On oublie toujours les Intentions...
Les trois officiers de police, penchés au-dessus du bureau assistent médusés à cette apparition ignée. Le bois grésille encore un peu puis cesse de fumer. La forme brun foncé est bien celle de la lame d'une épée depuis la pointe jusqu'au pommeau. On devine même les motifs qui apparaissent en plus clair sous la garde : 5 fleurs de lys alignées...
- Marchadier, faites la venir immédiatement ! Grommelle Fraigneau. Le lieutenant sort, Gensac, poussé par la lassitude, va s'asseoir. De la main gauche il ne cesse de se peigner à rebrousse puis dans le sens du poil, sa barbe à la pointe du menton...
Jocelyne revient avec Jeanne resplendissante en tenue de ville...
- Bonjour ! Salue-t-elle aussitôt passé le seuil de la porte.
- Comment faite-vous ça ? Tranche le capitaine en lui montrant la marque pyrogravée de l'épée. Jeanne s'approche du bureau, regarde l'empreinte …
- Étant enfermée, je n'ai pas pu faire cela Capitaine.
- Mais c'est bien avec votre épée, qu'avant-hier matin, vous avez frappé, le bois de ce plan de travail.
- Si c'est l'épée ce n'est donc pas moi... Fraigneau a un sursaut de la glotte et manque de s'étrangler de rage.
- Ça suffit Mademoiselle ! Vous vous êtes assez payé notre tête. Voyant cela, j'en déduis en toute logique que vous avez certainement des pouvoirs de magicienne de foire ou d'illusionniste de cirque pour obtenir ce genre d'effet spectaculaire. Comme on dit y a un truc... et ce truc vous allez immédiatement nous l'expliquer.
- Il n'y a pas d'explication à cela mais certainement une bonne raison...
- Une bonne raison ! On peut savoir laquelle ?...
- Celle d'attirer votre attention, par exemple... Fraigneau est rouge de colère
- Vous...
- Non ! Je ne me paie pas votre tête capitaine. Elle s'approche un peu plus de lui plongeant ses yeux dans les siens. Elle sent merveilleusement bon, un parfum exceptionnel rassemblant des fragrances de pétales de roses, de violettes des bois et de miel de lavande. Ces effluves envahissent l'espace. Fraigneau retombe sur son siège, vaincu ou enchanté... il ne sait pas...
- Il va falloir que vous pensiez autrement Messieurs et appreniez à réfléchir en dépassant tous vos préjugés... poursuit Jeanne. Elle regarde autour d'elle. Tous les sièges sont occupés. Où pourrai-je m'asseoir ? Pour tenir la conversation, je ne vais tout de même pas faire comme certaines secrétaires de direction en posant mon séant sur un coin de bureau... Ils la regardent médusés... jusqu'à cet instant, jamais dans ce service, ils n’avaient rencontré un suspect, ayant autant d'aplomb et de faconde.
Jocelyne lui tend sa chaise et reste debout derrière elle, mains posées sur le dossier. C'est le commissaire passablement irrité qui reprend le fil de la discussion...
- Mademoiselle Jeanne vous nous embarrassez là, à présent, on ne sait sous quel motif vous inculper... à part votre charge façon guerrière contre les forces de l'ordre, place du Martroi puis vos réponses complètement décalées pour nous donner votre identité s'ajoutant à vos propos certes intelligibles et intelligents mais hors de sens quant aux circonstances et à leur genèse, nous souhaiterions vivement, pour en finir avec vous, que vous nous éclairiez un peu plus sur vos motifs et requêtes.
- Ce qu'il se passe autour de vous et qui tiendrait à ma présence ici, ces événements qui vous intriguent et aussi vous sidèrent, vous n'acceptez pas qu'ils demeurent inexplicables. Il le sont absolument pour votre esprit cartésien, ils le seront beaucoup moins si vous apprenez à raisonner autrement.
- Autrement ! Coupe Gensac... expliquez-nous comment s'il vous plaît !
- Les humains de ce siècle et ce, depuis que les avancées dans les nombreux domaines investis par les sciences ont pris le pas sur les croyances anciennes, ne s'en tiennent qu'à l'observation sensible des phénomènes physiques. Rien ne peut être avéré et authentifié hors cette méthode d'observation et d'investigation paramétrée par le quantifiable et le perceptible physiquement. Nous en sommes là... Toutes les découvertes faites reposent sur ce principe d'un postulat de départ dont on fait la cause à l'origine de tous les processus qui suivent. Et bien sûr, tout est axé sur la matière jusque dans ce qu'elle a de plus infime au niveau nucléaire.
- Et parlant ainsi vous prétendez venir du Moyen-Âge ! L'interpelle Fraigneau goguenard.
- Là n'est pas la question, répond sèchement Jeanne... permettez que je poursuive...
- Faites ! l'invite Gensac désabusé.
- Ce que nous pensons à l'origine d'un phénomène ou d'une manifestation observée comme étant la cause l'expliquant n'est, dans de nombreux cas, qu'un symptôme. Prenons l'exemple de la graine cette petite chose à la piètre apparence... Elle contient toute la plante future... mais si vous ne la plantez pas, ne l'arrosez pas, ne lui apportez pas les nutriments nécessaires pour qu'elle développe : racines, tiges, feuilles et fleurs, jamais cette graine, d'elle même, connaîtra une telle métamorphose. Elle doit son développement à une double influence venant à la fois de la terre et du cosmos. Ce que je veux surtout vous faire remarquer, à partir de cet exemple, c'est qu'on oublie toujours l'essentiel... et l'essentiel ici ce sont les intentions et aussi celui qui les émets et passe à l'acte. Un temps de silence et elle rajoute :
- Comment vous, enquêteurs professionnels, pouvez ignorer cela, alors qu'en matière criminelle pour être probant, ce qui importe ce sont : le mobile et la préméditation… Oui, c'est le constat que l'on peut faire : on oublie toujours l'intention...
- Mais qu'est-ce que ceci a à voir avec les faits ayant justifié votre arrestation et votre maintien en garde à vue, rétorque Fraigneau.
- Je suis entrain de vous dire que chercher des explications rationnelles à un phénomène para-normal, comme l'apparition soudaine de cette empreinte ignée de mon épée sur votre bureau, est une grossière erreur et que l'important tient à la raison source de ce phénomène. Allons Capitaine, n'ayez pas honte d'être étonné et de vous trouver confronté à un mystère qui dépasse, de loin, votre entendement ! Il faut considérer toutes ces choses de près et ne pas s'en éloigner avec nos spéculations, par trop, intellectuelles, souvent obsolètes... Regardez donc votre planche de bureau capitaine !...
- Bon Dieu il n'y a plus aucune trace !...
à suivre : Amoureuses et Libres
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