L'Homme au Carnet 4
Sam arriva au café. Il balaya l'espace des yeux. Le sorcier au livre étrange n'était pas là.
- Sam, viens voir !
Il rejoignit celui qui l'avait appelé et qui lui montrait un bout de papier.
- Ca doit être un mot laissé par lui.
Ils lurent :
<< Voyant un toit arraché
En un souffle par une ombre,
Ils liront dans les décombres
Ce que la nuit a laissé. >>
Ils se regardèrent. Puis un claquement sourd et bref surgit du silence nocturne.
C'est le lendemain qu'ils découvrirent les ruines. Un seul bâtiment, une usine, avait été touché. Ils se souvenaient qu'heureusement, personne n'y passait la nuit. L'un d'eux intervint :
- Ca ne peut pas être tout. Dans le mot, il parlait de lire quelque chose... Dans les décombres...
-Plutôt dans l'ombre...
Ils se retournèrent vers lui, qui leur désigna le sol. Dans l'ombre du bâtiment, on pouvait lire distinctement une phrase :
L'idéalisme est le réalisme de demain.
La jeune fille reconnut l'homme au Carnet. Elle se précipita vers lui.
- Aujourd'hui est la dernière nuit, n'est-ce pas ?
- Tu ne devrais pas être ici ! Je te l'ai déjà dit !
Ce commencement pour certains est surtout une fin pour tous !
- Vous savez, je vous ai entendu au café. En fait, je vous suis depuis que vous êtes venu ici. Aujourd'hui, je veux venir avec vous.
L'homme au Carnet lui sourit.
- Bien ! Viens.
L'artiste observait des volutes de fumée grise s'échapper des hommes et s'élever dans les airs.
Il vit apparaître le Carnet et son propriétaire. Jetant à nouveau son regard sur la fumée, il dit :
- Ce n'est pas un véritable secret, cela...
- Non, mais peu ont conscience de la gravité de ce qui se passe ici. On a su en faire un élément du décor, un détail dilué dans cette agitation formidable. Mais là est toute la ville aux mille bruits. C'est un véritable vacarme qui se précipite vers les cieux. Une chose est sûre : cela doit finir.
Allons, venez. Quittons ce lieu.
Il l'emmena dans une avenue et lui désigna une personne silencieuse semblant absorbée par ses rêveries.
-Voyez ce rêveur. Il n'existe pas.
Il claqua des doigts, et la personne se retrouva avec un téléphone et des oreillettes, plein de papiers dans les doigts, extrêmement agitée.
-Ici, l'inaction, la rêverie, n'existe pas. Ils ont décidé d'y voir un phénomène à détruire. Ils oublient que le vrai problème est qu'ils ne savent pas gérer leur organisation de manière à l'accepter. Ce silence n'existe plus, il faut chercher sans cesse de quoi s'occuper. Voilà, quand on la regarde de près, la véritable absurdité d'un monde cherchant l'émancipation par ailleurs.
Voilà pourquoi, tout en reconnaissant son apport, ce qu'il a permis historiquement, il faut abandonner ce vieux (quoique toujours remodelé) concept qu'est l'argent.
L'artiste était interloqué. L'homme au Carnet poursuivit :
- C'est la peur qui nous retient ; c'est elle qui laisse ce système perdurer. Nous avons peur de nous car nous avons peur de l'autre, et nous craignons l'autre car nous pensons qu'il nous craint. Il faut restituer le cycle de la confiance ; la confiance est la clef du nouveau monde. La confiance est la conscience.
- Toutes ces phrases, ces réflexions, tout ce qui est écrit dans ce livre se réduirait à ces quelques idées simples, précises ?
- L'essentiel repose dans ce que nous croyons, dans la force de la croyance. L'uchronie s'établira car elle est belle. Il suffit que tous y croient pour qu'elle devienne une réalité. Seul le scepticisme l'empêche. C'est bien la confiance qu'il faut retrouver, en allant contre le temps. Les hommes aujourd'hui avancent vers un même horizon réduit. Il faut refuser ce futur présent, rechercher un autre avenir. Voilà l'uchronie : un mouvement hors du temps, hors de la course folle que l'on mène aujourd'hui. Un mouvement qui semble d'un autre temps, mais qui est possible. Il va contre le développement proposé aujourd'hui. Son présent n'est plus aliéné par le futur, mais éclairé par lui.
Il ajouta :
- Cette nuit, quand viendra le torrent, je vous emmènerai là-bas. Par delà l'avenir, par-delà le temps, par-delà les rêves.
- Et moi ?
L'homme au Carnet se retourna vers la petite fille.
- Toi, bien sûr ! Tu viendras aussi, je te ferai découvrir ce monde dont je viens, et qui t'intriguait tant.
Annotations
Versions