Chapitre 2
Trois coups rapides, deux plus espacés. Gwenn, ensevelie sous sa couverture, n’y prêta pas attention. Les coups se répétèrent.
- Gwenn ! murmura une voix derrière la porte.
La jeune fille lâcha un grognement digne d’un ours. Elle repoussa sa couverture à contre cœur et se leva pour aller ouvrir la porte. Pieds nus, elle sentait les planches glacées craquer sous ses pas hésitants. Dans l’obscurité, Gwenn se cogna à sa chaise de bureau, se rattrapa de de justesse à la clenche de la porte qui s’ouvrit d’un seul coup, et faillit culbuter en avant.
Clena avait l’habitude de se réveiller la première et de devoir aller réveiller son amie ; aussi ne fut elle pas surprise en voyant le visage pâle de Gwenn entouré d’une touffe de cheveux emmêlés apparaître dans la fente de la porte entrouverte.
- Tu n’es pas prête, constata-t-elle.
- Mmm... Désolée j’étais crevée, marmonna Gwenn avant d’aller mettre ses chaussures.
Clena entra, ferma la porte et s’adossa à l’encadrement.
- J’ai le trousseau, chuchota-t-elle, ça n’a pas été facile, heureusement que ta diversion a fonctionné.
Gwenn sourit malicieusement. En effet, le stratagème qu’elle avait trouvé pour détourner l’attention de madame Ly avait fonctionné à merveille. Lors d’un interclasse, elle avait crié avoir perdu la clef de sa chambre, et, comme prévu, la concierge avait accouru en répétant que c’était inadmissible. Madame Ly détestait par-dessus tout les élèves qui perdaient leur clef. Pendant qu’elle gesticulait devant Gwenn en la menaçant d’une heure de colle, Clena avait pu se glisser tranquillement dans la conciergerie pour dérober le trousseau de clef, et ensuite, Gwenn avait miraculeusement retrouvé la sienne.
- J’espère qu’on arrivera à l’ouvrir, murmura-t-elle en passant un pull sur sa robe de nuit, je n’aime pas quand un passage nous résiste !
Les deux amies se glissèrent bientôt dans le couloir sombre, l’une derrière l’autre, et atteignirent rapidement les grands escaliers. Par précaution, Clena décida de ne pas allumer sa lampe et les deux jeunes filles continuèrent leur chemin dans le noir, parfois interrompu par de rares lanternes accrochées au plafond. Clena accéléra le pas, en veillant à rester silencieuse ; Gwenn la suivit. Dans le hall, en bas des grands escaliers, la lumière de Muntere filtrait à travers les rideaux pâles des fenêtres et apportait assez de luminosité pour que les deux amies se repèrent facilement. Elles traversèrent le hall en rasant les murs, tous leurs sens en éveil, prêtes à réagir si jamais Madame Ly apparaissait. Elles atteignirent rapidement le réfectoire, le traversèrent sur la pointe des pieds et arrivèrent devant le faux mur qu’elles avaient trouvé la veille.
- Bon, passe-moi les clefs, je monte, décida Gwenn en tentant d’apercevoir les détails de la serrure.
- Elles sont dans ma poche. Essaie d’en choisir une qui rentre suffisamment bien dans la serrure pour pouvoir la forcer.
Clena fouilla dans les poches de sa veste et en sortit un paquet informe. En effet, par précaution, elle avait entouré le trousseau de mouchoirs pour éviter qu’il ne fasse du bruit. La jeune fille écarta les carrés de tissu et se saisit des clés, qu’elle donna à son amie.
- Il nous faut de la lumière, constata Gwenn, je ne vois rien.
- Attends, j’allume la lampe. Mais il va falloir faire vite, Madame Ly prendra ses somnifères dans vingt minutes, si nous avons bien prévu le coup.
