Chapitre 7 - FIN
Une musique enfantine se mit à jouer, les enfants chantèrent autour de la table. Hugo les imita du mieux qu'il put, ne connaissant pas les paroles.
Il avait pris la place du petit garçon qui soufflait véritablement ses bougies mais pour lui, c'était comme si tout le monde était réuni en son honneur.
Peu lui importait que ce soit des inconnus qui l'applaudissent et le félicitent. Il y avait du monde, à manger, des cadeaux emballés dans un coin, son frère et sa sœur.
Il adopta les gestes des autres, et fit mine de manger le burger que le gamin sur lequel il était assis portait à sa bouche.
Après le repas, il dansa avec les enfants et retourna jouer, puis vint le dessert, qu'une maman avait préparé avec application. Les bougies furent installées discrètement et à la va-vite.
Il était émerveillé et ignora la fatigue qui le faisait se sentir faible. Depuis son réveil, il avait mal un peu partout et des images étranges passaient devant ses yeux. Mais il s'en moquait, il avait sa famille réunie comme promis autour de lui.
Les bougies brûlaient doucement, les vivants prirent des photos, Hugo souriait sur chacune d'elles.
« Allez, souffle ! » fit la maman du garçon en tenant son téléphone portable.
Hugo ne se fit pas prier, dans un sourire éblouissant et sous les yeux de Marguerite et Grégory, il prit une grande inspiration et souffla toutes les bougies.
Les fantômes applaudirent en hochant la tête, impressionnés.
« Ah mince, attends mon chéri, un courant d'air à tout éteint », fit la mère en se précipitant avec un briquet.
Hugo exulta de joie et se mit à sauter autour de la table. Il eut subitement la sensation que son cœur cognait fort dans sa poitrine.
Il réclama à retourner dehors, les esprits le suivirent en s'échangeant des regards soulagés et ravis.
La tête d'Hugo se mit à lui tourner, grisé de bonheur, il grimpa sur les toboggans et se laissa tomber dans la piscine à balle, sans produire le moindre mouvement.
Il réclama ensuite à aller au parc d'attraction. Les enfants regardèrent Sergeï, qui hocha la tête pour les rassurer.
Ils firent tous ensembles plusieurs manèges, mais aucun grand-huit, car les wagons partaient sans eux à toute vitesse en leur passant au-travers. Seul Sergeï parvint à se laisser emporter sur les sièges. Grégory ne cacha pas sa jalousie. Le train-fantôme les amusa longtemps.
À chaque heure, Marguerite et son frère semblaient plus tristes. Ils se forçaient parfois à sourire, détournaient leurs regards et alternaient les silences. Charles reconnut la même attitude qu'avait eut Fiona avant de partir. Une vague d'amertume l'envahit.
Enfin, la journée passa et le soleil commença à se coucher. Hugo demanda à monter dans la grande roue.
Lentement ils s'élevèrent dans le ciel, la vue était imprenable. Ils voyaient au loin le fleuve et les pointes élevées des églises et des monuments. Des pigeons croisèrent leur passage, faisant bruisser leurs plumes. Une lumière chaude envahit le ciel et le dessus de leur tête. Charles baissa les yeux.
« C'est le moment..., pensa t-il.
— C'était le meilleur anniversaire de toute ma vie ! s'écria Hugo en regardant en contrebas.
— Et demain, qu'est-ce que tu veux faire ? demanda Grégory d'un ton angoissé.
— Mais il n'y a rien demain ! répondit son petit frère en le regardant avec surprise. Ce soir on retourne voir papa et maman !
Grégory détourna la tête, Marguerite se mordit la lèvre. Charles garda le silence.
Grégory ne savait pas quoi faire, il regarda sa sœur avec des yeux suppliants. Elle l'ignora, saisie par son propre chagrin.
Soudain, le coucher de soleil devint plus vivace, les couleurs du ciel se mélangèrent. La chaleur les envahit à mesure qu'ils repartaient à nouveau pour un tour dans les airs.
« La brèche, elle arrive », dit Sergeï d'un ton calme.
Charles regarda autour de lui, la lumière dorée illuminait l'espace.
« Regardez ce coucher de soleil ! Il est magnifique ! » s'extasia un couple dans la nacelle d'à côté.
La grande roue s'immobilisa pour laisser ses clients profiter du point de vue. Les fantômes se balancèrent sous le choc de l'arrêt.
« Là ! Il y a une déchirure ! » fit Hugo en pointant du doigt quelque chose dans le vide.
Charles regarda dans sa direction mais ne vit rien.
