Manger !

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Les cimes s’éclairaient d’une lumière douce et verdoyante au-dessus d’un champignon au large chapeau d’or et d’azur planté dans l’humus moite du sous-bois. Une brise sifflait entre les hauts troncs entraînant un chœur mouvementé de la flore.

Le champignon étira un œil d’escargot hors de son buste afin d’admirer les cieux. Une fine brindille s’éleva malicieusement à la rencontre de son globe mollasson qu’il contracta de surprise.

Tout son corps vibra d’excitation. Il attendait depuis si longtemps ! La nature se mettait enfin à chanter ! Il bondit de joie, déracinant ses pieds et ses bras tentaculaires, les délassant brièvement et se mit à courir droit à travers les ronces, les fougères et les arbustes qu’il repoussait à grands coups de ses racines, sans ralentir et sans jamais dévier. Une vraie tempête !

Le champignon se devait d’être aussi rapide et direct, car dans ces contrées règnent des créatures qu’il ne vaut mieux pas rencontrer. Le chant majestueux de la forêt qui dominait lui permettait de passer discrètement sous le nez de ses prédateurs.

Il avait pour objectif un beau buisson couvert de baies succulentes qui lui permettraient de passer plusieurs semaines à dormir sans se soucier de rien. Ce dernier se trouvait au sommet d’une haute colline drapée de feuilles mortes et noyée sous les fougères en pleine croissance. Le champignon le chassait depuis des jours, alternant pauses et courses folles au risque de s’épuiser – ses ressources nutritives étant limitées.

Les sons s’éteignirent subitement, le vent, les branches, les feuilles et les oiseaux se turent ne laissant que la folle cavalcade du champignon résonner autour de lui et un sinistre rire s’élever du haut des arbres :

« Ahuhuhu ! »

Le champignon bondit, tourbillonna gracieusement et se planta dans le sol ! Il sentait son cœur tonner de frayeur. Le monstre l’avait-il repéré ? Il osa faire passer un œil au-dessus de son chapeau afin de vérifier.

Une boule de suie, pendue à un fil de soie, se laissait glisser jusqu’à lui.

Elle s’arrêta à sa hauteur, sans toucher le sol, comme une grosse châtaigne volante d’une curieuse couleur. Notre ami approcha son œil de plus près. Est-ce que cela se mange ? se questionna-t-il. La réponse lui vint lorsqu’elle se mit à trembler et que huit pattes et une tête aux mandibules menaçantes surgirent de la touffe de poils.

« Ahuhuhu ! » fit l’araignée contente d’avoir trouvé une proie.

Le petit champignon mima d’en être un, immobile et apeuré.

Il fut si sûr de finir mangé que le pauvre se mit à pleurer ! Un délicieux nectar sucré s’écoula alors de son large chapeau doré que l’araignée lécha avec avidité. Elle s’empiffra de toutes ses précieuses réserves nutritives avant de s’en aller sans lui faire plus de mal.

Le champignon resta là, des heures durant, craignant le retour de la bête affamée. Il s’affaiblissait de plus en plus, ses racines peinaient déjà à rassembler les quelques nutriments de la terre et lorsqu’il décida, finalement, à se déraciner, mut par une forte détermination, c’est à peine s’il parvint à rester debout. Il commençait à sécher ! Les baies étaient devenues son seul espoir de survie.

Il rassembla ses forces et couru en hâte jusqu’à la colline où il enfonça ses racines afin de tirer son corps aride jusqu’à son sommet. Malheureusement, sa faiblesse était si grande qu’il n’y parvint pas ; immobile, sa conscience s’amenuisait, dodelinant, il allait pour sombrer dans un rêve éternel, lorsque :

« Ahuhuhu ! »

Le champignon se réveilla et trouva ses dernières forces dans la terreur. Il parvint au sommet devant son saint Graal, mais seul un horrible désespoir s’empara de lui à la vue du buisson vide où somnolaient, autour, une ribambelle de ses congénères rassasiés.

Il décida de rester là – à attendre que les baies repoussent –, planté au milieu des siens. La fatigue l’emporta avec lenteur dans un sommeil sans fin.

Cependant, quelqu’un n’était pas de cet avis et le secoua comme un prunier ! Le champignon sortit un œil hasardeux et mollasson, et découvrit avec stupeur et bonheur un panier tressé de branches et de soies remplit à ras-bord de baies juteuses et alléchantes.

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