Gwenn acquiesça et retourna le trousseau dans ses mains en attendant que Clena allume la lampe. Il y avait tellement de clefs que le tout pesait comme du plomb, et tintait à chaque mouvement. « On va mettre du temps à en trouver une qui entre dans la serrure, pensa-t-elle en fronçant les sourcils, mais bon, au moins avec toutes les clefs qu’il y a, on est sûre d’en trouver une ! »
- Il nous reste une demie heure, précisa Clena en se retenant d’éternuer, si on ne réussit pas c’est qu’on est vraiment des gourdes !
La lumière s’alluma, brillant faiblement mais assez pour que Gwenn voie le trou de la serrure, entre le plafond et le mur.
- Je me demande ce qu’il leur a pris de mettre une serrure là haut, grommela Clena en faisant la courte échelle à son amie, s’il sert vraiment à quelque chose, ce passage secret est censé avoir une ouverture accessible !
- Mais c’est accessible, répondit Gwenn en prenant une clef au hasard dans le trousseau, regarde, on y arrive, nous !
Clena lâcha un grognement : Gwenn venait de lui asséner un coup de pied dans l’épaule.
- Désolée, murmura son amie, j’en suis à la troisième clef, aucune ne rentre pour l’instant.
Gwenn en était à la huitième clef quand elle remarqua du coin de l’œil une ombre qui se mouvait à l’entrée du réfectoire. Elle avertit immédiatement Clena, qui éteignit précipitemment la lampe. Toutes deux tapies sous des chaises, les deux amies observèrent madame Ly s’approcher. D’un pas hésitant, la concierge se fraya un passage parmi les tables et les chaises pour atteindre la cuisine, où elle disparut.
- Je n’avais jamais remarqué que madame Ly se levait la nuit, observa Gwenn, d’habitude, on ne la croise pas !
- Elle ne va que dans le réfectoire, c’est pour ça qu’on ne l’a pas remarquée avant, supposa Clena, nous n’étions jamais allées de ce côté.
Gwenn acquiesça et reporta son attention sur la porte de la cuisine : la concierge s’en allait déjà, en marmonnant que les élèves devraient être interdits dans cette Académie. Dès que son ombre ne fut plus visible, les deux amies se précipitèrent de nouveau vers le passage secret, dont la serrure refusait toujours de céder.
- Il reste trois clés, répondit Gwenn en ressortant le trousseau de sa poche, j’espère que l’une d’entre elles est la bonne !
Sur ces mots, la jeune fille s’appuya sur les mains croisées de son amie et se hissa à la hauteur de la petite serrure. Elle introduisit l’une des clés, mais elle était clairement trop grosse pour pouvoir entrer dans le petit trou. Gwenn jura en silence et choisit la plus petite des deux clefs restantes. Elle plissa les yeux et la glissa dans la fente de la serrure : elle rentrait. En bas, le visage de Clena s’éclaira. Pleine d’espoir, Gwenn tourna la clef.
- Elle fonctionne ?
- Non, fit la jeune fille, dépitée.
- Essaie plusieurs tours, n’oublie pas qu’on doit forcer la serrure, ça risque d’être plus difficile qu’ouvrir une simple porte!
- Tu as raison, j’essaie un autre tour.
Gwenn tourna la clef plusieurs fois, dans un sens puis dans l’autre, jusqu’à ce qu’un déclic se fasse entendre. La jeune fille faillit crier sa joie. Clena, les bras endoloris, la fit redescendre prestement, un sourire aux lèvres.
- On a réussi ! s’exclama doucement Gwenn.
- Heureusement, commenta Clena, je commençais à fatiguer ! Bon, maintenant que c’est déverrouillé, comment ça s’ouvre ce truc ?
- Bonne question. Je n’ai rien vu bouger, là haut.
Un court silence s’installa. Les deux amies tentèrent de pousser le pan de mur, sans résultat.
- Il y a peut-être un mécanisme plus complexe, ou une autre serrure, supposa Gwenn.
- Cherchons, mais ça m’étonnerait, nous n’avons rien remarqué d’autre hier !