Mais Grégory et Marguerite voyaient la déchirure blanche avec des yeux ronds. Ses bords flottaient au grès du vent, tels des morceaux de toiles éraflés. Un son se fit entendre dans leurs oreilles, une chanson douce et profonde, dont les paroles ressemblaient à une mélopée infinie.
« L'Âme du Monde..., murmura Marguerite.
Grégory était médusé, regardant au travers de la faille en sentant de l'air chaud sur ses joues.
— Il y a... on dirait qu'il y a mille lumières à l'intérieur, dit-il d'une voix mal assurée.
Hugo prit la main de Marguerite et lui demanda d'une petite voix :
— Tu viens avec moi ? Je ne veux pas y aller tout seul... »
Marguerite rencontra le regard de Grégory et tourna la tête. Elle était terrifiée.
Des voix montaient, semblant les appeler. Hugo se mit à trembler. Sa sœur restait pétrifiée. Sergeï gardait les yeux fermés, semblant profiter de la chaleur tel un bain de soleil. Elle voulut dire quelque chose mais Grégory fut le plus rapide :
« Je vais y aller.
Charles ouvrit la bouche pour protester mais se garda d'aller plus loin.
— Je sais que tu as peur de partir la Margarita. Mais moi non. Tu ne sens rien ?
Des larmes se mirent à couler sur les joues de Marguerite.
— Non, je ne sens rien du tout ! lança-t-elle avec amertume.
— Je comprends ce que Fiona voulait dire. Tout ira bien. Je sais, c'est très bizarre... Mais je le sens, dans la chanson. Ne t'en veux pas, ce n'est pas grave. Je sais que tu as toujours voulu qu'on passe de l'Autre-Coté, et on y est. C'est juste que... Peut-être, ton heure est pas encore venue.
— Mais je la vois, la faille ! s'écria Marguerite.
Grégory haussa les épaules :
— Oui, et alors ?
— Mais tu ne sais pas t'occuper d'Hugo..., lâcha t-elle en prenant son petit frère contre elle, des sanglots dans la voix.
— Je pense qu'il se débrouille très bien, il a cinq ans. Et on ne peut pas laisser Charles tout seul. »
Marguerite se mit à sangloter, secouée de larmes. Hugo prit la main de son frère et regarda en direction de la faille avec des sourires.
Grégory se tourna vers Charles et lui tendit la main :
« Merci Charles, t'as vraiment été un chic type !
Charles la saisit vivement, Grégory prit une couleur argentée et les lumières chaudes et dorées rayonnèrent au travers lui.
L'émotion s'empara de Charles, qui dut s'y reprendre à plusieurs fois pour réussir à articuler :
— Merci Greg, t'as été... T'as été mon premier et seul ami...
— Merci à toi aussi... On s'est bien amusé !
— Au revoir, dit-il à Sergeï qui les regardait à présent avec satisfaction. Je connaîtrai jamais vos secrets mais je dois m'occuper d'Hugo, alors...
— Rassure-toi mon garçon, tu fais ton devoir et... Bohze, tu vas découvrir un secret plus grand encore. Au revoir. »
Hugo se mit également à luire, la chanson envahissait sa tête et l'enveloppait dans une étreinte aussi douce que les bras de sa mère. Il tira la main de Grégory vers la faille.
Marguerite eut du mal à le laisser partir, elle avait retiré ses lunettes, couvertes de larmes. Son petit frère l'embrassa une dernière fois et passa ses jambes par dessus la nacelle.
« Mais je... je..., articula leur sœur, tandis que Grégory enjambait à son tour la barrière.
Elle vit le dos de ses deux frères et leurs cheveux blonds secoués par la brise du vent. Étincelants de lumière, elle les trouva magnifiques.
Les deux frères en pyjama se prirent la main et regardèrent la faille, Grégory se tourna une dernière fois vers sa sœur :
— Ne t'inquiète pas, nous aussi on t'aime. »
D'un bond, ils sautèrent dans le vide et disparurent, laissant derrière eux une vive lumière blanche.
Charles se couvrit les yeux, et essuya ses joues humides d'un revers de bras. Il senti la pression de Sergeï sur son épaule.
« Regarde ! »
Charles cligna des paupières, très haut dans le ciel, il put voir à son tour la déchirure surgir. Ses bords flottaient au vent tels des étendards.
Une silhouette colorée apparut soudain et s'y précipita. Elle disparut dans des éclats dorés.
D'autres prirent forme et la suivirent.
« Ce sont les fantômes qu'Hugo a absorbé ! Ils traversent ! » s'exclama Marguerite.
