Chapitre 6 - Partie 7

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Des sons et une agitation semblaient lui parvenir de loin, il crut quelques instants entendre crier dans les couloirs et des bruits de pas. Dehors, l'écho de moteurs de voitures montait jusqu'aux fenêtres. Adam eut envie de se réveiller mais sa fatigue l'empêcha d'ouvrir un œil. Il se sentait lourd, nauséeux.

Il se demanda si les membres de l'Assemblée fêtaient quelque chose, il était rare que du monde reste aussi tard à la propriété. Il eut l'impression que du monde arrivait encore.

Des chants et des éclats de voix lui parvinrent aux oreilles. Il se retourna en soupirant, peu importe ce qu'il pouvait se passer dehors, personne ne pouvait le déranger. Il était trop fatigué pour y prêter attention.

Adam se rendormit, sa tête s'enfonçant dans l'oreiller.

Une vive douleur au creux du bras gauche le fit sursauter, Adam poussa un cri de surprise en ouvrant les yeux.

Il papillonna des yeux, la lumière d'une lampe de poche lui brûla les rétines.

« Il s'est réveillé ! fit la voix paniquée de Lancelot à ses côtés.

Adam sentit la poigne de l'homme autour de son avant-bras, quelque chose lui enserrait le bas de l'épaule.

— Et bien vas-y ! Dépêche-toi ! » rétorqua la voix de son père avec empressement.

Adam se redressa à moitié, la main du Grand Maître se posa sur son épaule et le plaqua fermement sur le matelas. Lancelot tira de nouveau sur son bras et il ressentit encore la douleur qui l'avait réveillé.

La tête d'Adam se mit à tourner, aveuglé, il ne parvint pas à se dégager. Son corps lui semblait lourd et mou, il avait envie de vomir.

— Voilà, il va se rendormir bientôt, dit Lancelot avec une voix de soulagement.

— Habille-le et retrouve-moi en bas. »

Les yeux d'Adam se fermèrent à nouveau.

Le vrombissement tranquille qu'il sentait résonner dans son corps lui fit comprendre qu'il était dans une voiture. À l'odeur, il reconnut une des vieilles berlines du garage.

Adam se sentait mal, son sang battait ses tympans et son esprit allait et venait du sommeil à la réalité. Allongé sur la banquette arrière et couvert d'une couverture, il avait du mal à respirer.

« Grand Maître... Heu, Charles, vous pensez que la police..., commença la voix hésitante de Lancelot au loin, vous pensez que la police ne va pas tous les retrouver dans la semaine ?

— Et comment veux-tu qu'ils le fassent, Georges ? Hein ? Cette baraque est gigantesque, personne n'ose y aller, même les gens du village ne savent pas qu'on habitait là. Ils viendront fouiller d'ici des mois. Et quand ils les trouveront, nous serons déjà loin. Personne ne les préviendra, nous sommes les êtres Élus des Astres. Aie la foi. J'ai demandé à Galahad de venir nous chercher.

— Mais il est en Corée du Sud...

— Je le sais. Je le sais très bien.

La voix du Grand Maître était ferme, glaciale. Il conduisait lentement, sachant pertinemment où il allait. Un bruit étouffé se fit entendre.

— Je pense que certains se sont réveillés, j'entends bouger dans le coffre.

— Ils n'iront pas bien loin, rassure-toi. »

Un silence s'imposa qui sembla durer des heures. Lancelot se mit lentement à prier, Adam pouvait entendre sa litanie. Il avait des sanglots dans la voix. La voix de son père se fit rassurante.

« Allons Georges, nos amis sont partis rejoindre le Seigneur, leurs âmes sont désormais pures et à l'abri du jugement dernier.

— Oui, mais le jeune Sirius ?

— Sirius est le frère de l’Élu de la Lumière, son âme est la plus pure d'entre toutes. Il ressuscitera parmi nous. »

Adam sentit son cœur se serrer, il poussa un râle. Il lui sembla avoir mal compris.

« Charles, Adam se réveille..., chuchota Lancelot en regardant les sièges arrières.

— Alors, silence. »

Mais Adam ne parvint pas à se rendormir, dehors, une pluie diluvienne se mit à tomber. Les gouttes giflaient le pare-brise, rendant inaudible le reste de leur conversation.

Sirius... Sirius... Le visage de son frère lui revint en mémoire. Il voulait lui parler du match. Quelle heure était-il ? Il faisait encore nuit. Ils devaient bientôt se voir. Son frère, c'était sa lumière à lui. Il fallait qu'il s'excuse.

Adam remua un peu et glissa du siège. Sur la moquette de la voiture, le vrombissement du moteur était plus fort. Il sentit que Lancelot le saisissait ; amorphe, il se laissa de nouveau porter sur la banquette. Un poids se fit sentir sur lui, lui coupant la respiration. On s'agitait à l'avant de la voiture, son père ouvrit la boîte à gant. Au bout de quelques minutes, la douleur sur son bras se fit sentir.

« Sirius ! » appela t-il d'une voix faible avant de sombrer à nouveau.

Le temps passa, Adam ne réussit pas à le mesurer. Il devina qu'il faisait toujours nuit. Était-ce la même ? Il n'en savait rien. Tout son corps était douloureux, il avait soif. Sa langue gonflée l’empêchait presque de respirer. Il était toujours dans la voiture. Le bruit du coffre qui se referme dans un claquement le tira de son sommeil. Engourdi, il ne pouvait même pas ouvrir un œil.

