrent dans un coin, collés les uns contre les autres. Seule la forme floue du Vieux Noyé ne semblait pas perturbée.
Sergeï attrapa le Dévoreur et lui propulsa une incroyable dose d'éther, la chaleur fut si forte que la perruque poudrée du Baron se mit à roussir. Hugo apparut alors, inconscient et glissant sur le sol. Marguerite se précipita pour l'attraper.
Le Yéyé hurla et se jeta sur Sergeï, ivre de rage. D'un geste vif pour sa carrure, les enfants purent voir la main du russe voler contre la mâchoire de Patrick, qui explosa dans un bruit éclatant.
En deux pas, le géant se jeta sur lui et fit sortir de ses yeux des éclats de lumières.
« Dasvidania », articula t-il avant de l'empoigner et de faire de nouveau surgir un éclair doré.
Tout le monde cligna des yeux, aveuglés durant plusieurs secondes.
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