Le ciel ne perdit pas ses couleurs, le temps sembla s'arrêter. Des dizaines d'âmes s'envolaient, les unes plus brillantes que les autres.
Les vivants prirent des photos, surpris d'un si magnifique couché de soleil en hiver, sans savoir que des dizaines d'âmes passaient par-dessus leurs têtes, se précipitant vers l'au-delà.
Charles pensa à Fiona, avait-elle deviné en regardant au-travers de la faille, qu'ils allaient réussir à faire passer tous les Trépassés de l'Autre-Coté ?
Il haussa les épaules, contemplant ce spectacle.
Marguerite sécha ses larmes, elle avait décidé de faire confiance à Grégory.
La grande roue s'arrêta de tourner et le dernier fantôme, probablement le Clodo du Pont, traversa la faille, qui s'évanouit dans les airs dans une grande lumière.
Après cela, la nuit ne tarda pas à tomber. Charles, Marguerite et Sergeï marchèrent dans les allées, essayant de faire durer l'instant dont ils avaient été témoins.
« Si un fantôme avait essayé de traverser à ce moment là, demanda Marguerite à Sergeï, est-ce qu'il aurait réussi à passer de l'Autre-Coté ?
— Non... Il aurait traversé la faille comme un mur. J'ai un ami qui travaille sur ce sujet, il habite très loin. Il a essayé pour en faire l'expérience.
— Vraiment ? Est-ce qu'il mène des recherches sur cette dimension ?
— Oui, si tu veux, je pourrais lui parler de tes idées. Le Gentleman m'a affirmé qu’elles sont dignes d'intérêt. On m'a dit que tu prenais des notes, je pourrais les apprendre pour les lui réciter. »
Marguerite le remercia dans un souffle. Après un moment, Charles prit la parole :
« Est-ce que vous pensez... que la faille s'ouvrira de nouveau pour Marguerite ?
Sergeï prit sa pipe à opium dans la main et tira dessus :
— Oui. Comme je vous l'ai dit, j'ai moi aussi refusé d'y aller, il y a longtemps... Depuis, elle est réapparue plusieurs fois. Je ne pourrais t'expliquer comment... Je pense que ce sont nos choix, nos émotions. Hum... À chaque fois, je me dis, la prochaine... Mais je ne suis pas prêt encore à y aller. J'ai encore trop de regrets, ou alors je n'ai juste pas envie de faire l'effort. Comme la plupart des autres fantômes ! »
Il se mit à rire, les enfants esquissèrent des sourires. Charles réalisa qu'il avait raison.
« Et vous, mes petits detey, qu'est-ce que vous allez faire ?
— Je vais continuer à chercher, répondit Marguerite, à essayer de comprendre ce qu'est cet endroit.
— Moi... Je ne sais pas encore..., répondit Charles. Je pense que j'assisterai Marguerite, et j'aimerai aussi aider les autres fantômes à passer de l'Autre-Côté. »
Sergeï hocha la tête, il savait que c'était là une cause noble. Il aspira à nouveau sa pipe d'un air machinal.
« Si vous me cherchez, je serai à l'Opéra. Ma blessure est encore profonde. Je reste donc dans cette ville jusqu'à mon rétablissement. Merci pour cette aventure, c'était une vision magnifique. Cela en valait la peine. »
Charles et Marguerite le saluèrent, le russe redressa son manteau de fourrure et s'en alla d'un pas tranquille.
Les deux jeunes fantômes marchèrent en silence côte à côte, repassant leurs souvenirs dans leur tête. Ils arrivèrent au passage piéton et remarquèrent une jeune fille sur le bas-côté. Marguerite arrêta Charles et la pointa du doigt.
Blonde, habillée d'un tee shirt qui laissait voir son nombril et les cheveux longs, elle était assise et regardaient les lumières de la fête foraine d'un air absent.
Ils s'approchèrent, la jeune fille tourna la tête vers eux.
« Des lumières, dans le ciel... J'ai vu des lumières...
— Comment est-ce que tu t'appelles ? demanda Charles en s'asseyant à coté d'elle.
— Mary... regarde ces lumières.
— Et tu es ici depuis combien de temps Mary ? questionna à son tour Marguerite en s'approchant.
— Une semaine je dirai... J'étais avec ma mère et... la voiture a percuté la barrière. Toutes ces lumières... la voiture...
Charles et Marguerite s'échangèrent un regard.
« Vous pouvez... me voir ? articula la jeune fille avec un air absent.
— Oui, on peut ! sourit Marguerite.
— Nous sommes les Trépassés ! » ajouta Charles en lui tendant la main.
FIN
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