Chapitre 3
C’est horrible. Du genre vraiment horrible. Du bruit, du monde - beaucoup de monde - et puis ça pue ! Les gens connaissent-ils seulement l’odeur du savon ? Du shampoing ? Du déodorant ? Ou même du parfum ? Parce que je n’en ai malheureusement pas l’impression. Ils s’entassent tous les uns sur les autres et ignorent délibérément leur entourage.
Comment font-ils pour être aussi sales, bruyants et impolis en même temps ?
— Léna ? Tu m’écoutes ?
— Hein ?
Juliette soupire d’agacement avant d’éteindre son téléphone et de se tourner vers moi, visiblement énervée.
— Bon, écoute, déclare-t-elle. Je comprends que le prof t’aie mise en rogne, mais tu pourrais au moins écouter ce que j’ai à te dire. En plus, c’est vraiment important.
Je secoue la tête comme pour faire fuir les horreurs qui m’entourent avant de me concentrer sur ma meilleure - et seule - amie.
— Pardon. C’est juste que je n’arrive pas à me concentrer avec tout ce bruit.
Des rires. Des cris. Des pieds qui martèlent le sol. Des portes de casier qui claquent. Des bruits de choc. Des sacs ouverts.
Inspire. Expire.
Tous ses bruits me rendent complètement dingue, je ne sais pas comment l’expliquer. C’est comme si on venait me taper sur la tête avec un marteau ; ça fait mal - très mal. Juliette et moi sommes assises sur les escaliers et nous observons tous ces gens - si on peut encore appeler ça des humains - hurler comme des fous.
— On peut aller autre part, si tu préfères, me propose Juliette en fronçant les sourcils. Vraiment, ça ne me dérange pas. Mais je dois te raconter quelque chose. C’est urgent, précise-t-elle.
Je réprime un soupir et me lève pour suivre mon amie. Elle nous conduit à travers les couloirs, et nous atterrissons dans la grande cour de récréation. Juliette arrive à nous trouver un banc libre et nous nous y installons.
Le banc est dur et inconfortable, je n’aime pas ça.
— Donc, comme tu ne m’as pas écoutée, je vais reprendre depuis le début.
J’acquiesce. Je me prépare à me concentrer le plus possible. Depuis toujours, j’ai un grand trouble de l’attention. Evidemment, je fais de mon mieux pour me focaliser sur ce qu’on me demande, mais je n’y arrive pas. J’ai parfois même du mal à écouter entièrement ce que me dit ma meilleure amie !
— Déjà, je te rappelle la situation. Léo et moi, on se parle depuis presque un an, mais on ne s’est jamais vus en vrai. Juste sur les réseaux.
OK, pour l’instant, je comprends. Il faut dire que tout ça, je le sais déjà. Comme si je n’avais jamais entendu parlé du fameux Léo ! Depuis leur premier message, je suis au courant de tout. A chaque fois qu’ils ont une discussion, je reçois une capture d’écran de Juliette. Ensuite, elle me demande des conseils, ce que je pense, patati, patata.
Je dois avouer que je n’ai jamais compris, ça. Pourquoi me demander des conseils à moi. Je veux dire, je suis célibataire depuis la naissance ! Comment est-ce que je pourrais avoir la moindre idée de ce que je dois lui répondre ? Est-ce qu’elle veut du positif ? Du négatif ? Est-ce qu’elle veut seulement que je sois honnête dans ma réponse ?
— Eh bien hier, il m’a proposé qu’on se voit enfin ! s’écrie Juliette avant de reprendre une voix plus calme, plus posée. Enfin, non. Il ne me l’a pas dit explicitement, mais c’est la même chose. Regarde et dis-moi ce que tu en penses.
Qu’est-ce que je disais ?
Juliette sort son téléphone de sa poche et le déverrouille. Comme à chaque fois, mon regard se braque immédiatement sur la coque du téléphone de mon amie. Elle a une couleur si flashy que ça me fait mal aux yeux. Comment peut-elle voir ça tous les jours sans engendrer de terribles dégâts à sa vue ?
— Tiens.
Juliette me tend son téléphone que j’attrape précautionneusement. L’écran montre une discussion Instagram sur un fond mauve que je connais bien pour l’avoir vu sur des centaines de captures d’écran.
Vous :
Salut Léo ! Comment ça va ?
Léo :
He, salut Juju ! Moi ça va super et toi ?
Dis, je voulais te parler d’un truc.
Vous :
Oui oui, moi ça va.
Je t’écoute.
Léo :
C’est un peu délicat, mais tu trouves pas que
c’est bizarre ? Je veux dire nous deux.
Vous :
Comment ça ?
Léo :
Bah on ne s’est jamais rencontré, mais on se
parle comme si on se connaissait depuis
toujours.
Vous :
Oui, c’est vrai.
Léo :
Tu penses pas qu’on devrait au moins
apprendre à se connaître un peu avant
de continuer à se parler comme on le fait ?
Vous :
Oui, sûrement.
— Alors ?
Je me tourne vers ma meilleure amie, troublée. Je suis censée dire quoi, moi ? OK, c’est une discussion. Mais encore ? Enfin, il n’y a rien de particulier. Il lui a juste demandé d’apprendre à se connaître, ce n’est pas exceptionnel. Si ?
— Alors ? je répète d’une voix innocente.
Juliette soupire et c’est à ce moment qu’une fille et deux garçons viennent s'asseoir devant nous, à même le sol.
— Juju, Nana. Comment se passe votre rentrée ?