Dans le hall, la sonnerie de l’horloge résonna : il était minuit et demie. Clena approcha la lampe et entreprit d’observer les moindres recoins du pan de mur. Après plusieurs minutes de recherches, elles n’avaient encore rien trouvé. Clena posa la lampe par terre et soupira, exaspérée. Gwenn se laissa tomber au bas du mur, ressortit le trousseau de clefs, le tourna et le retourna dans sa main, comme si cela allait l’aider à y voir plus clair. Irritée, elle frappa le sol de son pied et se leva.
- Cette histoire commence sérieusement à m’énerver, murmura-t-elle, ce mur ne nous résistera pas plus longtemps !
Sur ces mots, la jeune fille s’appuya de tout son poids sur les pierres du mur, les frappa une par une, s’acharna dessus jusqu’à épuisement. Le mur ne bougea pas. Aucun déclic ne vint perturber le silence. Déçue, la jeune fille se rassit au sol, sous le regard perplexe de Clena.
- Bon, au moins on aura essayé ! positiva cette dernière avec une petite grimace.
- Attends. J’entends un truc.
Les deux amies se turent, tendant l’oreille. D’abord, elles n’entendirent rien. Dans le réfectoire, on ne percevait que le bruit de leur propre respiration. Puis, un grondement profond, presque imperceptible, interrompit le silence.
- Gwenn, c’est quoi, ce bruit ? s’inquiéta Clena.
- Aucune idée, j’espère que nous n’avons pas déclenché un piège !
Le grondement s’amplifia, tellement grave que la cage thoracique des deux jeunes filles vibra. Soudain, le mur se mit à trembler. Lentement, il pivota, obligeant Gwenn et Clena à se lever pour ne pas s’y cogner.
- Gwenn, on a réussi ! Le passage s’est ouvert !
- Enfin ! Tu as vu le nombre de bleus que j’ai dû récolter avant que ça ne marche !
- L’ennui, c’est qu’on ne sait pas ce qui a déclenché l’ouverture...
- Tant pis, on refera pareil, mais cette fois ce sera toi qui t’y colleras !
Clena jeta un coup d’œil dans l’espace que le mur venait de dévoiler. Des escaliers descendaient dans l’obscurité. Des toiles d’araignées s’accrochaient par dizaines au plafond de pierre, qui descendait vers les profondeurs de l’Académie. Gwenn, qui regardait par-dessus son épaule, murmura :
- C’est sinistre, dis donc ! Le plan dit-il où débouche ce passage ?
Clena secoua la tête en signe de dénégation. Gwenn haussa les épaules et lâcha :
- On y va ?
- Je ne sais pas si c’est une bonne idée, Gwenn, il sera une heure dans seulement quelques minutes !
- Mais si on prend du retard, ce n’est pas très grave ! On a défini une heure du matin parce qu’on veut être en bonne forme pour les cours du lendemain, mais demain c’est dimanche !
- D’accord, mais il ne faudra pas qu’on en fasse une habitude, lâcha son amie avant de brandir sa lampe en direction des escaliers.
Sombres et lugubres, ils s’enfonçaient sous l’Académie des sciences. A la faible lueur de la lampe de Clena, on n’en distinguait même pas le bout. La jeune fille posa le pied sur la première marche de pierre, et commença à descendre. Gwenn réprima un frisson et lui emboîta le pas.
Tout était tellement obscur que Gwenn ne percevait de son amie que sa respiration saccadée. La lampe projetait leurs ombres sur les vieux murs de pierre usés par le temps. Enfin, après queques minutes de descente, les escaliers prirent fin. Les deux amies débouchèrent sur une petite pièce circulaire. L’air était encore plus glacial que dans les escaliers. Clena promena la lampe tout autour d’elles, révélant les ombres de quelques tonneaux vermoulus.
- C’est juste ça ? Une réserve de tonneaux ? s’étonna Gwenn, un peu déçue.
- Je ne sais pas, ça me semble étrange. Pourquoi enterrerait-on des tonneaux à cette profondeur ? Il y a sûrement un passage caché, ou quelque chose comme ça.
- Tu as raison, acquiesça Gwenn en baîllant à s’en décrocher la mâchoire, on revient demain pour vérifier ça ? Parce que là le temps passe et je suis fatiguée, moi !
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