Il sentit l'air frais et humide qui s'était engouffré dans le véhicule. Une odeur d'arbre et de terre mouillée.

Un cri de femme se fit entendre, puis un grand claquement dans l'air, qui résonna en écho. Il avait reconnu la voix stridente de sa mère. De longues minutes défilèrent.

Enfin, la portière s'ouvrit, son père entra dans la berline et le saisit. Toujours incapable de bouger, Adam se laissa porter mollement.

Le Grand Maître marchait à grands pas entre des arbres et des broussailles, tenant maladroitement une lampe de poche dans son cou. La lumière vacillait. Ils se déplacèrent longtemps, Adam sentait le souffle rauque de son père sur son visage, haletant sous l'effort.

Enfin, la voix de Lancelot se fit de nouveau entendre :

« Ça y est, je les ai tous allongés. Charles, tu veux que je mette Adam au milieu ?

— Non, vas-y.

— Moi ? Mais... Je... »

Le Grand Maître déposa Adam au sol et alla vers Lancelot.

Ils se mirent à prier, à genoux au sol, récitant des textes en latin et en regardant le ciel nuageux. Ils invoquèrent les constellations et parlèrent du Saint Graal. Lancelot pleurait à chaudes larmes, la voix du Grand Maître était douce et rassurante.

Un nouveau claquement se fit entendre, Adam sursauta. Le son bourdonna dans ses oreilles. Des oiseaux s'envolèrent en piaillant entre les branches.

Adam se sentit saisi par les pieds, il reconnut le souffle de son père. Il glissa entre les feuilles et de l'eau imprégna son polo en coton, sa tête frottait à peine sur le sol. Son cœur battait à tout rompre. Il avait peur.

Son père le traîna de nouveau longtemps, s'arrêtant parfois, récitant d'une voix froide des passages de la Bible.

« Pardonne-moi mon fils, dit-il, mais je t'épargne une vie de souffrances et de péchés. Pardonne-moi d'avoir échoué dans ma quête. Adam et Sirius sont l'ombre et la lumière, incarnation d'Arthur. L'un sans l'autre ne peut exister. »

Le Grand Maître parla longtemps, de sa vie, de ses multiples femmes et de ses nombreux enfants. De la joie qu'il avait eu le jour de leur naissance, de sa destinée choisie par Dieu. Il lui promit de continuer leur mission divine et de quitter le pays. Adam écoutait sans entendre, il voulut dire quelque chose, mais sa bouche refusait de s'ouvrir.

Son père s'arrêta enfin, essoufflé. Il s'accroupit à ses côtés et lui caressa le visage.

« Adam, ton existence n'aura pas été vaine et aura permis à l'Ordre d'étendre sa lumière.

Un objet froid s'enroula autour de son poignet, il reconnut la gourmette de son père.

Un bref éclair de lucidité atteint l'homme :

« Sirius est mort hier après-midi, en allant à son match. Une voiture l'a percuté pendant qu'il était à vélo. Je ne sais pas si c'est un accident ou un ancien membre. Je n'ai pas pu le protéger. Pardonne-moi, Seigneur... 

Pour la première fois, Adam entendit des larmes dans la voix du Grand Maître.

Mais au même moment, son cœur se figea dans sa poitrine. Il essaya d'ouvrir les yeux.

— Je dois protéger notre travail, la police va faire une enquête... Cet imbécile de Georges a tout raconté aux fidèles, ils sont devenus hystériques mais j'ai réussi à maîtriser la situation, pour le moment. Je dois partir. Il y a assez d'argent... Et toi, je ne peux t'emmener nulle part, tu n'existes pas. »

Le souffle d'Adam devint court. Une douleur indescriptible monta en lui et devint insupportable. Un son sifflant sortit entre ses lèvres.

Le manque d'oxygène le fit partir. Malgré la drogue qui inondait ses veines, des larmes lui montèrent aux yeux. Sirius... Impossible. Ils étaient ensemble, ils étaient la moitié d'une même âme. L'incarnation d'un même être.

Il n'écouta plus un son, ses yeux partirent dans le vague tandis que la douleur tordait l'essence même de son âme. Il vit au-dessus de lui la cime des arbres qui les entouraient. Mourir ? Il était déjà mort. Dès qu'il avait entendu les mots de son père, sa vie avait pris fin.

Le Grand Maître avait raison. Son existence n'avait aucun intérêt, aucun but. Il ne connaissait rien de la vie, ni du monde extérieur. Dieu l'avait rendu l’Élu d'un univers dont il ne savait rien. Son père mentait depuis leur naissance, Sirius l'avait toujours dit. Mais sans lui...

Il entendit son père creuser dans la boue, à main nue. Adam eut soudain froid, sa tête devint lourde. Il sentit un énorme poids lui comprimer la poitrine, l’empêchant même de respirer.

La vision des étoiles qu'il aimait tant lui envahit l'esprit et au fur et à mesure qu'il sombrait à nouveau dans l'inconscience, le souvenir de son frère qu'il ne reverrait jamais lui enserra douloureusement le cœur.

Sirius... Sirius... J'aimerais tellement te voir une dernière fois... Sirius...

Adam s'évanouit alors pour ne plus jamais se réveiller.

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