Bon. OK, j’ai peut-être dit que Juliette était ma meilleure - et seule - amie. Je n’ai pas vraiment menti. C’est juste que Eden, Liam et Cassie ne sont pas vraiment des amis proches. Je dirais plutôt que ce sont des “potes”, des camarades d’école, mais rien de plus. C’est vrai qu’ils sont très gentils, je ne dis pas le contraire. Simplement… c’est compliqué.
— Très bien ! répond Juliette. Léna et moi, on est dans la même classe ! Et notre petite Nana est peut-être en flirt avec un garçon, ajoute-t-elle d’une voix mielleuse.
Mes “amis” se tournent vers moi, les yeux écarquillés. Moi-même je suis étonnée. D’ailleurs, je suis sûrement la première à l’être. Mais de quoi parle-t-elle donc ?
— Oh ne fais pas l’innocente ! J’ai bien vu comment tu parlais à ce garçon, en espagnol. Kai, je crois qu’il s’appelle ?
Je rougis instantanément. Elle ne parle quand même pas de Mike ? Parce que je ne suis absolument pas en flirt avec lui !
— Non, non, non, je la contredis. On a juste parlé, c’est tout. Il n’y a rien de plus. Calmez-vous.
Juliette me dévisage comme si je venais de l’insulter - ce qui est faux, bien évidemment ! Je n’ai fait que dire la simple vérité. Mais elle attendait peut-être que je mente ? Que je lui dise ce qu’elle a envie d’entendre ?
Je n’y comprends plus rien !
— Je ne suis pas en flirt, je reprends. Par contre, toi, Juliette…
Je laisse tomber ma phrase, un petit sourire en coin sur les lèvres. Voilà comment on se sort parfaitement d’une situation gênante. On retourne la conversation vers une autre personne et on met sur la table un sujet qui risque d’être longtemps le centre de l’attention.
Comme de fait, Juliette est devenue tellement rouge qu’elle l’est peut-être plus que moi je ne l’étais avant. Elle me fusille du regard et, le temps d’un instant, je crains pour ma vie.
— Juju ? Tu dois nous dire un truc ? questionne Cassie, la tête sur les jambes de Eden.
Ses jambes sont étendues sur le sol et ses cheveux s’étendent sur le corps de son copain. Cassie et Eden sont vraiment mignons, ensemble. Parfois, je les envie. Ils étaient de simples amis et sont devenus tellement plus sans fournir le moindre effort. Quand je les regarde, j’ai presque l’impression que c’est facile. De tomber amoureux.
Cassie hausse les sourcils et insiste.
— Juliette ?
— Ah ! C’est bon, je vais vous expliquer, grogne ma meilleure amie.
Ensuite, elle se tourne vers moi et me murmure silencieusement un “je vais te tuer”. Eh oui, ma belle. Il ne fallait pas jouer à ça avec moi. Je souris malicieusement et observe le monde autour de moi. Soudain, l’agacement que je pouvais ressentir quelques minutes plus tôt s’est envoyé avec ma mauvaise humeur, tous deux remplacés par un sourire. Voilà pourquoi j’apprécie vraiment Juliette. Parce que quoi qu’il se passe, elle arrive toujours à me redonner le sourire. Je l’aime vraiment.
C’est là que mon regard se pose sur lui. Mike - Et pas Théo ou Kai. Il est assis avec d’autres garçons. Ces derniers rient aux éclats, et Mike semble soudain remarquer leur bonne humeur, car un sourire fugace mais présent se dessine sur ses lèvres. Il s'éteint vite et son regard reste vide, mais il a sourit.
Je n’ai jamais vu Mike avant. Pourtant, j’ai toujours été ici, dans cette école. C’est sûrement lui qui vient d’arriver. Il est nouveau et a déjà tant d’amis ! Comment est-ce possible ? Il m’a fallu presque un an pour me sociabiliser avec Juliette quand je suis arrivée à l’école. Un an ! Et lui, après même pas une journée de cours, il reste avec près de vingt garçons !
Il faut dire qu’il n’est pas laid. Il a aussi ce côté un peu mystérieux qui fait de lui un parfait mec populaire. Ce n’est pas pour rien qu’il traîne avec Luc Le mec le plus beau du lycée.
Je remarque alors que les yeux de Mike se posent partout en même temps, comme s’il cherchait à se rapprocher de la réalité, comme s’il voulait comprendre vraiment ce qui l’entoure. Il a cette expression sur le visage qui me rappelle la mienne. Il analyse, je comprends. Oui, Mike est en train d’analyser la situation.
Peut-être qu’on se ressemble un peu, finalement.
A cette pensée, je souris. Et, évidemment, c’est quand je le regarde avec un sourire idiot scotché sur le visage que Mike se retourne vers moi. Son regard capte le mien et je détache immédiatement mes yeux de son visage. Je tourne la tête vers mes amis, espérant que notre contact visuel soit passé inaperçu.
Malheureusement pour moi, Juliette me regarde déjà avec un petit sourire en coin. Eden, Liam et Cassie ont le même air sur le visage. Quand Liam prend la parole, c’est avec une pointe d’humour qui cache un énorme sous-entendu.
— Vous avez juste parlé ? C’est tout ?
Je secoue la tête et réprime un sourire. Ils sont vraiment impossibles, ma parole !
— Oui, c’est tout.
Mes amis me dévisagent sans croire à mes paroles. Pourtant, je dis vrai. Il n’y a rien entre nous. Je viens de le rencontrer et on s’est contenté d’échanger quelques mots. Ce n’est pas la fin du monde, ça ne signifie pas un grand amour. C’est juste de la politesse. Et puis, comme je le disais précédemment, je m’attache très lentement. Je ne veux pas être détruite par une relation. Je ne veux pas être blessée. Alors, dans mon cas, leurs sous-entendus sont impossibles.
Pas après une discussion !
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